"Suite armoricaine" de Pascale Breton. L’histoire de l’art comme accès à la connaissance de soi

"Suite armoricaine" de Pascale BretonAuteur, en 2004, d’Illumination, un premier long-métrage sur la confusion amoureuse et mentale d’un jeune homme, Pascale Breton signe avec Suite armoricaine un film choral passionnant, une quête des origines personnelles, sociales et culturelles. Une œuvre intelligente et sensuelle qui, entre psychanalyse et magie, trace un sillon très personnel.
Françoise (Valérie Dréville), historienne de l’art à Paris, quitte la capitale et revient dans la Bretagne de son enfance pour enseigner à l’Université de Rennes où elle a étudié. Ion, 19 ans, étudiant en géographie, y suit ses cours et tombe amoureux de Lydie, une étudiante malvoyante. Le passé va tous les réunir.

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Et ego in Arcadia

Françoise donne ses cours d’histoire de l’art dans une faculté moderne, dans la ville actuelle de Rennes, mais elle y sent la présence de la Bretagne de toujours, avec ses forces naturelles qui affleurent et bruissent ça et là. Elle commente le fameux tableau de Poussin, Et ego in Arcadia. Faut-il interpréter cette citation des Bucoliques de Virgile comme un memento mori ou comme une opposition ironique entre la sévérité de la mort et le caractère léger des nymphes et des bergers qui peuplent cette contrée mythique appelée Arcadie ?
Les étudiants semblent reproduire ces joyeuses danses pastorales en cette belle soirée de septembre sur le campus. L’enseignante, elle, reprend le titre du tableau à son compte, en se retrouvant, en face de ces jeunes gens dont elle a fait partie, à expliquer la perspective comme la perpendiculaire du regard et de la surface de la toile.
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Sur les chemins de la mémoire

Sensible, brillante, généreuse, elle a quitté la capitale, un compagnon, une psychanalyse, tout ce qui ne lui convenait plus. Elle va mieux et reprend contact avec de vieux amis perdus de vue. La bande des copains fous de rock’n’roll a du mal à se reconstituer. Françoise n’a pas grand chose en commun avec eux, mais ils incarnent l’atmosphère de sa jeunesse, les souvenirs des concerts des années 1980 où Marquis de Sade, Niagara ou Daho les faisaient danser dans les clubs de Rennes.
Parmi eux, il y a Moon, la plus libre, qui est devenue une épave sans domicile fixe. C’est la mère de Ion, elle s’installe dans sa chambre avec ses compagnons. Ion jusque là a dit qu’il était orphelin parce qu’il a honte de sa mère, qui le harcèle. Pour la fuir, il devient un fantôme hantant les coins sombres de la faculté, un SDF du dedans.
Surtout, Françoise renoue avec sa Bretagne natale, cette région immémoriale symbolisée dans son inconscient par un rêve qui la ramène au néolithique, avec des distributeurs de billets donnant des indications en breton et de grands sphinx de pierre. Des étudiants en ethnologie bretonne font appel à ses souvenirs, donnant un horizon historique au chemin suivi par sa mémoire consciente et inconsciente. Ils lui rappellent le patois oublié et lui apprennent que l’arbre qui bruit derrière la fenêtre est un saule tortueux, comme les voies de l’anamnèse.
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Correspondances

La réalisatrice croise avec fluidité les différentes voies de son retour aux sources, établissant un réseau de correspondances visuelles entre les signes de l’art et ceux de la vie : Moon est comme cette âme damnée dans la peinture de Joachim Patinir, à bord de la barque de Charon, qui regarde du côté de l’enfer parce que ses abords sont plus séduisants que ceux de l’Eden. Lydie, qui n’y voit pas, est la plus assurée et la plus lucide des étudiantes.
Des décrochements temporels à peine perceptibles reprennent de temps en temps le cours du récit selon un point de vue différent, comme dans un film policier. Car l’enquête se poursuit tandis que sur la bande-son, on entend un extrait de Rock Bottom de Robert Wyatt, composé après l’accident qui laissa hémiplégique le batteur de Soft Machine.
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Entre psychanalyse et magie

Françoise emmène Ion avec elle pour une petite excursion du côté de sa ferme. Elle a peut-être bu l’eau du Léthé, mais avec l’aide du garçon, le passé remonte en elle à mesure qu’elle avance. La voilà qui se souvient peu à peu du bocage, de la ferme familiale, du grand-père qui savait guérir les dartres et la peur. Elle retrouve le nom breton de ses plantes médicinales : l’ombilic de Vénus, l’achillée mille-feuille. Les mots sont magiques.
Son auto-analyse la mène à un flash-back fugitif où elle voit le vieillard broyant des feuilles pour soigner un nourrisson. Psychanalyse et magie ont opéré conjointement. La jeune femme a apaisé le mal-être de Ion, s’est réconciliée avec son passé et a trouvé son Arcadie bretonne, le pays de son enfance et des origines de l’humanité.

Anne-Marie Baron

 

Anne-Marie Baron
Anne-Marie Baron

Un commentaire

  1. « Le patois oublié » hem hem…Comme une fausse note dans un bel article…
    Enfin…on s’abstiendra d’en vouloir à l’auteur du texte, dans un pays qui n’est-ce pas est furieusement et constitutionnellement monolingue…

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