« Un automne à Paris », une chanson d’Amin Maalouf, interprétée par Louane, à étudier en classe

Louane interprétant "Automne à Paris" d'Amin Maalouf © Éduscol
Louane et Ibrahim Maalouf interprétant « Automne à Paris » d’Amin Maalouf © Éduscol

 
À l’initiative de Najat Vallaud-Belkacem, le trompettiste Ibrahim Maalouf a composé la musique de la chanson Un automne à Paris sur un poème de son oncle, l’écrivain et académicien Amin Maalouf. Cette chanson est un hommage aux victimes des attentats de janvier et novembre 2015, que le ministère de l’Éducation nationale a voulu « à destination des élèves ».
Le samedi 9 janvier 2016, accompagnés par l’Orchestre national de France et la Maîtrise de Radio France, Ibrahim Maalouf et Louane l’ont enregistrée à la maison de la Radio, ce qui a permis la diffusion d’un texte dont la valeur commémorative n’est pas l’unique mérite…

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Une chanson-hommage est-elle forcément suspecte ?

On peut, certes, rester méfiant face à une entreprise artistique de commande visant, en première intention, à emboîter le pas à l’émotion ou à la susciter. On peut aussi se dire que l’émotion sera passagère. Reste que l’écoute de cette chanson, portée à la fois par l’intensité de son interprétation vocale et par la subtilité de ses éclats cuivrés, sert un texte dont la portée littéraire est incontestable et riche de pistes d’étude à exploiter avec les élèves, notamment dans le cadre des séances d’enseignement moral et civique.
Certaines chansons populaires plus ou moins récentes, comme Utile (paroles d’Étienne Roda-Gil) ou Et si en plus y’a personne (paroles d’Alain Souchon), pourraient d’ailleurs l’y
rejoindre. Néanmoins, ce qui fait la singularité d’Un automne à Paris, c’est qu’il s’agit d’un texte d’écrivain – et non des moindres.
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Amin Maalouf, un humaniste

Amin Maalouf est un humaniste convaincu, un artisan déterminé de la conciliation entre les cultures qui a, en outre, prêté une oreille attentive aux traumas du monde contemporain. Il est l’auteur d’une œuvre considérable et a exploré des genres littéraires variés. On retiendra notamment, au nombre de ses romans, Samarcande (Jean-Claude Lattès, 1988), qui oppose deux grandes figures de la Perse, Omar Khayyam, « poète du vin, libre-penseur et astronome de génie », et Hassan ibn al-Sabbah, fondamentaliste pionnier, en somme, grand-maître de la secte des Assassins.
Dans un essai intitulé Les Identités meurtrières (Grasset, 1998), Amin Maalouf, tout en soulignant l’importance de la question identitaire dans un monde globalisé, propose de lui
attacher « une composante nouvelle, appelée à prendre de plus en plus d’importance au cours du nouveau siècle, du nouveau millénaire : le sentiment d’appartenir aussi à l’aventure humaine ». Comment s’étonner, dès lors, de trouver ce texte sous sa plume ?

