Gabriel Attal :
faire confiance aux fondamentaux
Par Ingrid Merckx, rédactrice en chef
Les maths, le français, la laïcité, l’autorité, les heures supplémentaires dans une école inclusive, luttant contre le harcèlement et les discriminations et promettant du « sur mesure » pour la réussite de chaque élève : le nouveau ministre s’est imposé comme champion du « en même temps » lors de sa conférence de presse de rentrée.
Par Ingrid Merckx, rédactrice en chef
Choc de confiance. La formule a été lâchée à dessein. « Cette rentrée a été préparée », a insisté le nouveau ministre de l’Éducation, Gabriel Attal, le 28 août au matin. Remplaçant Pap Ndiaye à ce poste le 20 juillet, à la faveur du remaniement gouvernemental, il tenait sa première conférence de presse de rentrée, passage obligé, en compagnie de Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l’Enseignement et de la Formation professionnels, et Prisca Thevenot, secrétaire d’État chargée de la Jeunesse et du Service national universel.
« Choc de confiance » parce que – dit tout de suite en introduction, juste derrière les salutations aux parlementaires et aux journalistes présents rue de Grenelle – les classes moyennes se détournent de l’école publique qui ne serait plus à même de répondre « à l’espoir d’une vie meilleure ». Vouloir réconcilier les classes moyennes et modestes avec l’école publique et gratuite, Gabriel Attal en a fait l’amorce d’un discours de restauration susceptible de faire se lever les foules unifiées dans un grand projet républicain. L’école, « c’est le premier budget de la Nation », la rentrée « c’est le battement du cœur de la République qui reprend ». « Unis pour notre école », s’intitule le dossier de presse concocté par le ministère autour de trois idées fortes : « Élever le niveau », « Construire une École des droits et des devoirs », et « Bâtir une École qui émancipe et qui donne confiance ».
Sauf que ce terme de « confiance », précisément, c’est celui qui a été brandi par Jean-Michel Blanquer de mai 2017 à mai 2022, au point d’en faire l’intitulé de sa la loi « Pour une école de la confiance ». Publiée le 26 juillet 2019, elle a été très décriée, notamment pour son article 1 restreignant la liberté de parole des enseignants. C’est peu de dire que la confiance a été rompue sous le ministère Blanquer. La nomination de Pap Ndiaye en septembre 2022 à ce poste représentait déjà une tentative de réparation.
Gabriel Attal n’en ignore rien puisque, dès le 18 août 2018, il était nommé secrétaire d’État auprès de Jean-Michel Blanquer. Il n’a pas découvert l’Éducation nationale selon Macron cet été : « Il reste beaucoup à faire pour en finir avec les maux de l’école. Depuis six ans, nous sommes attachés à résoudre les difficultés ». Ce choix du mot « confiance » traduit un projet : poursuivre le travail mis en place par ses prédécesseurs avec la feuille de route présidentielle, mais enrobé de ses propres convictions dont certaines proviennent de son héritage socialiste, parti où il a fait ses classes.
Aussi fallait-il, lors de conférence de presse, s’employer à décrypter sa défense des fondamentaux, lovée dans une rhétorique humaniste. Jean-Michel Blanquer défendait mieux les premiers, Pap Ndiaye la seconde. Gabriel Attal, champion du « en même temps », rompu aux exercices de communication, lance un nouveau style.
Plan français
Difficile de ne pas se laisser prendre par un discours valorisant « chaque élève » dans un projet d’« émancipation », promettant du « sur-mesure » pour tous, défendant qu’on peut « déjouer les pronostics » et les « assignations » : « Chaque élève a une voie qui l’attend pour réussir bien et mieux que ses parents ».
