Trois livres pour lire les jeunes de banlieue
L’« amalgame », l’un des termes préférés des médias aujourd’hui recouvre une réalité… médiatique elle-même. On ne sait plus très bien où se situent les dealers et les “daechs”. La faute ? Des affirmations rapides qui tendent à définir tout jeune de banlieue en situation de délinquance comme un djihadiste en puissance.
Droit commun, radicali-sation, Syrie, voici la nouvelle trilogie de la pensée simpliste.
Or qu’est-ce qu’un jeune de banlieue ? C’est avant tout un jeune, nous disent d’autres jeunes, sociologues de terrain eux, comme Fabien Truong et Paul Pasquali. Ils sont en train de parcourir ce champ de la recherche en renouvelant à la fois approches et écriture.
Trois livres qui nous donnent à lire nos élèves ou bien encore les élèves des autres car si les élèves sont divers, il faut bien reconnaître que nos situations d’enseignants le sont également.
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Une geste contemporaine
Avec Des capuches et des hommes. Trajectoires de “jeunes de banlieue” (Buchet-Chastel, 2013), Fabien Truong mettait en cause la notion de « pensée spaghetti ». À l’instar du western spaghetti, un jeune est confiné dans un rôle simpliste : « La partie se joue toujours entre le bon, la brute et le truand, sans aucune possibilité de cohabitation paisible “, nous dit l’auteur, or, ” à trop vouloir ne voir que la société toute-puissante ou l’individu-roi comme principe explicatif là où il n’y a finalement que des adolescents, ces jeunes ne sont plus envisagés comme des hommes en devenir ».
Résultat : « Trop peu observés sous l’angle de leur trajectoire individuelle et sociale, ils le sont sous le prisme d’un cliché instantané. »
Ce qu’on nous donne à lire ensuite, ce sont les portraits de trois jeunes et les entretiens qu’ils ont accordés à l’auteur, prix de l’Écrit social 2014. Et là, stupeur : études, demandes scolaires croisent la délinquance réelle, voire profonde, sans qu’il y ait forcément de rupture entre celles-ci. Le jeune respecte ses parents et leur ment quant à l’origine de l’argent qui sert à payer ses tenues, il se méfie du discours des profs mais trouve que leur soutien est limité et leur en demande plus.
L’auteur nous avait prévenu ; le premier élève est voleur, le second dealer, le troisième casseur et brûleur et un peu des deux précédents sans doute. Ce livre ne parle pas de réussite scolaire exceptionnelle, il met en évidence comment un individu, jeune, se construit au quotidien, comment il erre entre une volonté réelle de savoir encouragée par son milieu, voire par ses pairs, et comment le même jeune entreprend des activités criminelles qu’il abandonne par la suite, parfois avec difficulté, comment il évoque lesdites activités sans fanfaronner, sous l’angle de l’efficacité.
On retrouve ces contrastes dans la manière dont les jeunes évoluent par la suite entre un début de réussite sociale et parfois un début de vie tout court, dans lequel, souvent, la religion joue un rôle vraiment déterminant.
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Passer les frontières sociales
Dans Passer les frontières sociales. Comment les “filières d’élite” entrouvent leurs portes (Fayard 2014), Paul Pasquali interroge, quant à lui, la réussite des dispositifs d’excellence en ZÉP. Lui-même boursier – « Malgré les statistiques je ne peux guère avoir de doute sur ma propre place dans ce champ. En sport cela s’appelle “être issu des qualifications”, quand ce n’est pas “de l’immigration” –, il montre comment, pour les élèves, les classes prépas sup-expé, avec leurs quotas de ZÉP, se révèlent un véritable parcours initiatique.
Il s’agit littéralement de continuer à avancer, franchir jour après jour un certain nombre d’obstacles. Être au niveau bien sûr, mais au niveau de quoi? Les exigences scolaires s’accommodent des exigences parentales : la réussite ce n’est pas un travail de secrétaire, c’est un cursus long, en université pour la mère célibataire de l’une d’entre eux. Le niveau c’est aussi celui de l’exigence vestimentaire et des codes relationnels qui règnent dans ce nouveau milieu, les tenants de la place ne se gênant pas pour remettre à leur place les « bac en bois ».
On ne reste cependant pas sur les trajectoires déclinantes de feux d’artifice avortés, les fusées poursuivent leur course, certaines d’entre elles trouvent leur apogée. Les obstacles s’effacent et on reconnaît le rôle « des parents, de la fratrie, des conjoints et des amis d’enfance dans l’invention d’arrangements qui, dans certains cas, atténuent ou résolvent les dilemmes de statut ». Grâce à ces tactiques semi conscientes, nous dit le sociologue, ils peuvent passer d’un univers à l’autre sans être sans cesse perturbés par l’ambivalence de leur position.
