« Vincent n’a pas d’écailles », de Thomas Salvador
C’est peu de dire que Vincent aime l’eau. Elle est son élément naturel. Dès les premières images du film de Thomas Salvador, il s’y ébroue, y nage, y plonge, y ondule, y crawle, y papillonne.
Lacs, torrents, fontaines, canaux, lavoirs, mais aussi baignoire, douche, pluie tout lui est bon. Jusqu’au moindre seau d’eau. Pourquoi ?
Parce qu’il s’y ressource, s’y régénère et y puise une force extraordinaire. Sec, il est un homme normal ; mouillé, il devient invincible, Vincent.
Du documentaire à la fiction
Curieux super-héros pourtant que ce garçon solitaire, travailleur, timide, peu bavard. Rien d’autre ne le distingue de ses compagnons de chantier que cette force herculéenne occasionnelle, qu’il tient secrète car il n’a pas d’occasion de s’en servir. Il reste un peu en retrait, sans éviter pourtant l’amitié, l’amour même. C’est alors qu’il dévoile son secret dans une intimité sans risque. Mais quand il doit secourir un camarade violemment attaqué, il blesse son assaillant et se trouve pourchassé par la police.
Thomas Salvador est passionné de BD, de cinéma, d’alpinisme. Son premier film, Dans la voie (2004), est un documentaire sur un guide de haute montagne qui conjoint toutes ces passions. Le second, De sortie (2005), un court-métrage, remporte le prix Jean Vigo. Puis c’est Je suis une amoureuse en 2007, chronique d’une rupture et évocation des souvenirs d’amour d’une jeune femme.
Un film à la fois réaliste et fantastique, drôle et poétique, …
Dans Vincent n’a pas d’écailles, le cinéaste interprète lui-même une fiction à la fois réaliste et fantastique, drôle et poétique. Sans effets spéciaux numériques, il invente un mythe moderne sur la différence et le personnage mystérieux d’un ondin qui doit moins à la mythologie allemande qu’au Narcisse d’Ovide ; aux personnages comiques des films muets, rendus inoubliables par Harold Lloyd ou Buster Keaton, à l’homme-poisson Mark Harris dans la série télé L’Homme de l’Atlantide. Mais aussi aux évolutions aériennes si spectaculaires des films d’arts martiaux asiatiques.
Pourtant si les grands mythes sont convoqués, ils restent curieusement à l’arrière-plan dans cette œuvre d’une simplicité, d’une quotidienneté presque plate, dont le doux anti-héros si effacé ne reprend sa vigueur que lorsqu’il s’asperge. Il est alors prêt à toutes les cascades.
… énigmatique et tendre
Sans explication rationnelle, avec une remarquable économie de moyens, Thomas Salvador parvient à nous intriguer, à nous attacher par un film énigmatique et tendre. Le document social et rural n’y est transcendé que par une nature magnifique, les paysages idylliques des gorges du Verdon.
Vincent se fond en elle, à la fois oiseau bondissant, poisson volant et papillon évoluant avec grâce et majesté. À peine humain, extra-terrestre à la fois terrien et marin, il fuit à la nage le monde trivial de la violence et de l’injustice pour tracer son sillage des eaux dormantes jusqu’à la mer immense où il rejoint sans doute à travers les vagues ses véritables congénères, ondines, nymphes, sirènes. Bon vent, Vincent !
Anne-Marie Baron
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