"The We and the I", de Michel Gondry
Michel Gondry est un artiste complet. Musicien de talent, créateur de clips vidéo, il est plus connu aux États-Unis qu’en France et a remporté de nombreux prix dans les festivals internationaux pour ses longs métrages : Human nature, fable philosophique sur les genres et la misérable condition humaine face à la sexualité ; et surtout, en 2004, le film culte Eternal sunshine of the spotless mind, avec Jim Carrey et Kate Winslet, Oscar du meilleur scénario.
Puis La Science des rêves (2006) tourné à la fois en français et en anglais avec des acteurs français et étrangers.
Enfin, après le provocateur Soyez sympas, rembobinez (2008), il s’essaie au blockbuster avec The Green Hornet, adaptation de la célèbre série télévisée des années 1960 Le Frelon vert.
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L’aboutissement d’un travail d’atelier
À ses moments perdus, il tourne des documentaires ou des fictions qui y ressemblent, comme The We and the I – tourné juste avant L’Écume des Jours, actuellement en post-production – qui a fait l’ouverture de la Quinzaine des réalisateurs à Cannes et a été présenté au festival du cinéma américain de Deauville. Ce film à petit budget, écrit par Gondry avec Paul Proch et Jeff Grimshaw, couronne une idée du cinéaste mise au point au terme d’un long travail d’atelier avec les élèves d’une communauté du Bronx qui fait accéder les adolescents aux activités artistiques.
Le réalisateur nous embarque dans un bus scolaire après le dernier jour de classe, avec ses élèves de high school – tous non-professionnels, portant leurs propres prénoms et interprétant des personnages qui leur sont proches – et s’intéresse au vécu de cette douzaine d’ados de toutes origines. Le groupe bruyant et exubérant évolue et se transforme tout au long du parcours. La mise en scène quasi-documentaire, dominée par quelques morceaux de bravoure, est ponctuée par des images vidéo des portables ou par des flash back dans la mémoire de certains.
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Un regard sur les extrêmes de la condition adolescente
Divisée en trois parties – The Bullies (Les durs), The Chaos, The I –, l’intrigue principale prend forme lentement et sûrement. Le tableau d’ensemble est nuancé par les personnages périphériques, vus tantôt comme à la dérobée, en brefs aperçus, tantôt en séquences plus développées, comme celle où le couple homosexuel débutant s’interroge sur sa transgression.
Ces regards sur les extrêmes de la condition adolescente accompagnent l’échelle des sentiments de l’insouciance à l’angoisse, de la douceur à la colère, de la cruauté à une surprenante affection. Les dures réalités de la vie dans une communauté marquée par la drogue, les difficultés économiques, sont à peine effleurées par un scénario qui refuse toute complaisance. Même si le Bronx est le hors-champ omniprésent du groupe enfermé dans ce huis-clos mobile. Durant le trajet, les personnalités se révèlent, certaines insupportables, d’autres qui gagnent à être connues. Le rapport entre le fond du bus, domaine des caïds, et les autres passagers apparaît d’emblée comme le rapport de force déterminant.
Les deux personnages centraux sont Michael, le beau gosse impassible qui trône au fond, sûr de son pouvoir, et Teresa, la fille dépressive, toujours moquée par ses copains. Mais il y a aussi Laidychen et sa copine Niomi, aux rapports compliqués, le silencieux Alex qui se tient à l’écart du groupe, absorbé dans sa lecture. Sans détour, tous les sujets de conversation favoris de ces ados sont abordés par eux avec spontanéité, sincérité et un véritable entrain. Les amitiés se font et se défont, les alliances se créent ou montrent leur fragilité.
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Un “road movie” urbain
Ce road movie urbain fonctionne bien et emporte l’adhésion, d’autant plus qu’on commence rapidement à se prendre d’affection pour ces gamins – de l’amateur de dessin plutôt doué, aux filles qui parlent des garçons –, comme Gondry lui-même et son équipe, s’interdisant de jamais les juger et retenant plus la tendresse pudique qui les unit que la violence de certains de leurs affrontements. Nourri de leur débordante énergie et de leurs émotions à fleur de peau, le film se démarque avec talent et sensibilité des habituels films documentaires ou de fiction sur les teenagers et même du caractère didactique et utopique des meilleurs comme Entre les murs de Laurent Cantet et François Bégaudeau. Car, malgré le caractère stéréotypé ou archétypal de certains comportements, ces comédiens débutants ont assez de vécu personnel pour dépasser les clichés et donner de l’originalité à leur performance.
The We and the I constitue, dans ce microcosme, une étude sur le vif de la vie des jeunes en communauté, avec, à mesure que le bus se vide, ses inévitables grandes gueules qui s’adoucissent dans un cadre plus intime invitant à la confession et aux épanchements sentimentaux.
Mêlant leurs propres histoires aux habituels conflits qui surgissent dans un milieu scolaire, le cinéaste s’intéresse à l’interaction entre le groupe et les individus, aux différences entre les comportements collectifs et ceux qui réussissent à s’en dégager. Cette dynamique est analysée en action avec beaucoup de tact et un naturel parfait.
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Un film passionnant et jubilatoire
La caméra d’Alex Disenhof parcourt cet espace confiné avec virtuosité sans nous rendre claustrophobes et sait le transcender à l’occasion. Tandis que la bande-son saisit certains échanges verbaux et en rend d’autres peu audibles dans le brouhaha général, le tout sur une musique hip-hop électro qui fait, comme on pouvait s’y attendre du compositeur accompli qu’est Michel Gondry, un usage raffiné de morceaux du rappeur Young MC (Marvin Young) de la fin des années 80.
L’empathie et la générosité avec lesquelles Michel Gondry filme un moment crucial de la vie de ces adolescents fait de ce film passionnant et jubilatoire une œuvre appelée à devenir un classique du genre.
Anne-Marie Baron
Superbe critique merci, le film est à voir absolument à la fois en tant qu’objet filmique mais aussi en tant que coupe sociologique représentative de la jeunesse des milieux difficiles! n’hésitez pas à jeter un oeil à ma critique si vous le voulez 🙂
Merci
V.