« Véro en mai », d'Yvan Pommaux et Pascale Bouchié, un album de jeunesse pour comprendre Mai 68
En classe de cinquième, l’entrée des programmes, “Vivre en société, participer à la société. Avec autrui: familles, amis, réseaux”, donne le loisir de proposer aux élèves des œuvres littéraires, graphiques et/ou cinématographiques où la narration d’un bouleversement sociétal croise celle d’un personnage, notamment celui d’un enfant ou d’un adolescent.
Aussi, alors que l’on fête le cinquantenaire de Mai 68, pourrait-il être fructueux d’explorer une période historique propice aux changements et où les relations intergénérationnelles et familiales se sont à la fois tendues et intensifiées. Dans cette perspective, il apparaît tout particulièrement intéressant de proposer aux élèves de cinquième Véro en mai, d’Yvan Pommaux et Pascale Bouchié.
Un album “drôlement” instructif
Véronique Robin, “dite Véro” naît au Tchad en 1959 alors que ses parents vivent leur dernière année d’expatriation. Elle a donc neuf ans en 1968 au début du récit et vit dans la banlieue parisienne. L’album évoque son enfance sur fond de crises internationales (guerre du Vietnam) et sociales.
L’enjeu est ici à la fois de raconter la manière de vivre d’une enfant d’une autre époque (quoique pas si lointaine) en la dessinant au sens plein du terme afin de la rendre palpable aux jeunes lecteurs qui n’en ont qu’une connaissance floue pour la plupart.
Un contenu transdisciplinaire
L’album présenté aux élèves est une véritable “mine” d’informations. Il supposera par conséquent un décryptage de la part du professeur. En effet, à cinquante ans d’intervalle, la société mise en mots et en images semble à tout point de vue bien éloignée de la leur. Ce sera d’ailleurs un angle d’attaque efficace du projet de lecture en classe.
D’un certain point de vue, en effet, Véro en mai présente une forme de “magasin de curiosités” (45 tours, télévision en noir et blanc, Peugeot 404…). En ce sens, il ne faut pas perdre de vue l’ambition des auteurs qui consiste aussi à raconter une histoire pour transmettre des connaissances. Comme en témoigne un autre album d’Yvan Pommaux, Nous, Notre histoire (l’école des loisirs, 2014), l’ignorance et l’oubli restent pour lui deux fléaux contre lesquels la littérature de jeunesse se doit de lutter, même modestement.
Une micro-séquence pour la classe de cinquième
Album de quarante-cinq pages, Véro en mai est doté d’un contenu informatif assez dense. Il se révèle par conséquent très adapté à un retour réflexif en classe. En effet, comme c’est souvent le cas avec la lecture d’albums par des collégiens, sa première approche autonome a toutes les chances d’être rapide: les jeunes lecteurs se contentant de capter la trame de l’histoire sans trop s’attarder sur les détails, a fortiori quand ils n’en perçoivent pas immédiatement le sens. Or, justement, l’objectif est ici de revenir sur certaines pages de l’album afin d’en comprendre plus précisément les tenants et aboutissants.
Pour Yvan Pommaux, l’album a sans aucun doute la vertu d’être un vecteur de communication entre les enfants et les adultes. Il pourra ici être appréhendé comme une pièce à conviction sur laquelle le jeune lecteur aura tout loisir d’enquêter et de se questionner.
Modalités de relecture de l’album
L’idée serait de consacrer une quinzaine de jours à la relecture de l’album proposé dans un premier temps en lecture cursive. Aux activités de lecture compréhension / écriture menées en classe s’ajouteront à la fin de chaque séance des suggestions de recherche documentaire à réaliser de façon autonome (seul ou en binômes). À titre d’exemple, les élèves devront ainsi se renseigner sur l’épisode final où l’on voit “Neil Armstrong poser le pied sur la Lune” (p. 45).
L’objectif en classe et hors de la classe sera en outre de conduire les élèves à un questionnement global (écrit et oral) : l’album provoquant nécessairement des inférences entre la vie de “Véro” en 1968 et la leur en 2018. On veillera à ce que les élèves puissent avoir chacun l’album en main. Ce qui pourra supposer un achat de plusieurs exemplaires par le CDI si les élèves ne sont pas tous en mesure de se le procurer. En effet, il est indispensable que Véro en mai circule dans la classe.
Parallèlement, dans le cadre spécifique de l’étude d’une page ou d’une double-page, on projetera celle-ci par voie numérique afin d’en faciliter le commentaire collectif.
