
Notre planète. Chronique n° 16.
« Apocalypse. Hier et demain » :
l’exposition à voir maintenant à la BnF
Cette exposition propose un beau parcours à travers un texte et ses représentations artistiques du Moyen Âge à nos jours. Elle confronte le sentiment oppressant de notre condition en proie aux catastrophes à celui exaltant d'y résister.
Par Pascal Caglar, professeur de lettres (académie de Paris)
Cette exposition propose un beau parcours à travers un texte et ses représentations artistiques du Moyen Âge à nos jours. Elle confronte le sentiment oppressant de notre condition en proie aux catastrophes à celui exaltant d’y résister.
Par Pascal Caglar, professeur de lettres (académie de Paris)
Depuis longtemps, les expositions à la Bibliothèque nationale de France ne se réduisent pas à une exhibition ennuyeuse de manuscrits, carnets, dessins ou enluminures : si leurs thèmes ont toujours un ancrage dans le livre, ceux-ci se déclinent sous toutes les formes, dans tous les arts et à toutes les époques. L’exposition « Apocalypse. Hier et demain » offre à ce titre un beau parcours à travers un texte et ses représentations artistiques du Moyen Âge à nos jours.
On ne se doute pas à quel point la thématique de ce texte du Nouveau Testament a constamment hanté nos imaginations et torturé nos consciences, que l’on soit homme du XIVe siècle ou homme du XXIe siècle. Avec cette exposition, le visiteur comprend que l’apocalypse est l’obsession humaine du combat entre le bien et le mal, entre la chute et la rédemption : histoire de notre destinée, plus qu’histoire de la fin du monde. Pas besoin d’être chrétien, connaisseur de Jean et de son livre prophétique pour être gagné à la vue de ces illustrations, tableaux, gravures, dessins, photographies d’artistes de toutes les époques et pour être saisi par deux sentiments contraires, celui, oppressant, d’une condition humaine constamment en proie aux fléaux et aux misères, mais celui, exaltant, d’être capable de se dresser contre la catastrophe.
Jean, prototype et modèle
Le parcours commence par un rappel du livre de l’Apocalypse et une illustration de chacun de ses chapitres, opérant ainsi un agréable rafraîchissement de notre mémoire avec les sept sceaux, les sept trompettes, les sept fléaux, le dragon, la chute de Babylone, la victoire du Christ, le jugement dernier et la nouvelle Jérusalem. Plus que l’exégèse chrétienne, la symbolique ou l’hermétisme de ces chapitres, ce qui frappe c’est la puissance de cet imaginaire, les qualités d’incroyable visionnaire qui ont habité ce Jean, prototype et modèle de tous les auteurs d’apocalypse qui ont jalonné notre histoire littéraire et artistique.
La barbarie humaine
L’intérêt commence vraiment avec la seconde partie de l’exposition intitulée « Le temps des catastrophes », véritable voyage dans notre culture artistique, où s’enchaînent chronologiquement les tableaux de grands maîtres, plus saisissants les uns que les autres. La suite de gravures sur bois de Durer, intitulée « Apocalypse », impressionne par son réalisme et sa dramatisation des principaux épisodes. Après « Les Grandes Misères de la guerre », de Callot, la série des « Désastres de la guerre », de Goya est toujours aussi terrible à voir, avec ces cadavres, ces corps suppliciés, décapités, humiliés, et ces légendes, terribles et cruels : « Ça c’est pire », « Mauvais présages », « Elles ne veulent pas ». Le visiteur est alors au cœur de la véritable révélation : celle de la barbarie humaine.
Un tableau du flamand Richard Van Orley résume bien cette inconscience des hommes, bourreaux ou faussement innocents, toujours surpris par leur sort : finement dessinés, des hommes, le visage horrifié, chutent dans le vide avec ce sous-titre : « Leur vie s’achevait dans le bonheur et ils descendent en un instant aux enfers. » Ainsi va l’exposition de William Blake et son Jugement dernier à Odilon Redon et son Apocalypse, du Douanier Rousseau à Otto Dix dont le tableau Souvenir de la galerie des glaces à Bruxelles, mettant côte à côte un soldat et une prostituée, révolte par cette évocation cynique d’une force brutale et satisfaite d’elle-même.
Un merveilleux tableau de Judit Reigl, égérie des surréalistes, achève cette partie et suggère l’aspiration à sortir de la catastrophe : quatre chevaux fantastiques fuient, gueule grande ouverte, avec ce titre : « Ils ont soif insatiable de l’infini » (d’après Maldoror).
Un monde sans humains ?
L’apocalypse au cinéma est également évoquée, peut-être trop rapidement, dans l’avant-dernière salle précédant l’espace final intitulé « Le Jour d’après ». Mais le montage d’écrans et d’extraits est plutôt ingénieux, avec des citations de films comme La Fin du monde d’Abel Gance, Godzilla de Gareth Edwards, Akima de Katsuhiro Otomo, ou 4h44 dernier jour sur terre d’Abel Ferrara.
Ce « jour d’après » sur lequel s’achève l’exposition nous ramène à un monde vierge, sans humains, peut-être pour un nouveau départ ou un nouveau monde dans lequel l’homme ne serait plus qu’un lointain souvenir. À cet égard, on ne peut qu’être frappé par l’une des dernières photos exposées, celle de l’américaine Tacita Dean : The Book End of Time, un livre à moitié ouvert sur sa couverture, les pages collées, semblant couvertes de givre, authentique objet que l’artiste avait déposé dans le désert de l’Utah et recouvert de sel cristallisé. Ce symbole humain n’étant rien d’autre, finalement, qu’un fossile poussiéreux.
Un genre littéraire
Les professeurs de lettres, ainsi que tous les amateurs de littérature, retrouveront avec plaisir dans le catalogue un chapitre consacré à l’apocalypse dans la littérature, sujet qui mériterait un livre à lui tout seul. En effet, l’apocalypse est d’abord un genre littéraire antique déjà présent dans l’Ancien Testament, en lien avec la littérature prophétique. Cette thématique se retrouve aussi bien à la Renaissance chez Agrippa d’Aubigné dans Les Tragiques, qu’à l’époque romantique chez Mary Shelley avec Le Dernier Homme, ou encore au XXe siècle chez des poètes comme Claude (Paul Claudel interroge l’Apocalypse, Gallimard, 1952), Pierre Jean Jouve (Kyrié, Gallimard, 1938) ou encore Aimé Césaire. Quant à la science-fiction et la littérature fantastique, on ne compte plus ses emprunts et inspirations puisés dans l’Apocalypse.
Cette exposition est à sa manière visionnaire : elle embrasse toutes les époques, illustre la façon dont chaque siècle a donné chair et esprit à ces symboles de mort ou d’espérance, notre histoire étant hantée par la dialectique de la chute et du salut. En quittant la BnF, ces vers de Baudelaire (Le Voyage, Les Fleurs du mal) reviennent en mémoire :
« Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe ?
Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau. »
P. C.
Exposition « Apocalypse. Hier et demain », à la BnF, site François-Mitterrand, jusqu’au 8 Juin 2025.
Nombreux événements autour de l’exposition : tables rondes, rencontres, lecture, colloques, cinéma, ateliers, à retrouver sur le site :
https://www.bnf.fr/fr/agenda/apocalypse#bnf–conf-rences-rencontres-v-nements-
Podcast sur France Culture :
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/france-culture-va-plus-loin-l-invite-e-des-matins/visions-de-l-apocalypse-une-angoisse-qui-revient-1254148
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