Comment évoquer la guerre en Ukraine avec les élèves ?
Le 24 février 2022, le président russe, Vladimir Poutine, a ordonné à ses troupes d’envahir l’Ukraine. Plusieurs villes ont été bombardées dont la capitale, Kiev. Depuis, les habitants quittent le pays ou se cachent. Les pays occidentaux soutiennent la population et l’armée ukrainiennes sans intervenir militairement. Que raconter aux élèves ?
Par Jean-Riad Kechaou, professeur d’histoire au collège Camille-Corot à Chelles (Seine-et-Marne)
Le 24 février 2022, le président russe, Vladimir Poutine, a ordonné à ses troupes d’envahir l’Ukraine. Plusieurs villes ont été bombardées dont la capitale, Kiev. Depuis, les habitants quittent le pays ou se cachent. Les pays occidentaux soutiennent la population et l’armée ukrainiennes sans intervenir militairement. Que raconter aux élèves ?
Par Jean-Riad Kechaou, professeur d’histoire au collège Camille-Corot à Chelles (Seine-et-Marne)
La guerre menée par la Russie en Ukraine a sûrement conduit de nombreux enseignants des zones A et B à répondre aux questions d’élèves inquiets. On peut aisément les comprendre. Les images des bombardements des villes, des civils terrifiés dans le métro de Kiev et la posture menaçante du président russe Vladimir Poutine à l’égard des pays qui voudraient intervenir, effraient. Sans attendre la fin des vacances, un élève m’a écrit pour me demander si c’était le début d’une troisième guerre mondiale. Je lui ai répondu par la négative, mais la situation est plus tendue qu’on pouvait le craindre.
Le programme d’histoire en 3e aide à comprendre le conflit en Ukraine
Les enseignants de la zone C, qui reprennent lundi 7 mars, ont un peu plus de temps que leurs confrères pour se préparer. Ce sont souvent les professeurs d’histoire-géographie qui se chargent d’apporter des réponses à des interrogations sur l’actualité, mais il faudra certainement que les équipes éducatives se consultent auparavant. Les professeurs principaux ont en effet souvent assuré cette tâche dans le passé avec la classe qu’ils ont sous leur responsabilité. Or, en l’occurrence, il faut pouvoir mobiliser un minimum de connaissances sur les raisons pour lesquelles Vladimir Poutine et l’armée russe ont attaqué l’Ukraine.
L’âge des élèves est aussi à prendre en compte. Il faut aller au plus simple avec des classes de 6e et de 5e,alors qu’il est possible de rentrer plus dans les détails avec des 4e. Pour les 3e, le programme couvre les XXe et XXIe siècles, périodes historiques où l’on trouve l’essentiel des informations pouvant nous aider à comprendre ce conflit. Je dis souvent à mes élèves de 3e en septembre que ce programme d’histoire permet de mieux décrypter le monde actuel. C’est plus vrai que jamais.
Hasard du calendrier, cette guerre en Ukraine se télescope avec l’étude du monde après 1945 (voir programme de 3e ci-dessous) qui est souvent étudié en février-mars.
Trois des quatre chapitres qui composent cette seconde partie (la première traitant du monde entre 1914 en 1945) donnent des pistes pour mieux appréhender cette guerre :
– Un monde bipolaire au temps de la guerre froide.
– Affirmation et mise en œuvre du projet européen.
– Enjeux et conflits dans le monde après 1989.
La fiche Éduscol qui s’y réfère déconseille d’« aborder ces chapitres de manière fragmentée sans aborder le thème comme un ensemble ». Et il faut vraiment suivre cette recommandation.
« Le concept même de la guerre évolue avec la ‘‘ guerre froide ’’, une guerre dont l’enjeu est la liberté de l’Europe occidentale, dans le cadre de l’armement nucléaire et de la destruction possible des deux adversaires majeurs, États-Unis et URSS, mais qui se déroule indirectement, sur des terrains non seulement idéologiques et culturels, mais également très concrets (guerre de Corée, crise de Cuba, Amérique latine, Afrique …). »
La construction européenne s’effectue dans un contexte géopolitique qui divise le continent en deux modèles de développement économique : capitalisme et socialisme, et des régimes politiques opposés : démocratie à l’Ouest et dictature en Europe de l’Est. Après les deux conflits mondiaux qui ont frappé la première moitié du siècle, l’heure est à une volonté de pacification sur le continent.
