"Une promesse", de Patrice Leconte
La réhabilitation d’un cinéaste complet
En découvrant Une promesse (2013), on se demande comment le réalisateur d’un film aussi profond et délicat a pu se « divertir » ces dernières années dans des productions que l’on peut oublier… Et pourtant, le spectateur fidèle à Patrice Leconte depuis son mémorable Tandem (1987), a tout lieu de se réjouir de ce renouveau que son opus précédent, Le Magasin des suicides (2011), adapté du roman de Jean Teulet, avait déjà laissé espérer.
Alors que l’on pourrait croire que tout oppose l’esthétique de ses deux derniers films – un film d’animation et un autre en costumes –, il apparaît, à y regarder de plus près, que Patrice Leconte tente d’y combattre le même mal, la noirceur de vivre.
Sans doute est-il loin de remettre en cause l’aphorisme de Camus, « Il n’y a qu’un problème sérieux, c’est le suicide », mais en adoptant une fin « heureuse », il refuse de céder au pessimisme crépusculaire de la nouvelle de Stephen Zweig, « Le Voyage dans le passé », dont il s’est inspiré.
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« Le monde d’hier » et la ténacité des sentiments
En se focalisant sur la liaison « suspendue » entre la jeune épouse de son patron et son nouveau secrétaire, bardé de diplômes et désireux d’être avance sur son époque de bascule vers les « temps modernes », Patrice Leconte prend le risque de laisser de côté l’arrière-plan du récit filmique : d’une part, la mutation de l’ère industrielle et, d’autre part, la première guerre mondiale qui se profile (l’action se déroulant en Allemagne à partir de 1912).
Or, c’est toute la subtilité de ce film porté par le souffle lyrique de la bande-son de Gabriel Yared que de rester fidèle à l’esprit de Zweig, autrement dit à ce qui a fait définitivement de lui un écrivain « moderne », fidèle à ses personnages de premier plan, partisan de l’ellipse et du non-dit plutôt que d’une contextualisation de la petite histoire dans la grande. Le réalisateur rend bien dans son film ce qui fait le charme de la nouvelle, et plus généralement de tous les récits brefs de l’auteur comme « Vingt-quatre heure de la vie d’une femme » ou « La Confusion des sentiments ».
Entre les deux amoureux, en plein conflit cornélien entre désir et honneur, tout se joue sur des regards par trop prononcés, des gestes maladroits malgré la volonté de ne pas paraître. Avec une mobilité mesurée, la caméra de Patrice Leconte traduit la fébrilité de chacune de leurs rencontres dont le sublime naît de son impossible épanouissement du fait de la présence de l’honorable mari et patron, qui plus est de santé fragile.
Avec Zweig, on est dans l’implosion plutôt que dans le fracas, mais ce n’est que pour mieux saisir les confusions extrêmes qui s’emparent des êtres habités par des sentiments qui mettent en tension les codes de la bienséance et de l’honneur – le réalisateur en a fait la juste interprétation dès sa première rencontre avec l’œuvre sur les conseils de son ami et coscénariste, Jérôme Tonnerre.
Le rai de lumière du romanesque
S’appuyant sur trois comédiens anglais à la finesse de jeu remarquable, Rebecca Hall, Alan Rickman et Richard Madden, Patrice Leconte joue avec l’espace dramatique – la demeure du couple – où, en apparence, tout n’est que calme, luxe et tendresse, comme il sied naturellement chez les derniers heureux du « monde d’hier ». Le spectateur pense ici au film de James Ivory, Les Vestiges du jour (1993), et à cette passion qui monte inexorablement et bouleverse l’ordonnancement impeccable d’une demeure bourgeoise hors du temps et de la société, espace à la fois nostalgique et irréel.
Le charme de Rebecca Hall est intense, notamment durant la période fatidique de sa vie où elle doit subir à la fois l’éloignement de l’être aimé au Mexique et celui de son époux au cœur malade. On appréciera l’ironie de la situation d’une femme seule, calfeutrée dans un huis-clos silencieux, qui écrit d’innombrables lettres d’amour sur le front du deuil comme le font, en ces mêmes mauvaises heures, des millions d’hommes de part et d’autre de la ligne de front, dans la cacophonie, le froid et la misère des tranchées.
Ce n’est pas avec de bons sentiments qu’on fait de la bonne littérature… Le mot de Gide est bien connu et sans doute fructueux aussi en matière cinématographique. Mais on ne peut qu’aimer ces personnages, croire en eux et en leur « promesse » ! Dans le fracas de l’après-guerre et la montée de nouveaux périls nourris par l’esprit de revanche des vaincus, il n’est pas d’ailleurs dit que leur amour tant reporté puisse enfin s’accomplir librement, mais le spectateur quitte lui la salle avec des larmes douces-amères, comme le cinéma actuel trop plein de désespérance et d’ultra-réalisme ne lui en procure par toujours la joie.
Antony Soron
Je dois préciser que j’aime beaucoup Patrice Leconte : je voulais simplement mettre en perspective dans l’introduction de l’article l’idée qu’un bon réalisateur très sollicité cède parfois à la facilité et aux films dits de commande. Il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’un cinéaste populaire extrêmement intéressant quand il ne baisse pas le niveau de son exigence : Monsieur Hire effectivement ou encore le mari de la coiffeuse, Tandem ou la veuve de saint Pierre…
Ce film est très beau, le jeu des acteurs très juste.Des films de cette qualité, on en redemande.
Bel article, qui souligne les atouts de ce film: la fidélité à l’univers de Zweig, la finesse de la réalisation et surtout la qualité de l’interprétation, en particulier à mon sens celle d’Alan Rickman, acteur shakespearien, aussi bon dans les rôles sombres que dans les rôles comiques. Ici le rôle ingrat du mari âgé laisse cependant apparaître la malice d’un regard plus lucide que ne le croient les amoureux.
En revanche, je crois qu’on ne peut parler de “réhabilitation” à propos d’un cinéaste qui n’a jamais été condamné et dont le seul crime est d’avoir un double registre, frivole et sérieux, ce qui est son droit le plus absolu. Le registre sérieux s’était manifesté pour la première fois en 1989 dans l’inoubliable Monsieur Hire d’après Simenon. Leconte est un grand adaptateur. Mais il a toujours revendiqué cette liberté de parcourir toute la gamme des genres cinématographiques.
Anne-Marie Baron