C’est précisément ce passage d’un monde à l’autre, cette « double présence » pour reprendre une formule de Pasquali, que Fabien Truong théorise dans son second ouvrage récemment paru, et issu de son travail de thèse. L’ancien professeur titulaire remplaçant en Seine-Saint Denis y donne à voir le devenir d’une vingtaine d’élèves de terminale qu’il a suivis, cas exceptionnel en sociologie, de 2005 à 2015. On y voit donc apparaître le « cheval à bascule » qui permet à certains de passer d’un univers à un autre sans heurts tandis que d’autres cherchent la rupture avec l’origine ou souffrent d’une impossible conciliation.
Une donnée positive, la croyance forte, jusqu’au bout, que le système est construit pour donner une chance à ceux qui le méritent, même si le discours se revendique comme celui de l’efficacité dans la compétition plutôt que de l’adhésion à un système de valeurs plus ou moins comprises.
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La pauvreté n’est pas là où on croit
Ce que montrent également ces deux ouvrages, c’est la prépondérance des cursus orientés vers le commerce, et comment petit à petit certains élèves se résignent et reportent leur choix vers des écoles moins prestigieuses ou des filières universitaires à partir du moment où l’on demeure dans la sphère du « business » au sens large.
En revanche le capital culturel « classique » est dévalué lorsqu’il n’est pas tout simplement abandonné, alors qu’il présente par ailleurs le plus haut degré de résistance à l’assimilation.
Le ferment de l’échec du système est là, les élèves qui finissent par réussir sont souvent ceux qui savent se regrouper entre eux, sans exclure l’acquisition d’un petit capital culturel mais qui ne peuvent faire face d’emblée à toutes les exigences des références culturelles.
Un outil pour interroger nos représentations
La parole des jeunes, en revanche, pourrait donner lieu à des lectures et des interrogations. Tous les jeunes de France, qui partagent leur âge comme capital commun (sans toutefois en avoir pleinement conscience), peuvent ici découvrir la parole de l’autre. Le pire ennemi de l’enseignant demeure le conformisme, et ceux dont on parle ici racontent des histoires connues certes mais avec des mots bien précis : la famille et la réussite ?
« Mon père il m’a toujours poussé . C’est quelqu’un qui a étudié, c’est quelqu’un qui a fait du foot, s’il avait pu faire des études plus longtemps, il l’aurait fait […]. Mais par exemple quand j’étais au lycée, il y avait une élève elle devait faire le ménage, elle devait s’occuper de ses petits frères et sœurs, et ensuite, faire ses devoirs. Je veux dire que ça, ça n’était pas possible pour elle. (Eliott)».
Les classes prépas ? « On était là, juste à l’entrée sur le côté, plus loin, tout le long t’avais les salles. Donc, quand on est arrivé je me suis dit “Ils nous ont parqués dans un coin ! ” C’était comme si on étaient les petits ZÉP, les petits sauvages qui descendent de leurs tours. (Thierry) ». Des dizaines de témoignages mais, là aussi, une parole qui évolue jusque dans le vocabulaire et les formulations. On peut y lire en filigrane le travail d’orientation.
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L’apport indispensable des sciences humaine pour penser le métier d’enseignant
L’ambiguïté de nos représentations est interrogée dès la couverture de Jeunesse françaises. Bac+5 made in banlieue (La Découverte, 2015). Celle-ci présente la photographie d’une bibliothèque, une bibliothèque universitaire à l’ancienne, travée centrale et tables en bois blond, abats-jours verts de la BNF et, mis en valeur dans la partie la mieux éclairée, un jeune homme penché dans une attitude classique d’étude et de savoir, qui ressemble d’autant plus à un moine qu’il porte une capuche sur la tête de la même couleur que son sweat-shirt et que l’on n’aperçoit pas le reste de sa tenue.
Si l’on mentionne ici cette couverture c’est qu’elle met en jeu notre regard : je peux y voir un jeune de banlieue, ou bien la figure iconique du clerc qui étudie ; et si l’explication ” Il s’agit d’un jeune de banlieue en train d’étudier à la bibliothèque” s’impose, je ne peux pas choisir pour autant d’ignorer la capuche qui, portée à l’intérieur ne connote pas l’étude.
Cette perception basculante qui ne peut jamais voir une seule figure dans ce cliché, renvoie particulièrement efficacement au concept de cheval à bascule utilisé par le sociologue dans cet ouvrage. C’est entre les deux univers, celui des études et de la vie parisienne et celui de la banlieue que le jeune trouve son point d’équilibre. Mais si lui le trouve, cela ne signifie pas pour autant que nous le percevions de la même manière.
Ce livre inaugure une nouvelle collection, « L’envers des faits », aux éditions de La Découverte, et réunit Fabien Truong à Stéphane Beaud et Paul Pasquali. L’apport des sciences humaines, pour penser notre métier mais aussi dans la compréhension du rapport à la langue de nos locuteurs, quels qu’ils soient, se révèle aujourd’hui essentiel.
Frédéric Palierne
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