Le travail d’écriture en français au DNB 2017
Le diplôme national du brevet 2017 a suscité sinon de vives polémiques au moins quelques interrogations légitimes notamment pour ce qui concerne la validation du socle commun à partir du contrôle continu.
En effet, les critères d’attribution des points pour chacune des huit composantes n’ont pas été d’une grande homogénéité selon les établissements. D’autant moins que le positionnement selon une échelle à quatre niveaux a parfois été établi sur la seule base de notes obtenues en classe de troisième, et non, comme cela était préconisé par le Ministère, au fil des évaluations menées au long du cycle 4.
Ce premier sujet de débat semble avoir occulté les enjeux des sujets proposés lors de l’examen terminal. Il apparaît ainsi intéressant de revenir spécifiquement sur la deuxième épreuve du domaine du français, le « travail d’écriture ».
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Un sujet pour élèves favorisés ?
L’énoncé du sujet B retient tout particulièrement l’attention :
” De temps en temps, je m’arrête, je tourne la tête et je regarde vers le bas de la rue où Paris s’entasse: des foyers éclatants et des taches de ténèbres piquetées de points d’or. Des flammes blanches ou rouges flambent d’en bas comme d’une vallée nocturne où s’est arrêtée la caravane des nomades. Et le bruit : bruit de fleuve ou de foule. Mais les flammes sont fausses et froides comme celles de l’enfer. En bas, dans un de ces parages sombres est ma rue du Dragon, mon hôtel du Dragon. Quel ordre sournois, le soir déjà lointain de ma première arrivée, m’a fait mystérieusement choisir cette rue, cet hôtel au nom dévorant et enflammé ?
Il me serait facile, d’ici, d’imaginer le monstre aux écailles de feu.”Jean Giono, Les Vraies Richesses, 1936
« Vous vous sentez vous aussi “dépayée(e)“ en arrivant dans une ville. Racontez cette expérience. Vous décrivez les lieux que vous découvrez, vous évoquez vos impressions et vos émotions. »
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Mettons-nous donc à la place d’un élève cantonné à son domicile et à son quartier pour des raisons socio-économiques. Comment sera-t-il en mesure de traiter pareil sujet ? À partir de quelles expériences ? Convenons que la situation d’un élève qui « voyage » avec ses parents n’a rien à voir avec celle de celui qui n’a aucun accès possible au dépaysement. Or, le sujet consistait justement en une forme d’invitation au voyage favorable à l’élève en mesure de s’appuyer sur une expérience vécue « ailleurs ».
Bien entendu, les concepteurs du sujet n’ont pas pensé à mal en le proposant mais, de fait, comment ne pas observer la ligne de fracture qu’il trace entre les uns et les autres. Très concrètement, un élève sédentaire pourra être désorienté face à un sujet qui l’exclut tacitement.
De toute évidence, s’être rendu dans un passé proche dans un lieu autre que celui fréquenté habituellement, permet de développer son propos à partir d’un contact visuel et sensitif avec un ailleurs. En somme, le sujet présuppose naïvement que chaque élève a fait l’expérience de ce type de rencontre et que l’imagination de chacun peut se déclencher à partir d’un rien.
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L’ambiguïté du dépaysement
Le trouble de l’élève qui n’est jamais parti de chez lui a sans doute été renforcé par le choix même de l’énoncé : « Vous vous sentez vous aussi ”dépaysé(e)“ en arrivant dans une ville. » En effet, le verbe « dépayser » est étymologiquement décomposable en un préfixe privatif, un nom, « pays », et une affixe verbale. D’où le problème de fond : être dépaysé au sens strict revient-il à signifier “être sorti du pays” ?
Bien entendu, le texte de référence issu des Vraies Richesses de Jean Giono était susceptible d’élargir le sens du verbe en suggérant que l’on peut être dépaysé simplement en quittant la campagne pour la ville, en l’occurrence, Paris.
Néanmoins, le mot « dépaysement » renvoie à l’idée d’une recherche d’un autre lieu où se manifeste un changement agréable d’habitudes. En ce sens, un élève de troisième pourra se trouver très embarrassé s’il n’a pas expérimenté une vraie rupture avec des changements de repères tangibles en découvrant une ou plusieurs villes étrangères.
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La ville, un lieu limitatif
Pour certains élèves habitant la périphérie urbaine et n’ayant pas la chance de voyager à l’étranger, le dépaysement peut certes passer par une sortie dans le cœur culturel d’une grande ville, mais il sera certainement plus sensible au déplacement à la campagne ou dans un village.
Par là même, le sujet se révèle très limitatif. Dans le contexte urbain de beaucoup d’élèves, la découverte de la nature et d’activités champêtres a plus de chances de marquer la mémoire et de stimuler l’imagination qu’une incursion dans une ville. C’est d’ailleurs à ce niveau que le texte de Giono permet de nourrir la réflexion.
En effet, l’essentiel du dépaysement tient à une inversion des images et des habitudes. Sauf que dans le cas de Giono, ce dépaysement est foncièrement déceptif. Tandis que le sujet laisse présager dans sa formulation (« Vous décrivez les lieux que vous découvrez, vous évoquez vos impressions et vos émotions »), un dépaysement plus attractif. Un problème de plus posée cette fois à tous les élèves. Et, donc, au final, un travail d’écriture difficile qui nécessitera, en toute probabilité, une sur-notation très artificielle.
Il y a donc un décalage entre l’horizon d’attente des concepteurs du sujet et la réalité de la matière nécessaire aux élèves pour le réaliser de façon optimale. Un tel énoncé aurait ainsi mérité d’être étayé par un court accompagnement.
Antony Soron, ÉSPÉ Paris Sorbonne
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• Modalités d’attribution du diplôme national du brevet sur Éduscol.
Je partage cette appréciation. Les politiques ne sont pas les seuls à être coupés des réalités socioéconomiques d’une certaine jeunesse.
Excellente réflexion. Bravo!