Les trente ans du Théâtre national de la Colline
Le Théâtre de la Colline a fêté ses trente ans le 13 janvier 2018. À l’occasion de cet anniversaire, son directeur, Wajdi Mouawad, a souhaité rendre hommage à ses prédécesseurs Jorge Lavelli, Alain Françon, Serge Braunschweig, et rappeler l’histoire ininterrompue depuis 1988 d’un théâtre consacré aux auteurs contemporains, nationaux et internationaux.
Il semblait au départ qu’il y eut une audace un peu folle d’offrir une scène à l’écriture théâtrale contemporaine, mais le public donna raison à ceux qui avaient cru aux auteurs vivants, aux créations, aux expérimentations, puisque avec plus de 2,8 millions de spectateurs en trente ans, la Colline contribue tout autant que la Comédie-Française, aux succès des théâtres nationaux.
Les artisans d’une réussite théâtrale
Les principaux acteurs de cette réussite théâtrale ont ainsi été invité à évoquer leur rôle et leurs souvenirs dans cette histoire : dans l’ordre, Jack Lang, ministre qui décida les travaux transformant le Théâtre de l’Est parisien en Théâtre national de la Colline en 1983, manifestant la volonté de l’État de soutenir la culture jusque dans les quartiers moins favorisés de la capitale.
Puis Jean Perrotet, l’architecte qui aménagea la grande salle sur le modèle « romain » (et non italien) de ses réalisations précédentes à Chaillot, ou à la Ville, avec des salles en forme d’amphithéâtre dotées d’une visibilité égale partout et de plateaux ouverts permettant un usage maximum de la scène pour les moyens techniques et scénographiques.
Les précédents directeurs vinrent ensuite expliquer comment ils avaient manifesté une même foi dans le contemporain et portés à la reconnaissance du public des auteurs mal connus, comme Copi pour Lavelli, Edouard Bond pour Françon, Arne Lygre pour Braunschweig.
À chacun son crédo : Jorge Lavelli n’aima jamais monter des chefs d’œuvre, des classiques incontestables, préférant toujours le risque et le débat, les pièces à discuter plutôt qu’à vénérer. Alain Françon rechercha les passerelles, les précurseurs des contemporains et remit en lumière des auteurs comme Ibsen ou Tchekhov. Stéphane Braunschweig mit à l’honneur les écritures de plateau ainsi que les auteurs et acteurs issus de la diversité. Wajdi Mouawad, en héritier de ces grands noms de la scène poursuit le travail d’engagement dans des problématiques contemporaines comme le dialogue international, la parole de la jeunesse, ou encore la responsabilité.
L’orientation du Théâtre de la Colline
ne peut manquer d’interpeller le monde de l’éducation
Wajdi Mouawad lui-même rappelait l’importance du public jeune, le succès des cartes d’abonnement moins de 18 ans, et l’intérêt de ceux-ci pour le contemporain. Si la littérature donne chair à la vie des idées, le théâtre d’auteurs vivants irrigue la réflexion des plus jeunes sans le filtre de la langue ou de la culture ancienne.
Le contemporain est désormais une notion bien définie dans le paysage théorique : depuis Agamben (Qu’est ce que le contemporain?, 2008), jusqu’au récent Brouhaha, les mondes du contemporain, de Lionel Ruffel (2016), il se définit tantôt par une adhésion toute en distance au présent, tantôt par une pluralité déhiérarchisée, autrement dit soit par un dialogue entre les temps, soit par un dialogue entre les pratiques. Malgré cette reconnaissance culturelle, sa place dans les programmes est régulièrement en débat : pour lui retirer sa charge polémique il faut la sortir de l’alternative classiques ou contemporains, laquelle contraint au choix biaisé entre entre deux options jugées incompatibles. Il y aura toujours, on le sait, nécessité des deux types d’écritures. Il n’est à débattre que de la finalité pédagogique assignée à chacune.
Pour une initiation à la littérature européenne contemporaine
La programmation du Théâtre de la Colline résolument tournée vers les auteurs vivants français et internationaux indique ce que pourrait être un enseignement de la littérature contemporaine : une initiation naturelle à la littérature européenne actuelle.
Plutôt, ou du moins tout autant, que de reconstruire parfois artificiellement une histoire passée de la littérature européenne, c’est dans le dialogue entre les œuvres d’auteurs vivants, de nationalités différentes, que s’observe le mieux la convergence de préoccupations, d’inquiétudes et d’espérances qui poussent à la création de tous côtés de nos frontières.
L’Europe culturelle n ‘est pas une construction de l’esprit, on peut la voir et l’entendre régulièrement à la Colline : tout près du Père-Lachaise et des grands auteurs disparus, des vivants de toute l’Europe perpétuent l’exercice de la pensée.
Pascal Caglar
• Présentation du Théâtre de la Colline.
Voir sur ce site :
• Quelle place pour la littérature européenne à l’école ? par Pascal Caglar.
• Pour des programmes ouverts sur la littérature européenne, par Stéphane Labbe.
• À quand le théâtre pour tous ? par Pascal Caglar.
Stéphane Braunschweig est un excellent metteur en scène. j’irai d’ailleurs voir une rediffusion de sa mise en scène de Britannicus au cinéma.