"Journal de France", de Raymond Depardon
Le dernier film de Raymond Depardon se veut le bilan d’une vie de couple, un journal de travail, un voyage dans l’espace et dans le temps.
Toujours sur les routes dans son camping car, il photographie la France ; moins encline à bourlinguer, son épouse depuis 1987, l’ingénieur du son et productrice Claudine Nougaret, voyage sur place en s’attachant à retrouver, comme autant de souvenirs, des bouts de films inédits qu’il garde précieusement : ses débuts à la caméra, ses reportages autour du monde, des bribes de leur mémoire.
Tous deux tentent d’éduquer le regard, de faire comprendre en quoi consiste le travail du photographe, quête d’un naturel plus difficile à saisir que les « instants décisifs » que nous croyons toujours photographier.
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Des images inédites de l’Histoire des cinquante dernières années
Depardon a parcouru le monde comme grand reporter de l’agence Gamma qu’il a créée en 1966 avec Gilles Caron. Il nous livre des images inédites, jamais montées : il a été le seul à pouvoir interviewer Françoise Claustre au Tchad en 1974 durant sa détention ; il a filmé le Printemps de Prague tout de suite après que l’étudiant Jan Palach s’est immolé par le feu ; il a fait parler les légionnaires engagés au Biafra en 1968. L’Histoire des cinquante dernières années en somme, dans sa dimension la plus humaine. Du coup, à près de soixante-dix ans, il « connaît mieux Djibouti que la Meuse ».
À la suite d’une commande, il s’est donc mis à sillonner et à filmer une France quotidienne, invisible, dans laquelle pourtant rien n’est anodin. Les visages, les accents, les coutumes, les cafés, tout un patrimoine humain en voie de disparition. La vie de ce coiffeur devenu coiffeur pour hommes au temps où la mode en faisait un métier rentable, et expulsé du salon qu’il tient depuis cinquante ans, est tout aussi politique à ses yeux que la campagne présidentielle de Valéry Giscard d’Estaing, sur laquelle il a fait un film mémorable, Une partie de campagne (1974), qui lui a valu la prison, a été interdit, puis censuré.
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Une simplicité recherchée
Maintenant Depardon cherche l’apaisement. Solitaire, il épie la lumière, les couleurs extraordinaires de ce pays unique. Et s’il a accepté de signer la photo officielle de François Hollande, c’est pour faire, comme toujours, œuvre à la fois esthétique et politique. Portrait-paysage, loin de toute sophistication, d’un homme littéralement baigné par le beau vert de la pelouse de l’Élysée, vue frontale du président sortant de son palais, les mains vides, à contrejour, image qu’il a voulue « d’une normalité majestueuse ».
C’est l’exemple même de la simplicité que Depardon n’a cessé de rechercher, une simplicité travaillée, derrière laquelle se devine un regard. Tout le film raconte l’aventure de cette recherche, un itinéraire de vie, une adéquation du microcosme vécu avec le monde environnant. Les images du présent éclairent celles du passé, ou inversement.
Comme si tous les bouts de pellicule ramenés des quatre coins du monde avaient abouti à ce regard patient sur la France, en quête d’harmonie personnelle avec les sujets filmés. Dans ce journal intime, ce film à deux voix, cette histoire d’amour entre l’image et le son, les portraits succèdent aux paysages et s’y superposent. La bande son mêle Gibert Bécaud, Gloria Lasso, Patti Smith, Alexandre Desplats, comme si le dialogue musical entre le mari et la femme était celui de deux générations (ils ont dix-sept ans d’écart).
On a l’impression d’écouter la radio de la voiture ou du camping car. De voir et d’entendre une histoire très familière, notre histoire en chansons, avec ce qu’elle comporte à la fois d’individuel et d’universel.
Anne-Marie-Baron