À l’amie qui est tombée,
Une chanson sur les lèvres,
Ensemble nous chanterons,
Main dans la main.
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Pour tous ceux qui sont tombés,
Pour tous ceux qui ont pleuré,
Ensemble nous resterons,
Main dans la main.
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Pour Paris, ses quais, sa brume,
La plage sous ses pavés,
La brise qui fait danser
Ses feuilles mortes.
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Paris, ses flâneurs, ses ombres,
Ses amoureux qui roucoulent,
Ses bancs publics, ses platanes,
Ses feuilles mortes.
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Paris qui s’éveille à l’aube,
Deux cafés noirs en terrasse,
Un jardinier qui moissonne
Ses feuilles mortes.
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À l’amie qui est tombée,
Une chanson sur les lèvres,
Ensemble nous chanterons,
Main dans la main.
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À ceux qui se sont battus
Pour que Paris reste libre,
Que Paris reste Paris,
La tête haute.
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Aux hommes qui sont venus
Des quatre coins de la Terre,
Dans l’unique espoir de vivre
La tête haute.
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Aux femmes qui ont subi
Humiliations et violences,
Pour avoir osé garder
La tête haute.
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Pour tous ceux qui sont tombés,
Pour tous ceux qui ont pleuré,
Ensemble nous resterons,
Main dans la main.
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Nous reprendrons les accents
Des aînés qui ne sont plus.
Leurs mots au milieu des nôtres,
Nous chanterons.
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« J’ai deux amours », « Douce France »,
« Non, je ne regrette rien »,
« Ami, entends-tu », « Paname »,
Nous chanterons.
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Dans la langue de Racine,
De Senghor, d’Apollinaire,
De Proust, de Kateb Yacine,
Nous chanterons.
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À l’amie qui est tombée,
Une chanson sur les lèvres,
Ensemble nous chanterons,
Main dans la main.
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À vous tous qui gardez foi
En la dignité de l’homme,
Dans tous les pays du monde,
Et pour toujours.
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L’avenir vous appartient,
Il vous donnera raison,
Il sera à votre image,
Et pour toujours.
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Vous pourrez voir refluer
Le fanatisme, la haine,
L’aveuglement, l’ignorance,
Et pour toujours.
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À l’amie qui est tombée,
Une chanson sur les lèvres,
Ensemble nous chanterons,
Main dans la main.
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Pour tous ceux qui sont tombés,
Pour tous ceux qui ont pleuré,
Ensemble nous resterons,
Main dans la main.
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Que jamais plus la terreur
Ne vienne souiller nos villes,
Ni jamais jamais la haine
Souiller nos cœurs.
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Que la musique demeure,
Dans nos rues comme en nos âmes,
Pour toujours un témoignage
De liberté.

 

Un hymne à la résistance par l’espoir

Les quelques pistes d’exploitation qui suivent peuvent, soit trouver leur place dans le cadre d’une séance d’enseignement moral et civique, soit s’intégrer à une séquence (plus particulièrement au niveau collège) consacrée, notamment, à la poésie.
Dans une perspective strictement pédagogique, il pourra être fructueux de demander aux élèves de forcer un peu leur attention en fermant les yeux afin de mieux se laisser envahir
par la musique comme par le texte.
Une fois la chanson entendue, il s’agira de passer de la verbalisation de l’émotion, de la réaction spontanée, à l’explicitation d’un texte moins simple qu’il n’y paraît au premier abord.
On commencera par remarquer qu’il ne cite aucun événement précis. Délibérément, le poète évoque, suggère, sans nommer. Il ne s’agit donc pas, à proprement parler, d’une chanson engagée. Et, si Un automne à Paris se réfère bien aux événements tragiques
de janvier et novembre 2015, il n’en reste pas moins que ni les meurtriers ni les victimes n’y sont clairement désignés.
On notera également qu’il n’y a, dans ce texte, aucune volonté polémique. On demeure dans l’ordre de l’universel et de la conciliation, voire dans l’idéalisme, comme l’atteste le dernier couplet.
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Déployer l’éventail des allusions