Le dernier chapitre sur le monde d’après 1989 donne un éclairage sur les conséquences de l’effondrement du bloc communiste : « Un monde multipolaire, où la puissance se matérialise de diverses manières. Le projet d’un ‘‘ nouvel ordre mondial ’’ formulé par le président américain George H. W. Bush reposant sur la puissance américaine, la coopération internationale dans le cadre de l’ONU et l’expansion de la démocratie libérale n’a pas été durable […]. D’anciens conflits persistent, et de nouveaux conflits, dont les racines plongent souvent dans le monde d’avant 1989, surgissent. »
La guerre en Ukraine trouve ses sources dans les évènements de ces trente dernières années : la fin de la guerre froide, la construction européenne et le retour de fortes tensions en Europe avec l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine.
La chute de l’URSS et l’avancée de l’Otan à l’Est
Pour comprendre pourquoi Vladimir Poutine considère l’Ukraine comme une chasse gardée, il faut rappeler que ce pays a été l’une des quinze républiques soviétiques de l’URSS pendant près de 70 ans. La Russie étant le principal État de cette fédération. Sept pays d’Europe centrale et orientale étaient considérés comme des pays « satellites » de l’URSS : l’Albanie, l’Allemagne de l’Est, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie, la Tchécoslovaquie et la Bulgarie.
Ces dictatures communistes (appelées démocraties populaires par l’URSS) ont adhéré à une alliance militaire les liant à l’URSS : le pacte de Varsovie, qui fut lancé en 1955. C’était une réplique à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan), alliance militaire réunissant Américains et pays d’Europe de l’Ouest depuis 1949.
L’Europe était ainsi séparée par le fameux « rideau de fer », expression utilisée par le Premier ministre britannique Winston Churchill pour illustrer la séparation du continent européen en deux blocs. La folle course aux armements a abouti à la situation actuelle : Russes et Américains se sont munis d’un arsenal de dissuasion nucléaire largement supérieur aux sept autres pays disposant de l’arme atomique : France, Royaume-Uni, Israël, Inde, Pakistan, Chine et Corée du Nord.
Après la chute du mur de Berlin en 1989, ces pays satellites de l’URSS sont rapidement devenus des démocraties capitalistes et se sont rapprochés de l’Europe de l’Ouest. En 2004, l’Union européenne est passée de 15 à 25 pays, avec l’entrée notamment des anciens pays satellites de l’URSS – la Pologne, la République tchèque, la Hongrie, la Slovaquie, la Slovénie – et de trois des États baltes qui étaient des républiques soviétiques : la Lettonie, la Lituanie, et l’Estonie.
Ces huit entrants sont rejoints en 2007 par la Roumanie et la Bulgarie, deux autres pays autrefois communistes sous l’influence de Moscou. Anciens membres du pacte de Varsovie, ils ont rejoint l’Otan entre 1999 et 2009.
Un document déclassifié de l’Otan datant de la réunification allemande en 1990 montre pourtant que Mikhaïl Gorbatchev, le dirigeant russe ayant déclenché la dislocation du bloc communiste, avait reçu des Américains un engagement à ne pas étendre cette alliance militaire vers les anciens pays alliés de l’URSS. Celle-ci refusait en effet d’avoir l’armée américaine à ses frontières.
En 2007, Vladimir Poutine (au pouvoir en Russie depuis 2000) a déclaré aussi que cette extension de l’Otan était considérée par son pays comme une provocation.
Sources à ce sujet :
L’élargissement de la Russie, promesse tenue ?, Iris, 21 décembre 2017.
L’Otan ne s’étendra pas d’un pouce vers l’Est, Le Monde diplomatique, septembre 2018.
La guerre en Géorgie, prémices de la guerre en Ukraine
En avril 2008, réunie en sommet à Bucarest, l’Alliance Atlantique a annoncé que la Géorgie et l’Ukraine, deux anciennes républiques soviétiques, deviendraient à terme membres de l’Otan.
