« The Selfish Giant », de Clio Barnard
Le conte d’Oscar Wilde portant ce titre raconte l’histoire d’un géant qui, pour interdire son jardin aux enfants, l’entoure d’une haute muraille. Il en est puni par un hiver permanent.
Le jour où il comprend sa faute, les enfants ramènent le printemps dans son jardin. Mais parmi eux manque celui qu’il aimait le plus. Quand enfin le géant le retrouve, c’est pour reconnaître sur les mains et les pieds de l’enfant des stigmates qui lui annoncent à la fois sa propre mort et sa rédemption.
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Une transposition du conte dans le Yorkshire
Pour son second long métrage après The Arbor, documentaire expérimental sur la dramaturge Andrea Dunbar, devenue célèbre dans les années 1980 en décrivant la vie des cités délaissées et morte à 29 ans, la cinéaste britannique Clio Barnard transpose la trame de ce conte merveilleux dans une ville pauvre au nord de l’Angleterre, dans le Yorkshire.
Le géant devient un ferrailleur, Kitten, qui offre à des enfants l’occasion de gagner un peu d’argent bien nécessaire. Deux garçons de treize ans acceptent son offre, Arbor, petit blondinet hyperactif et rebelle à toute forme d’autorité – familiale ou scolaire en particulier. Et Swifty, bon gros garçon placide. Ils feraient n’importe quoi pour ne pas aller au collège.
On entre difficilement dans cet univers chaotique, présenté en courtes séquences qui épousent le rythme saccadé de l’agitation d’Arbor. Le milieu social est mis en place, avec ses conditions de vie difficiles que la cinéaste rend obscures, presque abstraites par sa façon de filmer caméra à l’épaule. Pourtant des plans fixes magnifiques alternent avec ces séquences nerveuses et violentes, attestant une grande maîtrise filmique.
L’économie souterraine
Le paysage physique et social est celui d’une banlieue industrielle où les enfants vivent de la récupération de ferraille – tradition tzigane, mais les enfants sont sédentaires –, à proximité d’une centrale électrique. Prenant les vieux métaux dans les jardins des voisins, les câbles de cuivre le long des voies ferrées ou près des lignes à haute tension, ils les chargent à l’aide d’une charrette et d’un cheval, sillonnant les rues de Bradford en quête de tout ce qui peut être revendu à Kitten.
Câbles, rails et maigre végétation sont dominés par la silhouette massive du ferrailleur, géant à la fois exploiteur et bienfaiteur. Il voudrait bien aussi tirer parti d’un autre talent de Swifty, son don étonnant d’inspirer confiance aux chevaux et de les dresser en douceur. Il pense à en faire son driver de sulky, son lad, pour disputer les courses clandestines sur autoroute, spécialité des gens du voyage, qui sont devenues une attraction de la région.
Mais le véritable géant égoïste, c’est cette centrale électrique, magnifiquement éclairée, symbole d’une civilisation cynique et d’une idéologie meurtrière fondée sur l’argent acquis à tout prix, sans le moindre scrupule, aux dépens des plus faibles et des plus démunis. Entre Leeds, Bradford et Sheffield, la ville des couteaux, la sidérurgie britannique a décliné durant les années 1970 et 1980, la concurrence internationale a touché de plein fouet l’industrie locale et l’extraction minière. Dans un territoire désolé, rarement filmé, se développe une économie souterraine dans laquelle les enfants sont très impliqués.
De la peinture sociale à la tragédie
Clio Barnard retrouve l’univers et l’atmosphère des films de Ken Loach comme Kes (1969) ou Riff Raff (1990). Elle dirige admirablement deux jeunes comédiens prodigieux de vérité, Conner Chapman (Arbor) et Shaun Thomas (Swifty) qui forment un duo mémorable.
La deuxième partie montre les deux enfants quittant le statut d’amateurs pour entrer dans la vie professionnelle. Devenus tous deux ferrailleurs et Swifty lad, ils s’avèrent compétents et sont très appréciés. Mais Arbor est jaloux et craint de perdre son ami. Ne se contrôlant plus, il commet une erreur impardonnable. La fatalité est en marche.
De la peinture sociale à la tragédie, le film de Clio Barnard parle d’enfants à la dérive avec un talent qui rend leur histoire emblématique de notre société inégalitaire. Quoique très dur, ce film saisissant pourrait fournir l’occasion de débats passionnants dans les classes de nos collèges.
Anne-Marie Baron
• Le Portrait de Dorian Gray, d’Oscar Wilde, dans la collection Classiques abrégés.
• Oscar Wilde dans les archives de l’École des lettres.
• Sur ce site : “L’importance d’être Constant”, d’Oscar Wilde, traduit par Charles Dantzig, par Stéphane Labbe.
• Beauté morale et volupté dans l’Angleterre d’Oscar Wilde, une exposition du musée d’Orsay.