La formation des enseignants au crible de la Cour des comptes
Certes, une enquête de la Cour des comptes n’a pas la même incidence que le compte-rendu d’une commission voulue par un gouvernement. Néanmoins, en période de restriction budgétaire, ses prescriptions ne sauraient être balayées d’un revers de main par l’exécutif.
Aussi, son appréciation synthétique du rapport coût / efficacité de la formation des enseignants, datée du 12 mars 2018 (rendue public le 4 juin) et à destination du ministre de l’Éducation nationale et de celui de l’enseignement supérieur mérite-t-elle une lecture attentive.
Le bilan contrasté des ÉSPÉ
Trente-deux Écoles supérieures du professorat et de l’éducation dans l’Hexagone et une réalité quantitative indéniable rappelée par l’enquête : 65 000 étudiants à la rentrée 2016 en master « Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation « , soit rien moins qu’un étudiant de master sur six en France.
La Cour des comptes, en revanche, constate une insuffisance de pilotage des universités auxquelles sont adossées les ÉSPÉ. Et, corrélativement, son enquête pointe au premier chef la question budgétaire et plus spécifiquement la trop faible transparence du coût réel du Master MEÉF au sein des différentes universités. En outre, cette enquête questionne l’efficacité de la formation en alternance mise en place depuis 2014.
À ce titre, l’introduction de la partie 2 du compte-rendu, « Mieux recruter, former et accompagner les jeunes enseignants », est censée interpeler les deux ministères concernés. En effet, la phrase énoncée reste sinon critique au moins sceptique sur l’efficacité de la nouvelle modalité de formation :
« L’allongement de la durée des études pour se présenter au concours de recrutement, puis la création du master MEÉF et la rénovation des concours n’ont pas, paradoxalement, garanti une élévation du niveau de compétences disciplinaires, ni une professionnalisation nettement accrue. »
Deux points critiques
L’enquête souligne la très nette disparité des niveaux de recrutement :
« Le taux de réussite aux concours est d’un candidat sur quatre dans le premier degré, (26,2 %, ratio admis/présents en métropole et d’un candidat sur trois dans le second degré [30,2%] mais cette moyenne recouvre des taux de sélectivité très faibles des concours de professeurs des écoles de certaines académies [2 candidats sur 3 sont admis dans les académies de Versailles et de Créteil] ainsi que des concours du 2nd degré dans certaines disciplines en tension [mathématiques, lettres modernes, anglais, allemand]). » (Note 6, page 2.)
Autre point stigmatisé par la Cour des comptes, le pourcentage élevé de non-titularisations : « 11 % en 2016 dans le premier degré et 10,7 % dans le second degré, soit un stagiaire sur dix ». D’où la préconisation d’un suivi encore plus rigoureux et contractualisé des stagiaires au cours de leur année de formation en alternance en prenant modèle sur ce qui se pratique dans l’académie de Versailles.
Vers un réaménagement du concours
La Cour des comptes se fait par ailleurs l’écho des difficultés d’organisation que rencontrent les professeurs stagiaires qui doivent dans la même année, en M2, à la fois valider un master, rédiger un mémoire professionnel et bien entendu assumer un stage en responsabilité avec pour conséquence un temps réduit en matière de retour réflexif sur leur pratique.
Pour éviter cet empilement des compétences exigées sur une même période, il apparaît nécessaire que la professionnalisation démarre plus tôt afin d’assouplir la chronologie de l’apprentissage du métier d’enseignant. En ce sens, l’idée émise est de prendre le problème plus en amont, au niveau de la licence.
Pour ce qui concerne les professeurs des écoles, il s’agirait de promouvoir des licences certes encore « générales » mais comportant en corrélat d’une « majeure » (ex : mathématiques), une « mineure » (ex : français) dispensée dans un autre UFR.
Au niveau du second degré, l’accent est mis sur le manque de professionnalisation de l’année de M1 qui s’apparente encore trop à une « préparation disciplinaire » du fait de la présence du concours (CAPES) à la fin de cette année universitaire. Même la mise en place du dispositif ÉAP (« étudiants apprentis professeurs ») est jugé insuffisante.
Pour la Cour des comptes, la formation des enseignants tirerait donc grand bénéfice à voir les épreuves d’admissibilité se déplacer en fin de Licence et les épreuves d’admission se maintenir en M1.
Des recommandations recommandables ?
Coût de la formation, rationalisation de la formation, mutualisation de la formation, meilleure adaptation au bassin académique où est adossé l’institut de formation, la Cour des comptes joue son rôle à plein en invitant à davantage d’efficacité. Il n’en reste pas moins que la mise en place des ÉSPÉ ne justifie pas une remise en cause radicale. Comités de suivi, comités de pilotage, les instruments de leur optimisation existent et ont déjà permis de les faire progresser.
La question de l’avancement d’une partie du concours en fin de L3 constitue la recommandation phare de l’enquête. Dans certaines universités où sont déjà mis en place en licence des modules de « pré-professionnalisation », on peut effectivement remarquer combien ils invitent les étudiants à s’interroger en amont sur les implications du métier d’enseignant.
Faisant de l’année de licence une préparation disciplinaire, de l’année de M1 une préparation à vocation didactique et de l’année de M2 une année à caractère principalement pédagogique, le dispositif de formation recommandé par la Cour des comptes semble cohérent. Sauf qu’une nouvelle fois la question de la rémunération n’est pas posée, pas plus que les différentes causes du manque cruel de forces vives dans les académies déficitaires.
La Cour a donc fait ses comptes sans que la rationalité de sa démarche n’épuise les interrogations fâcheuses. Aussi faut-il espérer que les mois à venir, où s’ouvrira à nouveau le chantier éternellement recommencé de la formation des enseignants, seront propices à une mise à plat des réalités contrastées du plus beau métier du monde.
Antony Soron, ÉSPÉ Sorbonne Université
• Télécharger le référé de la Cour des comptes du 12 mars 2018.
• Voir également sur ce site : Le recours croissant aux personnels contractuels dans l’Éducation nationale. Le rapport de la Cour des comptes., par Pascal Caglar.