Cela a provoqué la colère du président russe. En août 2008, l’armée russe est intervenue en Abkhazie et en Ossétie du Sud, deux régions séparatistes en Géorgie. Dans la foulée, Moscou a reconnu l’indépendance de ces deux territoires et s’est engagée à assurer leur sécurité. L’Ukraine, prenant peur, a alors déposé une demande d’adhésion à l’Union européenne.
Le 11 mars 2014, une région ukrainienne majoritairement russophone, la Crimée, a proclamé son indépendance. Les troupes russes étaient massées à ses frontières depuis février. Ancien territoire russe depuis le XVIIe siècle, cédé à l’Ukraine par Nikita Khrouchtchev en 1954, et stratégique notamment pour son accès à la mer, la Crimée conservait un intérêt pour la Russie que Poutine n’était pas prêt à abandonner. Les dirigeants de la nouvelle République de Crimée et le président russe ont donc signé un accord entérinant son rattachement. Cela a provoqué un réel émoi dans toute l’Europe, mais sans conséquence pour Poutine et sans commune mesure avec les réactions de solidarité avec l’Ukraine.
L’impérialisme de Vladimir Poutine
Vladimir Poutine est un pur produit de la guerre froide : il fut un officier du KGB – services de renseignement de l’URSS après Staline –, puis directeur du service fédéral de sécurité (FSB) sous la présidence de Boris Eltsine. Il a toujours cherché à inverser le rapport de force en faveur de l’Europe occidentale depuis le démantèlement de l’URSS en 1991. Dès lors qu’il a succédé à Boris Eltsine en 2000, on parle d’un retour de la guerre froide : cette période de tensions entre les alliés occidentaux et le bloc de l’Ouest, qui a suivi la fin de la guerre jusqu’à la chute du mur de Berlin en 1989 et la dislocation de l’URSS en 1991.
Si le communisme a disparu, la dictature est plus que jamais de mise en Russie avec une presse muselée, des opposants emprisonnés et des soulèvements indépendantistes réprimés violemment comme en Tchétchénie. Vladimir Poutine soutient également des dictateurs au pouvoir, en Biélorussie ou en Syrie notamment.
La reconnaissance par ce dernier des deux territoires séparatistes du Dombass à l’est de l’Ukraine, où vivent une majorité de russophones (comme en Crimée), est le prolongement direct de sa politique de reconquête du territoire de l’URSS entamée dès son accession au pouvoir.
Depuis 2014, l’Ukraine est résolument tournée vers l’Europe de l’Ouest. En effet, alors que le pouvoir central se rapprochait de la Russie, la révolution ukrainienne de février de cette même année, avec ses manifestations pro-européennes (appelées Euromaïdan) a amorcé un net virage à l’Ouest. C’est l’arrivée au pouvoir de pro-européens qui a entraîné l’est de l’Ukraine dans une guerre civile entre séparatistes russophones et armée ukrainienne.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky, au pouvoir depuis mai 2019, a donc hérité de cette guerre civile.
Même s’il a tenté de mettre fin au conflit en donnant des signes d’apaisement aux populations russophones (Volodymyr Zelensky étant lui mérite russophone), le jeune président a poursuivi le rapprochement avec l’Union européenne. Il a choisi Bruxelles comme premier voyage officiel et a rappelé sa volonté d’adhérer à l’Union européenne et à l’Otan.
Élu démocratiquement, Volodymyr Zelensky va dans le sens voulu par une majorité d’Ukrainiens. Il faut le rappeler aux élèves. L’Ukraine est une démocratie avec un gouvernement indépendant qui ne veut pas être, à l’instar de son voisin biélorusse, un satellite de la république russe comme au temps de la guerre froide.
Pourquoi la France est-elle aussi présente dans ce conflit ?
Si le président Emmanuel Macron est aussi présent dans les pourparlers avec Vladimir Poutine et Volodymyr Zelensky, c’est surtout parce que la France assure depuis janvier, et jusqu’en juin 2022 ; la présidence du conseil de l’Union européenne. Le changement récemment de chancelier en Allemagne et le Brexit expliquent aussi ce leadership pris par notre président dans l’Union.