Structure de la micro-séquence
Problématique : Comment le récrit graphique représente-t-il les relations d’une enfant en société et à l’intérieur de la famille? En quoi cette représentation est-elle susceptible d’éclairer le jeune lecteur sur ses propres relations avec autrui en société et à l’intérieur de sa famille?
Enjeux : Découvrir divers épisodes de la vie d’un personnage où les relations sociales et intergénérationnelles posent problème. S’interroger sur le sens et les difficultés de la conquête de l’autonomie au sein de différents groupes sociaux (amis, famille).
Domaines du socle impliqués par la micro-séquence
Domaine 1 : Comprendre, s’exprimer en utilisant la langue française à l’oral et à l’écrit. Comprendre et s’exprimer en utilisant les langages des arts.
Domaine 2 : Coopérer et réaliser des projets. Entrer dans des démarches de recherche et de traitement de l’information. Maîtriser des outils numériques pour échanger et communiquer.
Domaine 3 : Exprimer sa sensibilité et ses opinions. Respecter les autres.
Domaine 5 : Affiner ses représentations du monde.
Compétences travaillées
COMPRENDRE ET S’EXPRIMER À L’ORAL : Comprendre et interpréter des messages et des discours oraux complexes. S’exprimer de façon maîtrisée en s’adressant à un auditoire. Participer de façon constructive à des échanges oraux.
LIRE : Lire des œuvres littéraires, fréquenter des œuvres d’art Lire des images, des documents composites (y compris numériques) et des textes non littéraires. Élaborer une interprétation des textes littéraires.
ÉCRIRE : Utiliser l’écrit pour penser et pour apprendre. Exploiter des lectures pour enrichir son écrit. Adapter des stratégies et des procédures d’écriture efficaces.
COMPRENDRE LE FONCTIONNEMENT DE LA LANGUE : Connaître les aspects fondamentaux du fonctionnement syntaxique. Connaître les différences entre l’oral et l’écrit. Maîtriser la structure, le sens et l’orthographe des mots.
ACQUÉRIR DES ÉLÉMENTS DE CULTURE ARTISTIQUE ET LITTÉRAIRE : Mobiliser des références culturelles pour interpréter les textes et les productions artistiques et littéraires et pour enrichir son expression personnelle. Établir des liens entre des productions littéraires et artistiques issues de cultures et d’époques diverses.
Plan de la séquence
SÉANCE 1
Restituer et approfondir sa lecture autonome
d’un album de jeunesse
Durée : 55 minutes.
Supports : album, diffusion numérique des pages 6 à 9.
Objectifs : distinguer l’arrière-plan (historique) et le premier plan narratif (épisodes impliquant le personnage principal) d’un récit, s’interroger sur l’importance d’un mot-clef : “nouveau” (page 8).
• Première phase de la séance. – Retour sur la lecture autonome
Il s’agit de donner la parole aux élèves afin qu’ils proposent leurs premières impressions sur l’album qu’ils ont lu de façon autonome. L’idée étant bien entendu de ne pas en rester au sempiternel “j’ai aimé” ou “je n’ai pas aimé”. Il s’agira davantage, si besoin, de les guider vers “ce que j’ai appris” dans la mesure où la fonction documentaire de Véro en mai est forte.
Après ce temps de restitution, on pourra classer en trois grandes catégories les éléments communiqués à la classe. On pourra ainsi les conduire à distinguer ce qu’ils ont appris :– sur “Véro”– sur la société française en 1968 – sur la situation internationale.
Les élèves sont alors à même de saisir qu’une histoire “individuelle” narrée dans un roman (premier plan du récit), une bande-dessinée ou un album s’inscrit dans un contexte spécifique : allusion à des faits historiques, évocation de faits de société (arrière-plan du récit).
• Deuxième phase de la séance. – La lecture complexe de l’album
Relecture à haute voix des pages 6 à 9.
Il sera intéressant, au moment de la relecture à haute-voix des premières pages de Véro en mai, de mettre en évidence le fait que la lecture d’un tel album est beaucoup moins évidente qu’elle pourrait le sembler au premier abord. En effet, à l’exemple de la page 6 (projetée alors à la classe), on observe que les informations données le sont par deux moyens distincts :1) Des vignettes narratives et/ou informatives accompagnées d’une illustration : “En 1944, le général français Charles de Gaulle, descend l’avenue des Champs-Élysées, à Paris.“2) Des cases qui font correspondre un dialogue ou du discours direct et une illustration (vote des femmes): “Les Anglaises votent depuis 1918, elles !“/ “Ce n’est pas trop tôt!” / “A voté“.