Après le « choc de confiance », le « choc des savoirs » dans une « école qui émancipe et qui élève ». Et cela passe en premier lieu et pour tous par un effort sur les fondamentaux : maths et français, avec une « stratégie ‘‘fondamentaux’’ » déployée dans chaque académie. En maternelle, Gabriel Attal entend « poursuivre et achever » le dédoublement en grande section en éducation prioritaire où 100 % des classes seront plafonnées à 24 élèves. Du côté des enseignants : « Le Plan français et le Plan mathématiques sont désormais déployés dans toutes les académies avec plus de 50 % des professeurs des écoles déjà formés. » En CP, « deux heures seront consacrées à l’apprentissage et la pratique de la lecture ».En cours moyen : « À l’entrée en CM1, tous les élèves qui n’arrivent pas à lire un texte avec fluidité et expressivité, à une vitesse d’environ 90 mots par minute, doivent bénéficier d’une pratique quotidienne renforcée. Chaque semaine, au moins deux textes longs (1 000 mots au moins) doivent être lus par les élèves. En mathématiques, l’accent est mis sur la maîtrise de la résolution des problèmes en plusieurs étapes […] À la fin du CM2, les élèves doivent pouvoir rédiger un texte d’au moins 15 lignes en respectant les règles orthographiques, syntaxiques, lexicales et de présentation. À cette fin, chaque semaine, les élèves de cours moyen doivent produire a minima un texte répondant à ces critères, toutes disciplines confondues. Cette pratique régulière de l’écriture doit s’étendre du CM1 à la 3e. Début 2024, un guide de référence sur l’écriture adossé à la recherche nationale et internationale viendra soutenir l’action de chaque professeur dans sa pratique professionnelle. »
La « nouvelle sixième » est assise sur un accompagnement « renforcé » avec la généralisation du dispositif Devoirs faits « pour tous » mais « individualisé », « au plus près des besoins » car les devoirs sont « on le sait, pourvoyeurs d’inégalités », a insisté Gabriel Attal. Comme l’activité sportive est « essentielle à la bonne santé », et que c’est l’année des J.O., le dispositif expérimental Deux heures de sport en plus s’étend à sept cents collèges. Comme l’émancipation passe par l’éducation artistique et culturelle, le pass Culture s’étend aux 6e et 5e. Glissée entre deux paragraphes, la réduction du corpus de l’épreuve anticipée de français de 20 textes à 16 doit permettre de mieux approfondir…
Des évaluations nationales supplémentaires en CM1 et 4e
Mais tous ces efforts doivent être mesurés et quantifiés : en plus des évaluations nationales déjà existantes en CP, CE1 et 6e, Gabriel Attal a annoncé de nouvelles évaluations nationales en CM1, tout en assurant qu’il s’agit « d’objectiver les difficultés de chacun » afin de pouvoir « faire plus d’efforts pour certains » : « École et savoirs sont une assurance-vie ». Il a d’ailleurs fait une parenthèse sur les stages de réussite organisés pour les élèves en difficulté qui ont repris les cours dès la mi-août grâce à l’engagement d’enseignants « payés le double » dans le cadre du Pacte. Des tests numériques seront également mis en place en quatrième.
Le « retour aux fondamentaux » et la défense des évaluations nationales restent deux marqueurs de droite portés aux nues par le système Blanquer. Mais qui irait se plaindre de l’accent mis sur la lecture – il n’a pas employé le terme « déchiffrage » – et l’expression écrite de textes longs ?
D’autant qu’il a admis deux erreurs : la suppression des mathématiques pour tous – il a annoncé le « retour » à 1h30 de mathématiques pour toutes les premières – et celle du passage des épreuves de spécialité en mars, ce qui a bien contraint l’année des élèves de terminale 2022-2023. Gabriel Attal a martelé avoir « consulté tout l’été » le calendrier scolaire pour arriver à la conclusion que les épreuves de spécialité devaient repasser en juin. Elles ne compteront donc plus pour Parcoursup, la plateforme d’orientation post-bac. « Il s’agit de reconquérir l’ensemble du troisième trimestre », pour que « l’année de terminale soit plus sereine », a soutenu le ministre.
Parce que les heures non remplacées nuisent aux apprentissages – 15 millions d’heures de cours seraient perdues pour les élèves français dont le niveau général aurait baissé d’un an par rapport à 1995 –, Gabriel Attal souhaite déployer le Pacte. Non pas un moyen de « travailler plus pour gagner plus » a-t-il prévenu, n’en déplaise au Snes, vent debout contre ce nouveau principe de remplacement des enseignants – de même « la moitié des non-remplacements est due notre organisation administrative », a-t-il reconnu –, mais une « reconquête » au nom de « l’égalité des chances ». À une journaliste qui lui demandait comment remplacer deux heures de maths si c’est un prof d’histoire-géo qui se présente, le ministre a répondu que l’idéal serait des remplacements par discipline mais qu’une « heure de cours c’était toujours mieux qu’une heure de rien ». La formation continue ne devrait plus non plus être proposée aux enseignants sur leur temps devant élèves. Reste à savoir quand.