Amin Maalouf est un « piéton de Paris », pour reprendre un titre de Léon-Paul Fargue, à la
recherche de l’esprit des lieux qui lui permettront non seulement de nourrir son inspiration, mais de l’ancrer. Il a Paris dans sa chair, dans son imaginaire et dans son cœur : le Paris de l’Histoire, le Paris des poètes. Au fil des couplets, il décline par petites touches métaphoriques l’histoire de la ville en même temps que les images qui lui sont intrinsèquement liées.
Avec des élèves, il y aura donc lieu de déployer certaines images qui risquent de ne pas être comprises, telle « la plage sous ses pavés », en référence à un slogan fameux de Mai 1968. De même, la référence « à ceux qui se sont battus » renvoie, notamment, à la libération de Paris. Corrélativement, Amin Maalouf rappelle que la population de la capitale est plurielle, en évoquant les « hommes qui sont venus / des quatre coins de la Terre ».
Le texte met ainsi en perspective l’idée que les terroristes ont porté atteinte non seulement à la vie d’hommes et de femmes, mais à l’histoire d’un lieu qui a valeur de symbole dans la mesure où il représente diverses expressions historiques de la conquête de la liberté. On sera tout aussi attentif, de ce point de vue, à l’évocation de ces « deux cafés noirs en terrasse » qui, par métonymie, renvoient à leurs consommateurs, soulignant combien ce qui pouvait encore paraître il y a peu comme un acte anodin se révèle, contre les ennemis de toute liberté, un acte fondamental.
Très subtilement aussi, Amin Maalouf fait référence à d’autres chansons, sans doute inconnues des élèves : Paname, de Léo Ferré, ou encore Le Chant des partisans, représenté par ses premiers mots. Cette dimension intertextuelle très forte invite non seulement à réécouter la chanson pour en saisir toutes les strates de signification, mais aussi à se familiariser avec ses textes sources.
De ce point de vue, toujours sur un plan pédagogique, l’usage d’Internet pourra, naturellement, se révéler fort utile. Ainsi, après avoir repéré les indices intertextuels, les élèves pourront être incités à rechercher les paroles des chansons mentionnées dans Un automne à Paris (Douce France, Non, je ne regrette rien, etc.).
À terme, en particulier dans le cadre de travaux de groupes, ils seront en mesure d’établir des liens entre ces hypotextes et l’hypertexte qui fait l’objet de la séance. On pourra, en outre, leur demander de situer sur une frise chronologique les dates de création de chaque chanson ainsi que leurs interprètes : Qui chante Paris ? À quelle époque ? En rapport avec quels événements ?
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« Un automne à Paris»: une œuvre ouverte

Il sera aussi essentiel de s’attarder sur les derniers couplets d’Un automne à Paris, où la voix de Louane prend toute son intensité. C’est dans ce final que le texte exprime le plus nettement son appel à une forme d’engagement civique.
Le choix du futur dans le refrain « Nous marcherons main dans la main » implique une
détermination, une volonté de résistance contre une idéologie totalitaire de l’interdit.
Ainsi, délaissant peu à peu le registre allusif, Amin Maalouf cite, dans le final, un
certain nombre d’écrivains français et francophones (Kateb Yacine rimant, par exemple, avec Racine). Là encore, on invitera les élèves à faire des recherches sur les auteurs évoqués (Senghor, Apollinaire…).
Passeur de cultures et de poésie, Amin Maalouf offre ici une « œuvre ouverte » pour reprendre le titre du célèbre essai d’Umberto Eco. Il s’agit pour lui non pas d’ouvrir une terrible boîte de Pandore, mais bien le coffre des trésors de la langue française.
Gageons que la chute du poème sur le mot « liberté » conduira à une réflexion distanciée sur les conséquences tragiques d’un obscurantisme ennemi des valeurs qui ont permis d’ériger la « vie parisienne » en symbole d’une nation libre et fraternelle.

Antony Soron, ÉSPÉ Paris

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•  » Un Automne à Paris « , d’Amin Maalouf, interprété par Louane sur You Tube.
[Attentats 2015]  » Un automne à Paris  » : ressources pour les enseignants autour d’un poème mis en musique sur Eduscol.

Comment évoquer le 13 novembre 2015, un an plus tard, avec une classe de collège ou de lycée ? par Antony Soron.
Après les attentats : retrouver les racines de l’écriture, par Frédéric Palierne.
"Amin Maalouf. Heurs et malheurs de la filiation"
 
• Une rencontre avec Amin Maalouf est organisée le samedi 19 mars à 17 h au Salon Livre Paris 2016 sur le stand Aquitaine (F 23), à l’occasion de la publication du colloque  » Amin Maalouf. Heurs et malheurs de la filiation  » dans la collection  » Présence de l’écrivain  » dirigée par Antony Soron aux éditions Passiflore (2016, 228 p.).

Antony Soron
Antony Soron

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