En conséquence, dès la première séance, les élèves sont en situation de reconsidérer leur possible lecture trop hâtive de l’album. La justification de cette relecture accompagnée passe par l’idée que non seulement chaque page de Véro en mai est sur-signifiante mais qu’elle implique une habitude de lecture par les informations “éparses” qu’elle propose. En l’occurrence les pages 6 et 7 ont pour fonction de poser le contexte de la période historique qui a précédé mai 68, notamment à partir de la fin de la deuxième guerre mondiale et spécifiquement pour la France, la Libération.
L’album met en évidence le fait qu’un monde nouveau semble naître des cendres de la guerre avec des besoins qui apparaissent (début de la société de consommation, page 7) et la nécessité d’une reconstruction du pays (appel à une main d’œuvre immigrée).
• Troisième phase de la séance. – “Nouveau”, un mot à la mode en 1959
Concentrée sur une période courte, l’année 1968 et particulièrement le mois de mai révolutionnaire, l’album passe rapidement sur les vingt-trois ans qui l’ont précédée en ne restituant que des éléments essentiels. Avec humour, la page 6 met ainsi en perspective combien le credo de la décennie d’avant 68 demeure la “nouveauté”.
À partir de l’observation attentive de la page, on demandera aux élèves de noter toutes les nouveautés de l’année 1959 dans les différents domaines suivants :
– en politique : Charles de Gaulle : président de la République ;
– en matière monétaire : le nouveau franc ;
– en matière culturelle : la « nouvelle vague » au cinéma, naissance d’Astérix ;
– en matière astronautique : début de la conquête spatiale.À la fin de la séance, les élèves pourront se répartir en binômes les thèmes de recherche que leur offre la page. L’idée étant qu’ils établissent un carnet de recherche autour de Mai 68 en approfondissant après chaque séance des éléments mis à jour à partir de la lecture de Véro en mai.
SÉANCE 2
Comprendre la manière de vivre
d’une famille française en 1968
Durée : 55 minutes.
Supports : album, diffusion numérique des pages 9 à 17.
Objectifs : S’interroger sur les constantes et les différences entre 1968 et 2018.
• Première phase de la séance. – Relever les objets emblématiques d’une époque. La famille de Véronique est utilisatrice des nouveaux objets qui vont devenir de plus en plus communs au cours de la décennie : vide-ordures, 45 tours et bien entendu télévision qui prend une large place dans la vie de la petite fille.
Toutes ces nouveautés ont par conséquent des implications directes dans la vie courante. La mère de Véronique faisant tout de même remarquer que les couches restent encore lavables et non jetables. Toutefois, elles touchent aussi la vie culturelle des familles : revue Pilote, albums de « Tintin », disques vinyle (les parents de Véronique écoute du Georges Brassens) et séries télévisées (Zorro, Sébastien parmi les hommes, Bonne nuit les petits, La piste aux étoiles).Ici encore, les binômes formés auront loisir d’effectuer une recherche sur un thème de leur choix. Ils découvriront ainsi ce qu’un enfant de 9-12 ans pouvait regarder à la télévision (en noir et blanc) en 1968.
• Deuxième phase de la séance. – Faire le portrait du personnage principal
Il s’agira dans un second temps, en passant de l’arrière-plan au premier plan, de caractériser le personnage principal de l’histoire : ses relations avec sa famille, ses goûts, ses singularités. De ce point de vue, Véronique se distingue par sa curiosité et son imagination. Il s’agit d’une petite fille rêveuse, souriante mais aussi dotée d’une avidité certaine de connaissances. On pourra demander aux élèves de rédiger un court portrait physique et moral de Véronique à partir de la relecture attentive des pages de référence et des commentaires collectifs qu’elles ont pu susciter.
Exemple : Surnommée par le diminutif « Véro », l’héroïne de l’album est une petite fille de neuf ans toujours à l’affut de découvertes, « disques de ses parents », visionnage du journal télévisé alors qu’elle est censée dormir. Elle se révèle aussi pleine d’imagination, se rêvant tantôt « vedette de la télévision » tantôt « romancière ». Elle est enfin une jeune lectrice prise de passion pour les livres de la « Bibliothèque rose et verte ».