L’interventionnisme français est aussi dû à un changement de politique internationale. En effet, la France a quitté l’Otan entre 1966 et 2009 sur décision du général de Gaulle. Bien qu’ami et allié des Américains, il s’est fait le relais d’une volonté française de non-alignement sur la politique américaine. On peut aussi questionner la légitimité d’une alliance militaire qui défendait l’Europe de l’Ouest pendant la guerre froide mais qui a continué d’exister après. En 2009 cependant, Nicolas Sarkozy, président « atlantiste » a œuvré pour que la France réintègre l’Otan.
Dans son allocution du mercredi 2 mars, Emmanuel Macron a rappelé que ni la France ni aucun pays d’Europe n’étaient en guerre avec la Russie et que l’ensemble du peuple russe ne pouvait assumer les décisions d’un seul homme. Il a aussi assuré que l’Ukraine n’allait pas devenir un pays de l’Otan.
Ce ne sera pas suffisant pour Vladimir Poutine qui souhaite mettre ce pays sous tutelle. L’Ukraine est un vaste pays, une grande puissance agricole également riche en minerais. Elle fait aussi figure, avec la Biélorussie, de zone tampon avec l’ouest de l’Europe.
La peur légitime des Européens est que ce nouvel impérialisme russe se poursuive vers d’autres États, cette fois-ci membres de l’Union et de l’Otan, comme les États baltes. C’est pourquoi une réplique économique et culturelle sans précédent de l’Europe et des Américains a été lancée dès le début de l’invasion de l’Ukraine. L’objectif étant de fragiliser la Russie et d’isoler son dirigeant politiquement en provoquant un mécontentement chez les Russes, mais aussi chez les oligarques russes, milliardaires proches du pouvoir, qui ont perdu des milliards d’euros en quelques jours.
Étudier l’actualité sans vision partisane
Face à une telle situation, il faut éviter d’être pris par l’émotion devant les élèves. Les explications ne doivent pas non plus être partisanes ni manquer de nuances. L’histoire en tant que telle faisant partie des sciences humaines est forte de cette exigence.
Comme dans toute guerre, se joue également une véritable guerre de l’information. Chaque camp diffusant des informations allant dans son sens pour rallier le maximum de partisans à sa cause. La décision de faire cesser la diffusion des chaînes d’actualités russes en France, RT et Sputnik, en est un exemple. De même, on ne peut pas accorder de crédit aux accusations de néonazisme lancées par Poutine à l’encontre du gouvernement ukrainien : il utilise ce terme pour justifier son attaque. Reste qu’il existe une milice néonazie ukrainienne (le régiment Azov) dans les républiques séparatistes du Dombass. Mais il en existe aussi une du côté russe avec la force Wagner considérée comme l’armée secrète de mercenaires du président Poutine.
Si la plupart des médias mettent en avant uniquement l’élan de solidarité des pays frontaliers de l’Ukraine avec les réfugiés, les élèves réagiront peut-être au sort des populations africaines et asiatiques habitant l’Ukraine qui ont beaucoup plus de mal à traverser les frontières. Si l’argument des pays d’accueil est que les pays d’origine ne coopèrent pas, il existe une différence de traitement flagrante avec les réfugiés non européens d’autres pays en guerre…
J.-R. K.
Ressources pédagogiques :
« Autour de la guerre en Ukraine : les étapes à suivre en classe », Alexandre Lafon, L’École des lettres, 8 mars 2022.
Un poète ukrainien, chantre de la liberté, Pascal Caglar, L’École des lettres, 4 mars 2022.
Évoquer la guerre en Ukraine dans nos classes – quelques pistes, ressources pédagogiques, APHG, 25 février 2022.
Six documentaires à voir pour comprendre la guerre en Ukraine, Télérama, 1er mars 2022.
Andreï Kourkov : « Nous, intellectuels ukrainiens, sommes unis », Isabelle Mandraud, Le Monde, 4 mars 2022.
La singulière version de l’histoire de l’Ukraine selon Vladimir Poutine, France Culture, 23 février 2022.
Ukraine : et si la guerre avait déjà commencé ?, Philosophie magazine, 22 février 2022.
Que pèsent les mouvements néonazis en Ukraine ?, France culture, 3 mars 2022.
La Russie inquiétante de Poutine, livre numérique, Libération, 2014.