Apprendre, de Claire Simon :
un an d’école

Après son documentaire sur les femmes à l’hôpital, Claire Simon passe un an à l’intérieur d’une école d’Ivry-sur-Seine, captant les regards, l’être-ensemble, les méthodes et la transmission, construisant un éloge de la différence et de l’écoute.
Par Philippe Leclercq, critique de cinéma

Après son documentaire sur les femmes à l’hôpital, Claire Simon passe un an à l’intérieur d’une école d’Ivry-sur-Seine, captant les regards, l’être-ensemble, les méthodes et la transmission, construisant un éloge de la différence et de l’écoute.

Par Philippe Leclercq, critique de cinéma

Dans Notre corps, en 2023, Claire Simon filmait les femmes à l’hôpital depuis leur naissance jusqu’à leur mort. Après ce film, la cinéaste a posé sa caméra dans la cour et les salles de classe de l’école maternelle et élémentaire Anton-Makarento à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), de l’autre côté du périphérique parisien. Sans préjugés ni méthode prédéfinie, elle s’est donné une année pour suivre, observer, écouter, comprendre comment la réflexion, la connaissance et la confiance viennent à l’enfant.

Apprendre à penser

Le film commence par un matin de rentrée scolaire où l’on perçoit, dans le regard perdu d’un nouvel élève, l’appréhension des autres et des difficultés à venir. Où suis-je ? Où m’emmène-t-on ? Que vais-je devenir ? Ce sont des questions que tout jeune être se pose en commençant l’école. Laquelle lui apparaît comme un pays inconnu à découvrir, un chemin à tracer et à arpenter, parfois seul, souvent accompagné, un lieu d’efforts où il faut se rendre sans fatigue pour grandir, se construire, devenir un parmi les autres, un avec les autres.

En attendant, l’œil de la cinéaste a repéré le geste du directeur qui, en tenant la main du nouveau, scelle à l’entrée de l’établissement l’indispensable pacte de confiance et de prise en charge de l’enfant par l’institution.

Très vite, la caméra de Claire Simon, qui alterne les niveaux de classes visités, montre comment cela se passe, comment les équipes cherchent, pensent, travaillent, et comment l’école fait travailler en dépit de l’âge parfois très jeune des élèves. Le spectateur assiste à une séance de calcul mental, à un cours d’analyse grammaticale, à la conception collective d’un spiromètre ou à l’apprentissage de l’usage du dictionnaire. L’acuité du regard de la réalisatrice, la plupart du temps dirigé vers les élèves, donne à voir ou à entendre leurs questionnements, leurs remarques et leurs réponses aux problèmes qui leur sont posés. Les fronts se plissent, les mains se tordent, les regards ou les corps se figent, puis s’agitent, le doigt levé, quand soudain la lumière jaillit. Les pratiques pédagogiques – leçons et exercices classiques, mais aussi jeux, chants, lectures orales, etc. – se succèdent, sans hiérarchie pour aborder l’apprentissage sous des angles diversifiés, multiplier les approches et les moyens de faire penser l’élève différemment, sans qu’il en ait toujours conscience.

Découverte de l’altérité

Aux plans de coupe et montage rapide pour capter la circulation des regards, Claire Simon préfère le plan-séquence qui laisse advenir les idées et capture la manière d’être ensemble. Ses images racontent comment l’enfant se construit au sein du groupe, comment il se montre aux autres, la place qu’il occupe à la fois physiquement et quand il parle, fait circuler sa pensée ou tente de convaincre ses camarades.

La scène de l’échange sur la pratique religieuse est une formidable leçon de respect et de tolérance. Chacun y fait la découverte de sa singularité et de la diversité des croyances. La confrontation à l’autre prend, plus loin dans le film, la forme d’une rencontre musicale avec des élèves de l’École alsacienne, issus de l’élite parisienne.

L’école que dépeint Claire Simon est un lieu d’apprentissage de l’altérité, mais aussi d’éducation des règles de discipline. Elle ne dit pas tant l’égalité des chances que la diversité des chances. Elle fait l’éloge de la différence, de l’écoute, du vivre-ensemble et de la transmission des savoirs. Un vibrant hommage est aussi rendu aux enseignants qui, d’une rentrée à l’autre, accueillent de nouveaux élèves, sans relâche.

P. L.

Apprendre, documentaire de Claire Simon (1h45), en salle le 29 janvier.


L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Philippe Leclercq
Philippe Leclercq