Il sera important de conclure la séance sur le contraste existant entre Véronique, petite fille sage et son frère, Vincent qu’elle surnomme Vince. En effet, ce grand frère semble plus réfractaire et plus transgressif que sa sœur. Ses lectures et ses goûts musicaux traduisent une volonté de se marginaliser par rapport aux normes familiales. Ce personnage qui fascine Véronique est essentiel dans la mesure où il représente le futur étudiant révolté du mois de mai.Ici encore, les binômes formés pourront effectuer une recherche sur un thème de leur choix : « Bibliothèque verte », Che Guevara (représenté sur une affiche), les Beatles…
La séance pourra se conclure sur l’idée que la famille de Véronique est somme toute sans problème apparent et que ce sont les bouleversements sociétaux qui vont faire bouger ses habitudes comme celles de tant et tant de familles françaises de l’époque.
SÉANCE 3
Problématiser sa lecture de l’album
Durée : 55 minutes
Supports : album – diffusion numérique des pages 18 à 23
Objectifs : Se poser des questions à partir de sa lecture autonome de l’album.
• Première phase de la séance. – Concevoir un questionnaire “vrai ou faux” pour ses camarades. En binômes, les élèves relisent l’album pages 18 à 23. Il s’agit d’une activité autonome. L’objectif est qu’ils réalisent un questionnaire « Vrai ou faux » en s’appuyant sur les informations glanées au fil de leur lecture. À cette fin, le professeur leur donne un élément de guidage. Ils doivent écrire une phrase affirmative et donner la bonne réponse avec la page qui correspond.
Exemples
– En 1968, les garçons et les filles ne vont pas dans la même école. VRAI / FAUX (page 20).
– En 1968, le jeudi est un jour d’école comme aujourd’hui. VRAI / FAUX (page 20).
– En 1968, tous les foyers ont la télévision. VRAI / FAUX (page 23).
– En 1968, le mouvement « hippie » est favorable à la guerre du Viêtnam. VRAI / FAUX (page 23).
• Deuxième phase de la séance. – Proposer certains « vrai / faux » de son invention à ses pairs afin de consolider la connaissance du monde contemporain et de la société française à la veille de mai 68.
• Troisième phase. – Focalisation sur l’événement perturbateur du récit, page 25 de l’album. On invite les élèves à commenter l’événement auquel fait référence la page, en l’occurrence le véritable début du mouvement étudiant qui occupent la résidence des filles à la faculté de Nanterre. On a ainsi l’impression que, petit à petit, la situation sociale se complique en France. Il sera intéressant d’observer que la page met en parallèle un événement fédérateur, le triomphe du skieur Jean-Claude Killy aux Jeux olympiques d’hiver de Grenoble et un événement clivant, le début du mouvement étudiant.
On demandera ensuite aux élèves de revenir en arrière dans l’album et de repérer des indices qui annonçaient cette première révolte étudiante :
– exemple 1, page 18, bulle d’un personnage secondaire : « Il paraît qu’à la faculté de Nanterre, les filles pourront aller dans les chambres des garçons !
– exemple 2, page 23, vignettes avec illustration « psychédélique » : « Jeunes Américains qui protestent contre le racisme, la société de consommation et la guerre que leur pays mène au Viêtnam ».
L’encart « info» de la page 25 constitue par conséquent le moment clef de l’album qui introduit véritablement son thème principal. À partir de là, les relations familiales vont être conditionnées par la manière qu’a chacun de ses membres d’appréhender les événements sociaux en cours.
SÉANCE 4
Comprendre les tensions des relations familiales
Durée : 2 x 55 minutes (idéalement sur une séance de deux heures).
Supports : album, diffusion numérique des pages 26 à 31.
Objectifs : Analyser les tensions intergénérationnelles en mai 68.
• Première phase de la séance. – Identifier des pages 26 à 31 les trois scènes de confrontation entre membres de la même famille. Les élèves doivent identifier les deux situations et formuler ce qu’ils ont compris.
Première situation, page 26. Vincent et son père sont partiellement en désaccord. Le fils revendique la nécessité de se défendre contre les « brutalités » policières tandis que son père lui réclame de rester à l’écart des affrontements.Il est probable que les élèves seront sensibles à la force des images (page 27) où l’on observe un policier casqué et armé ainsi qu’un heurt violent entre CRS et manifestants.
On pourra faire remarquer aux élèves que la structure du récit reste la même qu’auparavant avec toujours des références aux évènements du temps (assassinat de Martin Luther King, page 26) et aux séries télévisées (nouveau dessin-animé, Les Shadoks, page 27). Avec, par ailleurs, toujours le même désir mimétique du personnage principal en fonction de ce qu’elle voit à la télévision ou entend à la radio, exprimé par une phrase « refrain ». Ici, « C’est décidé, plus tard, elle sera astronaute ».
