"Bel-Ami", de Declan Donnellan et Nick Ormerod
L’idée aurait été bonne de donner à voir le personnage d’arriviste créé par Maupassant comme un vampire vivant aux dépens de ses victimes, féminines principalement. L’idée n’a pas été retenue pour cette nouvelle adaptation du roman, mais elle est sous-jacente car on sait que chaque comédien est la somme des rôles qu’il a interprétés et Robert Pattinson est encore identifié dans la conscience des spectateurs au séduisant mort-vivant de Twilight.
En réalité, non seulement les deux metteurs en scène britanniques Declan Donnellan et Nick Ormerod n’exploitent pas cette veine pour leur premier long métrage, mais ils adoucissent singulièrement la figure cynique de Duroy. De famille normande et pauvre, il a raté sa carrière militaire, n’a pas d’éducation ni de culture et se trouve entraîné malgré lui dans le sillage de son ami Forestier, journaliste en vue dont la femme a écrit tous les articles et accepte de prêter sa plume à ce débutant si joli garçon.
Jouant auprès de lui le rôle d’initiatrice que joue auprès de Rastignac Mme de Beauséant, elle lui explique avec grâce qu’il ne peut arriver que par les femmes. Reconnaissant et amoureux, il se montre docile presque malgré lui en prenant pour maîtresse Clotilde de Marelles, dont la fillette le surnomme Bel-Ami.
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De multiples adaptations
Cette ascension sociale a déjà été mise en scène maintes fois au cinéma, les adaptations les plus connues étant l’allemande de Willi Forst sous Hitler (1939), qui insiste sur la vie galante du tout-Paris ; celle d’Albert Lewin The Private Affairs of Bel-Ami (1947), avec George Sanders et Angela Lansbury, qui déforme intelligemment l’intrigue et l’encadre dans des décors presque expressionnistes, et celle de Louis Daquin (1954-1957), avec Jean Danet, Anne Vernon et Renée Faure, qui se veut anti-colonialiste, et sera mal vue dans les milieux politiques et financiers français. On trouve même en 1976 un film érotique, L’Emprise des caresses, tourné en Suède par Mac Ahlberg.
À la télévision, c’est l’équipe Pierre Cardinal/Pierre Moustiers qui réalise un impeccable téléfilm en 1982 avec Jacques Weber, Marisa Berenson, Marie Dubois et Michel Auclair.
Une transposition originale
L’originalité de cette nouvelle adaptation britannique – classique reconstitution en costumes et décors d’époque très soignés –, c’est d’avoir conservé le caractère immoral, subversif, scandaleux de l’intrigue, tout en complexifiant le caractère du protagoniste. La principale motivation de Georges Duroy n’est plus la soif de pouvoir, l’ambition sans scrupules, le désir stérile de consommer, mais un appétit de vivre, d’aimer, propre à la jeunesse, qui fait de lui un bel animal en rut, le plus souvent sincère, auquel les femmes ne résistent pas. Une pureté touchante lui donne le besoin de croire au bien-fondé de ce qu’il fait et le conduit à s’investir à fond dans la lutte de son journal contre un gouvernement qui veut envahir le Maroc ; il contribue à le renverser, sans comprendre qu’il est berné par la collusion des politiques, des financiers et des médias, prêts à soutenir une invasion riche de profits.
On comprend que les réalisateurs aient voulu, sans charger le beau Robert Pattinson d’une noirceur trop décevante pour ses fans, mettre en valeur la modernité de cette intrigue, dont l’actualité est servie par une interprétation de qualité : Uma Thurman est excellente dans le contre-emploi tout en nuances de Madeleine Forestier, Kristin Scott-Thomas s’enlaidit à plaisir pour jouer une Suzanne Walter pitoyable et Cristina Ricci compose une Clotilde d’un charme acidulé.
Une lecture renouvelée du roman
Grâce à ses trois égéries, l’incandescent Duroy anglais, digne successeur d’Eugène de Rastignac et de Lucien de Rubempré, s’octroie une particule, fait son chemin, perd ses illusions et acquiert à grand peine le cynisme nécessaire pour pouvoir épouser une riche héritière et défier à son tour le tout-Paris : « À nous deux maintenant ! » Les deux réalisateurs ont réussi une adaptation libre et inventive, qui engage avec le texte un dialogue fructueux et dont le classicisme est transcendé par des acteurs brillants, capables de prêter leur personnalité aux personnages de Maupassant, de manière à en déployer de nouvelles facettes qui creusent la profondeur du roman.-
Anne-Marie Baron
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• « Bel-Ami » à l’écran
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• La séduction au XIXe siècle, un dossier de l’École des lettres :
– « La Confession d’un enfant du siècle« , d’Alfred de Musset (collection « Classiques abrégés », édition établie par Boris Moissard) ;
– « Bel-Ami » (collection « Classiques abrégés », édition établie par Xavier-Laurent Petit).
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• Maupassant dans les Archives de l’École des lettres.
• Deux numéros consacrés à Maupassant : Autour du « Horla », Romans et nouvelles de Maupassant.