« Un jeune mort d’autrefois. Tombeau de Jean-René Huguenin », de Jérôme Michel

jerome-michel-hugueninComme Jérôme Michel, j’ai découvert l’unique roman de Jean-René Huguenin à l’adolescence et, comme lui, j’ai conservé la nostalgie de cette lecture chargée d’embruns, de silences et de sentiments troubles. Avec intérêt j’ai ensuite dévoré les pages incandescentes du Journal publié aux éditions du Seuil, qui révélaient la personnalité tourmentée et intransigeante du jeune romancier, mort trop tôt, à vingt-six ans, en 1962.
Dans les années 1980, la voix de Jean-René Huguenin était déjà une voix d’outre-tombe. Mais elle avait cette intemporalité de la jeunesse éternelle. Olivier Aldrouze, le héros de La Côte sauvage, est une sorte d’écho attardé aux rêveries du René de Chateaubriand : même idéalisme, même passion vaguement incestueuse qui traduit plus une terrible solitude qu’un véritable élan charnel.

 

Un jeune génie en quête d’absolu

L’essai de Jérôme Michel a le mérite de ressusciter la figure du jeune génie en quête d’absolu que fut Huguenin ; même s’il se défend de faire œuvre de biographe, il suit son héros, procédant à « l’arpentage de la courbe d’une vie ». L’essai fait ressortir avec intelligence la singularité de l’auteur de La Côte sauvage en ce début des années 1960 : au portrait d’une France matérialiste, qui se soumet aux impératifs d’une économie triomphante tout en bradant les reliquats d’un empire colonial désormais inutile, il oppose la figure du jeune idéaliste, épris d’absolu et indifférent aux effets de mode, soucieux avant tout d’authenticité, de pureté, d’amitiés et d’amour vrais.
Mais la singularité de Huguenin est aussi littéraire. On serait tenté – certains manuels littéraires l’ont fait – de le rapprocher des Hussards : comme eux, il choisit d’écrire des histoires à une époque où les tentatives du Nouveau Roman font du roman un champ expérientiel ; comme Nimier – qui passe aujourd’hui pour une sorte de chef de file –, il a le bon goût de mourir jeune dans un accident de voiture – une semaine après lui, pour être exact. Jérôme Michel rapporte d’ailleurs la rencontre manquée entre Huguenin et Nimier, qu’une admiration commune pour Bernanos aurait pu rapprocher mais qu’un fossé existentiel séparait : Nimier tendait vers les mondanités, Huguenin avait soif d’essentiel.
 

Modèles littéraires

S’il faut chercher des modèles littéraires à Jean-René Huguenin, on ne s’étonnera pas de les trouver du côté de Julien Gracq. Ce dernier avait été le professeur du jeune homme au lycée Claude-Bernard, et il y a, entre le Château d’Argol et La Côte sauvage, une parenté évidente – on n’oubliera pas que le maître consacra à l’élève des pages élogieuses dans ses fameuses Lettrines. Plus inattendue est l’admiration du jeune romancier pour Hemingway, qu’il rencontre un soir d’octobre 1959 : coup de foudre réciproque, télescopage sans suite de deux légendes littéraires.
« Huguenin, conclut Jérôme Michel à propos des influences littéraire qu’aurait pu revendiquer l’écrivain, choisissait la permanence du style, la prééminence de la métaphysique sur la technique, l’éternel roman sur le Nouveau Roman devenu vieux… » Bernanos, Mauriac, Gracq, Hemingway sont autant de références qui, aux yeux du jeune homme, soulignent la vanité d’un projet comme celui du Nouveau Roman.
Et l’aventure qui le conduit à fonder Tel Quel avec Jean-Edern Hallier et Philippe Sollers semble des plus étonnantes : ces trois-là se sont connus au lycée, se sont appréciés dans l’amitié et les rivalités, mais c’est sans doute là leur seul point commun. Tel Quel se positionne d’emblée en réaction aux errances de la littérature engagée ou au droitisme des Hussards, affirmant la primauté de l’esthétique et de la littérature sur les idéologies. Très vite, Huguenin se désintéresse du projet et accepte l’exclusion avec soulagement.

« Les jeunes morts donnent à la mort un éclat insoutenable »

Comme toutes les célébrités disparues dans la fleur de l’âge, l’image de Jean-René Huguenin est auréolée de cette mort prématurée. « Les jeunes morts, écrit Jérôme Michel, donnent à la mort un éclat insoutenable », faisant « honte à ceux qui restent, à la pauvre vie qu’ils bricolent sans mode d’emploi. » Serait-ce à cette légende que Huguenin doit d’avoir survécu ? Son œuvre est mince mais entêtante, et semble se transmettre quasi confidentiellement d’une génération à l’autre. La Côte sauvage n’est pas un roman parfait, mais il a la force des œuvres de jeunesse qui tirent leur puissance d’un idéalisme sans concession puisé aux sources d’un rêve d’absolu.
L’essai de Jérôme Michel est à la hauteur de son sujet, élégant, profond, fluide, parfois un peu abrupt – on déplorera, dans ce livre consacré à la jeunesse éternelle, une vision pessimiste de la jeunesse actuelle qu’il est un peu facile de réduire à la fascination pour les objets de consommation que nous, ses aînés, lui avons placés entre les mains. Il existe encore bien des Jean-René Huguenin, et ce livre est fait pour eux, s’ils veulent bien pardonner à son auteur quelques préjugés fâcheux.

Stéphane Labbe

 

• Jérôme Michel, « Un jeune mort d’autrefois – Tombeau de Jean-René Huguenin », Éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2013.
 
 

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