L’épreuve d’ancien français menacée de suppression au CAPES
Aristote, on le sait, définit la vérité comme la correspondance entre ce qui est dit et ce qui est. Chacun jugera du traitement réservé à la vérité par le ministère lorsque ce dernier exprime sa considération pour les enseignants, son souci de leurs compétences, sa reconnaissance pour leur mission républicaine, éducative et culturelle, et, dans le même temps, porte coup sur coup à la formation disciplinaire, à la qualité des concours de recrutement, au savoir comme fondement du métier de professeur.
Comment apprendre la langue aux élèves si on ignore son évolution ?
Le dernier coup en date vise le CAPES de lettres modernes, par la suppression annoncée de l’épreuve d’ancien français qui, rappelons-le, avait déjà fusionné avec celle de grammaire il y a une dizaine d’années. Quel mépris pour la formation du futur prof de français ! Quel mépris pour notre patrimoine littéraire et culturel ! Quel mépris pour l’histoire de notre langue, son vocabulaire, sa syntaxe ! Il faut être bien ignare ou, surtout, bien indifférent à la qualité disciplinaire des enseignants pour priver les candidats d’une épreuve-clé dans la constitution d’une culture grammaticale.
Ce souci de l’apprentissage de la langue, qui se manifeste dans tous les textes officiels, comment se manifestera-t-il si les études de langue et littérature du Moyen Âge sont marginalisées à l’université et ignorées aux concours de recrutement ? Comment expliquer aux élèves que « copain » et « compagnon » sont un même mot au cas sujet et au cas régime, tout comme « sire » et « seigneur », ou encore « on » et « homme » ? Comment expliquer pourquoi le pluriel de « cheval » est « chevaux », le féminin de « sauf » est « sauve », pourquoi « chétif » et « captif » ont la même origine, tout comme « ausculter » et « écouter », et tous les doublets du français ? Pourquoi certaines voyelles prennent un accent circonflexe (hôpital / hospitalité), pourquoi la terminaison de l’imparfait a été en « -oit » avant d’être en « -ait », pourquoi certains verbes conjugués sont formés sur deux radicaux (je sais / nous savons) ? Comment imaginer qu’un prof de français n’ait pas fourni la preuve de connaissances minimales concernant la formation de la langue française et son évolution ?!
Un recul dans la formation des professeurs
Certes, l’épreuve n’a jamais été facile, mais sa préparation a toujours été nécessaire. Espérer attirer des jeunes vers l’enseignement en supprimant des épreuves qui font peur est pitoyable. Tous les profs qui ont suivi ces cours, même s’ils n’ont pas brillé au concours, se sont véritablement initiés aux mécanismes de l’évolution phonétique, morphologique ou syntaxique du français. Ils ont reçu les bases d’une compréhension possible de tous les phénomènes linguistiques qui ont transformé le latin en français. La suppression de l’ancien français n’est pas un pas en avant dans la formation du professeur, c’est un recul, une régression, une décadence.
Pensons à l’invention de cette science de l’ancien français au XIXe siècle, pensons à ce qu’elle symbolisait de réappropriation de notre histoire et de notre culture, pensons aux progrès qu’elle permit de réaliser dans la connaissance de cinq siècles de littérature, pensons aux grands médiévistes dont l’université française peut s’enorgueillir, et pensons aux intérêts mesquins d’un concours qui se réforme sans bruit et sans gloire : il y a de quoi être amer, de quoi rallier tous ceux qui protestent, interpellent et se mobilisent pour que la formation des enseignants reste à la hauteur des ambitions fixées par une République éprise d’éducation. Le fameux « niveau des élèves », si cher à la société, ne montera jamais si, dans le même temps, le niveau des enseignants diminue.
Le Moyen Âge, si longtemps associé aux temps gothiques, aux temps barbares, en disparaissant du CAPES, signe véritablement le retour des temps obscurs.
Pascal Caglar
Nous nous préparons des heures amères si nous supprimons la connaissances des cultures anciennes et traditionnelles. Au delà même des questions de langue et de grammaire, je mesure à quel point la connaissance des cultures autres que la culture occidentale contemporaine est vitale pour nous, et à quel point nous, qui en détenons les clés, avons un rôle majeur à jouer dans la transmission du sens. Ce ne sera pas la peine de pleurer le jour où nos dirigeants se demanderont ce qui se passe et où le sens des institutions a pu se perdre.