Héros virtuels et véritable héroïsme
La figure du héros :
un objet littéraire
et un objet de prise de conscience
La culture BD à la sauce Marvel connaît un épanouissement sans limites depuis que le cinéma a entrepris sa déclinaison à l’infini. Malheureusement, face à l’oppression terroriste, nul super-héros n’a été entrevu à Paris hier comme à Bruxelles aujourd’hui pour stopper la furie de l’entreprise homicide.
D’un côté donc, dans la culture des élèves, ce personnage invincible qui triomphe quelle que soit l’horreur traversée à la manière de Batman dans The Dark Night. Et, de l’autre, ces personnages outrageusement vengeurs, fers de lance des « war games », où les enfants et adolescents ont d’un simple clic tout loisir de massacrer sans limites.
À l’heure du virtuel et de son inquiétante contagion des imaginaires, la notion même de héros donne l’occasion d’une redéfinition. Il pourrait être intéressant d’y réfléchir dans le cadre d’un continuum d’apprentissages de la classe de troisième à celle de première, voire jusqu’au BTS : un tel projet susceptible de générer des échanges interactifs entre les différents niveaux scolaires et d’engager par là même entre eux des passerelles plus tangibles qu’à l’accoutumée.
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Les vrais héros sans panoplie
La presse a eu le bon ton dans la période post-traumatique d’après le vendredi 13 novembre 2015 – qu’on lise par exemple les billets de l’urgentiste Patrick Peloux dans Charlie Hebdo –, de mettre en perspective qu’en stricte opposition avec la lâcheté intrinsèque des terroristes armés contre des victimes désarmées au sens propre comme au sens figuré, un grand nombre de gestes authentiquement héroïques ont été réalisés.
De la fiction au réel, la définition même de l’héroïsme se révèle ainsi susceptible d’être interrogée. La focalisation sur les attitudes valeureuses adoptées par des citoyens de tous horizons mérite d’être prolongée dans le cadre d’apprentissages scolaires relevant du cours de français . Le programme de la classe de troisième apparaît adapté à une réflexion sur l’idée d’héroïsme de circonstances, caractéristique des moments de terreur et d’oppression où le quidam se met à la hauteur de son humanité profonde.
En effet, il est commun pour le professeur de lettres, en lien avec le programme d’histoire, de réfléchir à la question de l’engagement en se polarisant notamment sur les actions assumées en faveur de la résistance.
L’ethos du Docteur Rieux
Si les possibilités de choix d’une œuvre de référence pour ancrer littérairement cette réflexion sur l’héroïsme demeurent nombreuses, la brûlante actualité invite sans doute tout particulièrement à relire La Peste de Camus : ce que les programmes actuels de la classe de troisième et ceux de première rendent possible. De La Peste, l’auteur moraliste lui-même disait dans une lettre à Roland Barthes : « [elle] a cependant comme contenu évident la lutte de la résistance européenne contre le nazisme ».
Soignant inlassablement les pestiférés, par sympathie pour l’humaine condition, le docteur Rieux justifierait a priori tout naturellement la caractérisation de héros. Or, de façon définitive et quelque peu paradoxale, le personnage narrateur récuse cette sublimation de son œuvre ad hominem en la reliant exclusivement à une éthique de la responsabilité et de l’honnêteté.
« Rieux se leva, avec un air de soudaine lassitude.
– Vous avez raison, Rambert, tout à fait raison, et pour rien au monde je ne voudrais me détourner de ce que vous allez faire, qui me paraît juste et bon. Mais il faut cependant que je vous le dise : il ne s’agit pas d’héroïsme dans tout cela. Il s’agit d’honnêteté. C’est une idée qui peut faire rire, mais la seule façon de lutter contre la peste, c’est l’honnêteté.
– Qu’est-ce que l’honnêteté ? dit Rambert, d’un air soudain sérieux.
– Je ne sais pas ce qu’elle est en général. Mais dans mon cas, je sais qu’elle consiste à faire mon métier. » (La Peste, « Folio », Gallimard, p.151.)
Mis en relation avec l’action de la résistance contre l’oppression nazie, le texte de Camus valorise en somme l’idée que chacun possède en lui non – exagérément – un héros qui sommeille mais bien – réalistement – un résistant en devenir que des circonstances extrêmes engageront peut-être un jour à s’embarquer dans l’histoire immédiate.
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Revaloriser les vrais héros de notre temps
La réflexion sur l’héroïsme invite par conséquent à établir des points de convergence entre la fiction et la réalité tout à la fois passée et actuelle. En ce sens, cet objet d’étude aux vertus transversales peut représenter une occasion, notamment lors de la semaine de la presse, d’investir les journaux en tant que rapporteurs d’actions anonymes dignes d’être connues, transmises et conservées en mémoire. Dans notre temps déraisonnable où l’on conviendra avec Aragon qu’on a mis « les morts à table », et selon une perspective civique et citoyenne, il peut être fructueux de redonner toute son importance à cet héroïsme sans éclat, sans fanfare médiatique.
Pour des collégiens ou des lycéens, cela peut constituer une occasion unique de revisiter tout un système de valeurs et peut-être aussi toute une série de leurres médiatiques. En outre, l’on sera à même de « rassurer » les élèves sans les prendre cependant pour des individus trop candides.
En effet, s’il est bien illusoire de penser que l’on est désormais à l’abri des balles du fait de la mise en place et du prolongement de l’état d’urgence, il est en revanche assez rassurant – au moins en conscience – de savoir que contrairement aux pires prophéties déclinistes l’« humain trop humain » n’est pas complètement anéanti et que le voyage au bout de la nuit la plus sombre dans lequel les barbares ont entraîné hier Paris, Bruxelles aujourd’hui – et quelle capitale encore ? – n’a permis ni de faire d’eux des héros dont ils espéraient endosser la panoplie ni d’éliminer durablement ceux qui n’avaient jamais réclamé à quiconque de l’être.
Antony Soron, ÉSPÉ, Paris
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Deux documents paru dans “l’École des lettres” à télécharger :
• Les héros de légende, de la Bible à Batmann, par Norbert Czarny.
• Dictionnaire des héros, par Yves Stalloni.
et parmi les articles publiés sur ce site :
• Le passé des héros et le futur de l’industrie : « Star Wars VII. Le Réveil de la force », par Jean-Marie Samocki.
• Titeuf en héros tragique – des vertus pédagogiques du buzz, par Antony Soron.
• « Birdman », d’Alejandro González Iñárritu, des super-héros aux anti-héros, par Anne-Marie Baron.
• « Ave, César ! », de Joel et Ethan Coen, parodie des genres cinématographiques, par Anne-Marie Baron.
• « L’Imposteur », de Javier Cercas, par Norbert Czarny.
• « Aurais-je été résistant ou bourreau ? », de Pierre Bayard, par Yves Stalloni.