Et en même temps, il sera nécessaire que les élèves soient attentifs au fait que les événements de mai passent maintenant complètement au premier plan dans la mesure où ils occupent l’esprit de chaque membre de la famille, dont Véronique, pour qui « Vince », devient véritablement son héros.
Deuxième situation, page 29. Elle met en scène Véronique et son grand-père (survivant de la guerre 1914-1918). Alors que ce dernier bricole dans son atelier avec sa petite fille, le poste de radio émet la phrase suivante : « Ils renversent les voitures, barricadent les rues… ». Or, « pépère Barnabé » s’exclame « Petits imbéciles » tandis que Véronique défend la position de son frère favorable au mouvement étudiant : « Mais pépère… Vincent pense comme eux ! »
Troisième situation, double page 30-31. Il s’agit d’une fin de repas familial où les événements de mai provoquent une dispute.
• Deuxième phase de la séance. – Analyse de la double page 30-31. On demandera d’abord aux élèves d’identifier chaque personnage qui se trouve autour de la table et de situer leur position par rapport à Mai 68.
Dans le camp des « contre » : l’oncle Roger et son épouse.Dans le camp des « pour » : les parents de Vince et de Véro. Les enfants des deux couples.Dans le camp des « non alignés » : les grands parents et évidemment la petite sœur de Véro.
On demandera ensuite de formuler les arguments des « pour » et des « contre ».
Arguments des « pour » :
– Les étudiants demeurent les victimes des brutalités policières.
– La peur des « chars soviétiques » est totalement gratuite.
– Les opposants au mouvement de mai sont des bourgeois égoïstes.
Arguments des « contre » :
– Les étudiants sont des voyous.–
– Les communistes (et les Russes) vont profiter du désordre.
– La révolte des étudiants c’est l’anarchie assurée.
On pourra faire remarquer aux élèves que le père de Vincent et de Véronique apporte son soutien au mouvement en public (situation 3) alors qu’en privé il ne souhaite pas que son fils s’en mêle (situation 1) : ce qui n’est pas d’ailleurs sans surprendre Vincent qui dit à sa cousine (situation 3), « Je ne les reconnais pas ! Moi, ils m’engueulent si je vais dans les manifs ».
• Troisième phase de la séance (débat). – Existe-t-il des sujets dont il ne faut pas parler en famille ?
Les élèves auront alors tout loisir de s’exprimer et de mettre en perspective des thèmes qui peuvent provoquer de vives réactions lors de réunion familiale. On pourra prolonger leurs propres expériences par une mise en parallèle de la double page étudiée et d’un dessin fameux du caricaturiste Caran d’Ache publié dans le magazine Le Figaro en 1898, soit à l’époque de l’affaire Dreyfus.
L’idée sera de mettre en perspective le fait qu’il y a eu de tout temps des sujets clivants impliquant des violentes oppositions entre membres d’une même famille. Ce fut le cas, de façon exemplaire entre les « dreyfusards » et les « antidreyfusards », mais aussi dans le cas des événements de Mai 68. Dans une moindre mesure, l’évacuation des Zadistes de Notre-Dame-des-Landes serait susceptible de nos jours de provoquer des débats houleux au même titre que la grève des cheminots.
SÉANCE 5
Le printemps des slogans et de l’action
Durée : 55 minutes.
Supports : album, diffusion numérique des pages 32 à 39.
Objectifs : – Lecture : Comprendre les enjeux des slogans qui fleurissent en Mai 68. – Écriture : Imiter les slogans de Mai 68. – Raconter des événements à partir de leur représentation graphique.
• PremIère phase de la séance. – Rappeler la portée sociale des événements de Mai 68. Les élèves qui sont censés avoir relu pour cette séance les pages 32 à 39 pourront avoir des questions sur la notion de grève et tout particulièrement de « grève générale ». Yvan Pommaux représentant en effet un homme en train de lire le quotidien France-Soir avec en Une le titre en lettres capitales d’imprimerie, « GRÈVE GÉNÉRALE LUNDI ». Ils doivent en tout état de cause avoir compris qu’en Mai 68 s’ouvrent plusieurs fronts qui font parfois coïncider les mouvements étudiants et les mouvements ouvriers. En relisant ces pages, les élèves pourront aussi être sensibles au fait que Véronique (au même titre que ses parents) commence à sérieusement s’inquiéter de la tournure prise par les événements, avec en particulier des cauchemars liés à l’activisme de son frère (page 32).
