« Un air d’Italie. L’Opéra de Paris de Louis XIV à la Révolution »

Jean Berain, détail de la maquette de costume du roi Égée dans « Thésée », de Lully, fin du XVIIe siècle, gravure aquarellée, BnF, Bibliothèque-musée de l’Opéra.

Les enseignants auraient-ils peur d’amener leurs classes à l’Opéra ? C’est pourtant une expérience que ne regrettent jamais les élèves, et que les équipes Éducation artistique de l’Opéra de Paris, responsables Jeune public ou responsable Opéra-Université, ne se font jamais faute de favoriser et d’accompagner.
Dernière preuve en date de ces attentions particulières : la visite en avant-première de l’exposition Un air d’Italie présentée au Palais Garnier en partenariat avec la Bibliothèque nationale de France pour célébrer les trois-cent cinquante ans de l’Académie de musique, privilège accordé par Louis XIV en 1669, et acte de naissance de l’Opéra de Paris.

Décor du prologue de la « Finta Pazza » de Sacrati (1645) © BnF, département de la Musique.

L’exposition suit un parcours chronologique, du début du XVIIe siècle avec les origines de l’opéra au carrefour des ballets de cour et de la musique italienne, jusqu’à la Révolution et la fin du privilège d’opéra, mais c’est une histoire problématisée : comment un genre nouveau peut-il échapper à ses origines et influences italiennes pour devenir un genre français ? Entre imitation et opposition, l’opéra français se cherche une identité propre, hésitant entre se reconnaître des sources ou se reconnaître un modèle.
La littérature française n’est jamais loin car l’opéra naissant entre en relation et concurrence avec le théâtre classique : nous voyons comment au XVIIe siècle Corneille participe aux premiers opéras français mais entend contenir le chant et la musique pour que le texte reste la première beauté, puis comment le couple Lully-Quinault privilégient avec le récitatif un art de la parole chantée qui fait de l’ombre à la déclamation tragique (au grand regret de Racine).
Au XVIIIe siècle les controverses reprennent entre l’opéra et les théâtres de foire récupérant la musique et le chant dans des vaudevilles et autres parodies bouffe, puis entre partisans de l’opéra italien et partisans de l’opéra français (fixé par Lully). Ces disputes tournent au débat sur la musicalité de la langue française connu sous le nom de Querelle des bouffons, et se poursuivent jusqu’à la veille de la Révolution avec l’opposition entre gluckistes (expressivité dramatique) et piccinistes (expressivité mélodique).
Jean-Louis Fesch, « Endymion », 1773-1778, gouache sur vélin © BnF, département de la Musique, Bibliothèque-musée de l’Opéra.

L’exposition aborde bien d’autres aspects de l’histoire de l’opéra, notamment l’histoire des salles, des costumes, de la danse, des scénographies et des publics. Genre spectaculaire par nature, destiné à émerveiller tous les sens, l’opéra déploie immédiatement des effets spéciaux, des « machines », sous l’impulsion de Jacques Torelli, le premier à faire voler des dieux sur scène, mais les costumes, hérités des fastueux ballets de Cour, ne sont pas moins l’occasion de vives sensations avec les créations les plus raffinées et les plus extraordinaires d’Europe, assurant au moins sur ce point la victoire de la France (avec Bérain) sur l’Italie.
Point par point, la France cherche en effet à se distinguer et surpasser l’Italie : pour la danse, le style français privilégie la grâce et l’élégance sur la virtuosité un peu acrobate des Italiens. La même volonté de grandiose se retrouve dans la construction de l’immense salle des Machines aux Tuileries (entre cour et jardin, d’où l’expression) pouvant accueillir cinq mille spectateurs et doté d’une scène saturée de dispositifs ingénieux (trappes et poulies).
Enfin, ce n’est pas sans intérêt que l’on suivra l’accessibilité de l’opéra à un public toujours demandeur, avide de chant, de danse et de musique, depuis le premier opéra, la Finta pazza représenté pour le roi et son gouvernement, le jeune Louis XIV âgé alors de sept ans en 1645, jusqu’au tout Paris qui communie à l’émoi suscité par l’incendie de l’Opéra de Paris au Palais Royal en 1781, dans des scènes dignes de celles connues récemment avec l’incendie de Notre-Dame, immortalisées alors par le puissant pinceau de Hubert Robert.
Hubert Robert (1733-1808). L’incendie de l’Opéra vu des jardins du Palais-Royal, le 8 juin 1781, huile sur toile © Paris, musée Carnavalet.

Cette exposition est le premier temps d’une année 2019 consacrée à la célébration des trois-cent cinquante ans de l’Opéra. Au deuxième semestre suivra une exposition sur les grandes heures de l’Opéra de Paris au XIXe siècle. L’occasion est belle dès maintenant de s’initier à cette histoire ou d’en compléter sa connaissance, les documents sont nombreux (plus de cent trente) et la visite est agrémentée de bornes ou entendre des airs d’opéra et d’écrans où voir des danseurs de ballet.
Et ce n’est pas un moindre mérite que de nous faire quitter le Palais Garnier non seulement plus instruit mais aussi plus nuancé sur cette question d’hier comme d’aujourd’hui : qu’est-ce qu’une identité culturelle nationale ?
• Exposition du 28 mai au 1er septembre à la Bibliothèque-musée de l’Opéra, Palais Garnier Entrée à l’angle des rues Scribe et Auber, Paris 9e. Tous les jours de 10 h à 17 h et jusqu’à 18 h à partir du 15 juillet 2019.

Pascal Caglar
Pascal Caglar

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