Des règles fermes
Gabriel Attal a soigné l’approche des sujets épineux. La rémunération : « Il n’y a aura pas un seul prof titulaire à moins de 2100 euros nets. » Les AESH seront revalorisés, de 10 à 13 %. Les chefs d’établissements également. « Ces revalorisations, nous vous les devions », a-t-il appuyé. L’autorité ?« C’est un préalable à toute transmission », selon lui. « L’enseignement n’est pas une relation d’égal à égal : il y a celui qui sait et celui qui apprend. » Mais il a enchaîné rapidement sur la « complémentarité » éducative entre l’école et les parents, la continuité, le « respect mutuel ».
À propos de l’abaya et du qamis, il avait annoncé défendre une « laïcité ferme », ce qui peut inquiéter dans la mesure où la loi de 2004 pose déjà les lignes concernant le port de signes religieux à l’école. « Il faut faire respecter les principes élémentaires de la République comme la laïcité, a-t-il insisté. Notre école est testée. Nous devons faire bloc. Protéger du prosélytisme. » D’où de nouvelles circulaires édictant des « règles claires » pour répondre aux demandes des chefs d’établissements désemparés : « Le conflit, c’est le flou sur la règle. » Mais sur la manière de résoudre les conflits, Gabriel Attal a défendu des solutions passant par le « dialogue », « l’humain » et la « pédagogie ». La laïcité devrait faire l’objet d’un vade-mecum dédié, bénéficier d’un convoi d’ambassadeurs spécialisés en renfort dans les établissements demandeurs et d’un programme d’enseignement moral et civique remanié. Très important, a répété Gabriel Attal en évoquant à plusieurs reprises « les émeutes de l’été », comme on agite un chiffon rouge et sans mentionner jamais les événements déclencheurs.
Sa cause prioritaire, c’est la lutte contre le harcèlement avec la généralisation du programme Phare et une mesure emblématique : c’est le harceleur qui devrait changer d’établissement et non plus le harcelé. Sa méthode, c’est le Conseil national de la refondation : il a renvoyé à l’exemple marseillais, « matrice des écoles de demain ». Son bébé, c’est le Service national universel, sujet loin de faire consensus : « Plus de 40 000 cette année ont fait un premier pas dans le parcours. Il faut monter en puissance pour que le SNU devienne un passage obligé ». Idem pour le mentorat « puissant levier de réduction des inégalités ». Gabriel Attal n’a pas oublié l’inclusion en visant l’objectif d’une classe Ulis par établissement et le recrutement de 6500 AESH,même si près d’un enfant handicapé sur quatre ne peut aller à l’école selon l’Unapei, association de familles d’enfants handicapés, dans un texte publié ce 29 août. « Soyons unis. Je sais les miracles que peut l’unité pour les causes justes. » a-t-il clamé.
Moins lyrique, Carole Grandjean a misé sur le concret en présentant rapidement les nouveautés pour les 2 100 lycées professionnels : « La réforme prend forme », a-t-elle résumé sans revenir sur son application controversée. Les élèves seront gratifiés pour leurs stages jusqu’à 2 100 euros sur trois ans de formation. Chaque établissement disposera d’un « bureau des entreprises » où trouver un appui pour chercher un stage, une alternance ou un emploi. Et qui pourra accompagner les anciens élèves sans solution. Les cours de français et de mathématiques se dérouleront en effectifs réduits avec des enseignants volontaires pour des groupes « plus agiles et homogènes », et, Pacte oblige, des profs engagés « mieux rémunérés ».
Autre nouveauté : de nouvelles possibilités de formation en bac + 1 avec 5 000 places ouvertes cette année. La voie professionnelle doit être reconnue comme une « filière de réussite », a estimé la ministre déléguée, où se former aux « grandes transitions de demain » pour préparer « des métiers d’avenir ». Les établissements également seront évalués dans leur réussite selon trois indicateurs : la réduction du nombre de décrocheurs, l’augmentation du taux d’insertion, et le taux d’insertion après la poursuite d’études. « Nous devons cette transparence aux élèves », a-t-elle glissé en reprenant une formule du ministre.
« La jeunesse est la priorité du gouvernement », a renchéri Prisca Thévenot en brandissant à son tour le SNU et les colos apprenantes contre « les violences urbaines inacceptables d’une infime minorité », et martelant les mots d’ordre de l’équipe : « émancipation, engagement, cohésion ».
Sur la crise des vocations et le manque d’enseignant, Gabriel Attal s’est voulu rassurant, enfin : les recrutements ont été anticipés, il y a eu un peu plus d’admis au concours, des contractuels ont été fidélisés, et ils devraient être mieux formés. En somme, la rentrée devrait « mieux se passer ». La suite à partir du 4 septembre.
I. M.
L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.