• Deuxième phase de la séance. – Interpréter les slogans créatifs issus de mai 68 / Créer ses propres slogans On demande aux élèves de noter les slogans qu’ils repèrent dans les pages étudiées et d’émettre des hypothèses sur leurs significations. La page 33 est intéressante dans la mesure où elle montre la production d’affiches par les étudiants de l’École de Beaux-Arts. L’idée n’est évidemment pas que les élèves soient parfaitement en mesure d’expliciter chaque slogan découvert. Il s’agit davantage qu’ils parviennent à le rattacher à un thème important de l’époque où l’histoire se déroule.
Ainsi, le slogan illustré par le dessin d’un pavé, « Moins de 21 ans, voici votre bulletin de vote » pourra les intriguer à plusieurs niveaux. Il sera ainsi nécessaire, lors de la reprise du travail de recherche, de rappeler l’âge minimal pour voter en 1968 ainsi que la figure de style ici utilisée, l’analogie entre le pavé et le bulletin de vote ainsi que l’idée implicite qu’elle suggère formulable comme suit : « Comme je n’ai pas le droit de mettre mon bulletin de vote dans l’urne, il ne me reste que le pavé. »
La page 34 contribue à amplifier l’idée d’un développement remarquable de la créativité artistique et langagière en 1968. Le fameux slogan, « Sous les pavés, la plage », participe de ce nouveau langage affiché sur les murs mettant à l’honneur le profond désir de changement et de liberté qui s’empare de la jeunesse. Les « enragés » de Mai 68 ont eu ainsi à cœur de remettre « l’imagination au pouvoir » en ne craignant pas d’aller chercher chez des poètes comme Arthur Rimbaud des sources d’inspirations iconoclastes telles que les fragments les plus célèbres, « Changer la vie » ou « Il faut réinventer l’amour ».Les élèves assimileront sans doute ce qu’ils observent sur la page à des « tags »:
“Vive la rage”
“Jouissez sans entraves”
“Ouvrez les fenêtres”
“Soyez réaliste demandez l’impossible”
“Vivez”
“Cours camarade, le vieux monde est derrière toi”
Ils noteront par ailleurs que Véronique se prend elle aussi au jeu des slogans : ce qui indirectement et naïvement la mène à participer au mouvement révolutionnaire.
En fonction du temps dont on dispose, il pourra être envisagé de faire écrire des slogans aux élèves en partant de la page de Pommaux. Il s’agirait alors pour eux de délimiter sur une page blanche des murs fictifs et d’imaginer quatre ou cinq slogans en rapport avec leurs aspirations du moment. Ce serait l’occasion de leur rappeler quelques contraintes stylistiques et linguistiques du slogan. Il doit être court et percutant. Il doit aussi consister en un appel enthousiaste et immodéré à la rébellion. D’où l’utilisation récurrente du mode impératif, comme dans “Soyez réaliste…” ou encore le recours à la phrase nominale comme dans “Sous les pavés, la plage” où le syntagme verbal est court-circuité (se trouve / il y a). Il doit enfin exprimer des paradoxes saisissants. Au sens premier, à titre d’exemple, “Vive la rage” apparaît forcément déconcertant. Il est de fait nécessaire d’aller chercher le sens figuré de chaque slogan en ne se contentant pas d’une interprétation “rationnelle”.
• Troisième phase de la séance. – Raconter des épisodes à partir d’images : double page 38-39L’inquiétude de la famille de Véronique conduit le père à aller chercher son fils. Les élèves doivent appréhender la dramatisation du récit. L’adolescent est en effet blessé. Jusque là, si l’on peut dire, notamment avec les slogans des étudiants, nous n’étions que dans les “mots” de la révolte. Or, à partir de la page 37, la situation s’aggrave et quelque chose de froidement dangereux s’exprime. Par conséquent, il ne s’agit plus d’une révolution poétique mais d’une révolution bien réelle dans tout ce qu’elle peut avoir de plus “réaliste”. D’où le choc que représente dans la lecture de l’album la double page 38-39 qui met en image la terrible nuit blanche de Vincent.
Il importera dans un premier temps que les élèves verbalisent leurs réactions en redécouvrant ces représentations de scènes de rue. Qu’observent-ils ? Que ressentent-ils ? À quoi pensent-ils ? Font-ils des relations entre ce qui leur est montré et d’autres situations qu’ils ont pu découvrir à la télévision ou sur Internet ?
