« The Lunchbox », de Ritesh Batra
Savez-vous ce qu’est un dabba-wallah ? Ce mot formé de dabba, boîte et wallah, celui qui fait, désigne un livreur de repas à l’intérieur d’un système sans équivalent dans la ville de Mumbai (ex-Bombay) en Inde.
La circulation y étant dramatiquement paralysée, les travailleurs des classes modestes préfèrent le transport ferroviaire aux transports routiers. Quittant très tôt leur domicile pour arriver à l’heure sur leur lieu de travail, ces petits employés, pour ne pas avoir recours à la restauration rapide, se font livrer le repas de la mi-journée – préparé tranquillement par leurs femmes dans la matinée suivant les prescriptions alimentaires de leur caste – par les dabbawalahs, qui, dans chaque quartier collectent, trient et rassemblent les boîtes, marquées des noms des destinataires et de l’adresse de livraison.
À chaque gare, les boîtes sont remises à un dabbawallah local, qui les livre aussitôt à l’adresse correspondante. Les boîtes vides sont rassemblées après le déjeuner et renvoyées dans leur maison respective, le tout pour une somme minimale et avec la plus grande ponctualité. Le taux d’erreur est estimé à 1 pour 16 millions, y compris au plus fort de la mousson. 175 000 clients par jour sont ainsi approvisionnés depuis plus d’un siècle.
Le cinéaste indien Ritesh Batra a imaginé l’impensable, l’erreur de livraison, et en a déduit les conséquences.
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Naissance d’un quiproquo
Ila, épouse modèle passe ses matinées à cuisiner et prépare à son mari des plats variés et savoureux, confiés chaque midi à un livreur. Chaque soir, elle attend de son mari des compliments qui ne viennent jamais. En effet, par une faille de ce système presque infaillible, le mari reçoit chaque jour la même nourriture fade qui l’exaspère, du chou bouilli ou farci. Pourquoi ? Parce que c’est un bureaucrate au bord de la retraite qui profite des petits plats d’Ila.
Conscient de la méprise, il laisse, un jour, un mot dans le panier repas. Ila lui répond. Une idylle épistolaire s’instaure…
Une comédie romantique à Bombay
L’exotisme des coutumes indiennes, le pittoresque de la ville de Bombay font oublier qu’on a vu cent fois ce genre d’intrigue dans le cinéma américain. Car le metteur en scène sait jouer sur la beauté des lieux et les règles rigides du système des castes pour créer une tension dramatique particulière.
Cette comédie romantique, où le hasard, comme il se doit, est le vrai metteur en scène, est rendue très vivante par le travail sur le son qui crée l’ambiance de la rue indienne, où l’on suit les vélos surchargés dans un trafic ahurissant. Son originalité est aussi une véritable mise en scène de l’écriture des lettres – d’abord auto-censurée, puis de plus en plus spontanée – et de leur lecture en voix off, qui, au centre de l’intrigue, en déclenchent les menues péripéties.
Des êtres simples, sympathiques, et injustement solitaires
Le charme des personnages fait naître l’émotion. De la jeune épouse délaissée qui s’ennuie et n’a que sa voisine du dessus à qui parler par la fenêtre, au fonctionnaire aigri et sans imagination, ils sont tous attachants, y compris l’assistant appelé à remplacer le futur retraité qui se révèle peu à peu plus ambigu que prévu et tout aussi vulnérable. Issus de milieux sociaux et de religions différents, la jeune femme et ces deux hommes ont en commun une même solitude et l’indifférence qui les entoure.
L’espoir – sans doute vain – d’une échappée à la mélancolie ambiante anime ces êtres simples, sympathiques et injustement solitaires, qui nous donnent une leçon d’optimisme dans des conditions de vie particulièrement difficiles.
Un regard sans complaisance sur la vie quotidienne en Inde
Film d’auteur réaliste et populaire qui se fraie un chemin entre les comédies à grand spectacle avec chants et danses de Bollywood et la nouvelle vague plus récente de polars dits « Mumbai Noir », The Lunchbox donne à voir un visage insolite de la vie quotidienne en Inde.
Le film amuse et intéresse parce qu’il refuse complaisance et misérabilisme pour se concentrer sur l’universelle aspiration au bonheur.
Anne-Marie Baron