Une fois ce premier temps de questionnement passé, on sera à même de leur demander de se mettre dans la peau de Vincent en partant de la consigne simple, “Vincent raconte sa nuit”, seule phrase de la double page présente en haut à gauche. L’enjeu est donc ici de mettre des mots sur les images d’Yvan Pommaux en faisant de Vincent le narrateur-personnage de l’histoire (je) et lui faisant utiliser les temps du passé (notamment l’imparfait de l’indicatif pour décrire les faits d’arrière-plan et le passé composé pour ce qui concerne la restitution de ses actions).
L’exemple de rédaction possible ci-dessous donne un “absolu” de ce que l’on pourrait attendre d’un élève de cinquième. Il a pour enjeu de permettre de concrétiser les attentes vis-à-vis du rédacteur: notamment la fait que le récit soit saisissant. En effet, dans la double-page, en bas à droite, Pommaux a choisi de représenter le visage captivé de véronique à l’écoute du récit de “son héros de frère”.
Lorsque je suis arrivé à Paris, j’ai été frappé par la foule de jeunes gens. Ils étaient debout, près des bars, poings levés et brandissant des drapeaux rouges flamboyant. J’entendais des slogans repris à tue-tête, des chants, des cris de toutes parts.À un moment nous avons vu des policiers approcher. Ils formaient des rangées ordonnées, ils semblaient calmes, et étaient armés. Nous, les jeunes, avons commencé à leur jeter des pierres. Nous arrachions les pavés des routes pour les atteindre. Filles et garçons, ensemble, nous lancions ces cailloux à bout de bras.
Les policiers ont riposté rapidement. J’entends encore le bruit des matraques s’abattant sur des corps tombés à terre. Les pierres volaient ; les coups également. Partout ce n’était plus que cris, hurlements. J’ai vu des voitures incendiées, des étudiants gisant sur les routes. Nous nous barricadions derrière des protections de fortune, des amas de tôle, de carton et de vieux pneus entassés. Et le combat continuait.
Les premières grenades lacrymogènes ont dispersé la foule.
Avec Patrick nous avons pris la fuite, suivis par un groupe de CRS qui nous poursuivaient. J’ai trébuché et je me suis effondré. Un policier a commencé à me frapper avec sa matraque. Je ne pouvais rien faire, essayant tant bien que mal de me protéger la tête de mes bras. Quand il m’a laissé tranquille, je saignais du visage. Patrick m’a aidé à me relever, et nous sommes partis. Au loin, la lutte continuait.
Du point de vue du dispositif de la séance, il est évident que les deux activités d’écriture demandées seraient difficilement gérables par les élèves en un peu moins d’une heure. La séance pourra ainsi être doublée si l’on souhaite que tout soit réalisé en classe à moins que l’on ne préfère que la deuxième activité d’écriture soit finalisée hors de la classe.
SÉANCE 6
Mai 68 à l’échelle des enfants
Durée : 55 minutes.
Supports : album, diffusion numérique de la double page 40-41.
Objectifs : Lecture : comprendre une situation narrative humoristique / Vérifier la compréhension globale du récit.
• Première phase de la séance. – Rrappeler le sens du mot “slogan” et réfléchir aux implications du credo “Il est interdit d’interdire”.
Il s’agit d’un temps de rappel par rapport aux apprentissages précédents menées autour des slogans de Mai 68. On revient sur l’idée que de nombreux slogans ont une signification paradoxale. En l’occurrence, dans le cadre d’un débat, les élèves seront mis en situation de discuter la pertinence de l’interdiction d’interdire.
• Deuxième phase de la séance. – Mettre en parallèle deux doubles pages successives pour souligner le changement brutal de tonalité narrative : d’une situation dramatique à une situation humoristique.
On demande ici aux élèves, en binômes de repérer tout ce qui distingue la double page sur la nuit de mai et celle impliquant Véronique et sa bande : – changement de couleurs (le blanc devient dominant) ; – présence de vignettes narratives et plus généralement de texte ; – logique de dédramatisation malgré la correction que reçoit Hervé par son père avec la bulle attribuée à Véro : “La révolution n’est pas pour aujourd’hui”.
• Troisième phase de la séance. – Comprendre ce que veut exprimer la bande de Véronique vis-à-vis du monde des adultes.
Les enfants, à leur petite échelle, ont eux aussi des désirs et forcément aspirent à plus de libertés. Ils éprouvent par conséquent l’envie de se faire entendre. Il est intéressant d’observer comment ils reprennent à leur compte les slogans de leurs aînés. Corrélativement, il importera en classe d’analyser les réactions des adultes: personnes âgées (outrées) et figure paternelle (autoritaire). En effet, l’album d’Yvan Pommaux a le mérite de faire réfléchir à partir de l’évocation de Mai 68 aux modes de relation intergénérationnelle. À ce titre, il ne peut laisser indifférent des élèves de cycle 4 tout en cadrant institutionnellement avec les attendus des programmes (Vivre en société…).
• Quatrième phase de la séance. – Comprendre la fin du récit. Lecture collective et commentée des dernières pages de l’album.
La relecture des dernières pages peut être l’occasion d’un récapitulatif chronologique. L’album ayant d’abord évoqué la fin de la guerre (page 6) pour finir par les premiers pas de l’homme sur la Lune. Cet effet d’ouverture et de fermeture est renforcé par la nouvelle évocation du général de Gaulle dont le départ est annoncé page 44 de façon humoristique : “Le président rentre chez lui…”
Le changement de point de vue final serait en outre intéressant à étudier. En effet, en adoptant celui de Neil Armstrong, le texte se clôt par une forme de morale à destination des générations futures :“Que voit-il de là-haut, Neil Armstrong? La Terre, grosse comme un ballon. Comment imaginer que des milliards d’hommes s’y bagarrent sans cesse ? ”
Évaluation possible de la séquence
Écriture
On pourra proposer aux élèves un travail d’écriture créative au titre d’évaluation de leur lecture de Véro en mai. Il s’agira de composer un poème « à la manière » de Je me souviens, de Georges Perec (1978). Les élèves prendront appui sur la case focalisée sur Véronique avec la bulle « J’ai compris ! » (page 44).
Ils devront utiliser des formules récurrentes comme « En Mai 68, j’ai compris… », « En Mai 68, j’ai découvert… », « De Mai 68, je me rappelle… » ou encore “De Mai 68, je retiens” afin d’exprimer les principales expériences et connaissances nourries par l’expérience de mai.
L’évaluation prendra en compte à la fois le respect de la consigne (formules récurrentes), la cohérence du propos et la restitution d’éléments informatifs exprimés par l’album.
Exemple de corrigé
En Mai 68 j’ai compris que les révolutions pouvaient naître d’une étincelle.
J’ai compris que les mentalités au sujet des filles et des garçons étaient dépassées, et qu’il n’y avait pas de honte à porter des minijupes et des collants.
J’ai compris ce que signifiait le mot « hippie », le mot « lacrymogène ».
J’ai aimé les inscriptions sur les murs.
J’ai répété cent fois, « Il est interdit d’interdire » et « Sous les pavés la plage ».
J’ai vu les ordures s’accumuler, les voitures privées d’essence, la foule devant les banques.
J’ai compris la colère des étudiants et leur envie de mettre « l’imagination au pouvoir ».
J’ai rêvé à mon frère qui participait aux combats de rue.
Je l’ai entendu raconté sa folle nuit à jeter des pavés sur le CRS.
Je me rappelle aussi que personne n’était d’accord dans la famille au sujet des manifestations.
Je me souviens qu’avec mes petits camarades, on a essayé d’imiter nos aînés.
Je me souviens de notre pancarte, « C’est la grève des enfants ».
J’ai compris les nouveaux droits que les ouvriers avaient conquis par leur mouvement.
J’ai vibré à toutes les nouveautés, à tout ce qui cinquante ans après semble aller de soi : émancipation des femmes, réflexions intense le droit d’avoir des enfants ou de s’habiller en pantalon.
J’ai compris quelques mois plus tard que le changement touchait aussi l’Etat et ceux qui le dirigeaient. Sur notre télévision en noir et blanc, j’ai vu le général de Gaulle partir et mon père pleurer de joie à l’annonce de sa défaite aux élections.
Enfin, j’ai espéré que les générations pourraient s’unir, policiers comme étudiants, jeunes et retraités, en contemplant l’Homme faire ses premiers pas sur la Lune.
Antony Soron, ÉSPÉ Paris-Sorbonne
Sur Yvan Pommaux, voir sur ce site :
• Entretien : À la rencontre d’Yvan Pommaux.«
• Puisque c’est ça, je pars ! » d’Yvan Pommaux.
• « Passe à Beau ! », d’Yvan Pommaux et Rémi Chaurand. Le rugby comme terrain de jeu littéraire et artistique.
• « Nous, notre Histoire », d’Yvan Pommaux & Christophe Ylla-Somers. Un auteur d’albums pour la jeunesse s’attaque à l’histoire du monde.
VERO EN MAI dans le P’tit Libé aujourd’hui!
Ce livre est magnifique, je l’ai déposé dernièrement sur la table de nuit de mon fils qui a 13 ans , il a adoré. Toute la famille l’a lu!