"Star Wars VII" ou le réveil poussif de la force
En 1977, quand George Lucas met sur orbite sa première Guerre des étoiles, les spectateurs du monde entier lèvent les yeux au ciel. Avant les écrans panoramiques et le système 3D, le cinéma grand public se révèle enfin capable de défier les frontières intergalactiques en rassemblant les spectateurs de 7 à 77 ans. Deux décennies plus tard, le créateur démiurge boucle la boucle de son projet pharaonique en proposant une nouvelle trilogie censée décliner les origines de la première.
Malgré quelques réticences légitimes de la critique cinématographique, le charme opère à nouveau à l’échelle planétaire et les produits dérivés de la franchise envahissent définitivement l’imaginaire collectif du troisième millénaire.
Désormais propriétaire des droits d’auteur, la firme Disney n’a plus qu’à faire fructifier la saga la plus lucrative de l’histoire du cinéma.
Le péril d’une deuxième renaissance
Pour assurer cette deuxième renaissance, les scénaristes ont choisi de se placer en aval de l’épisode 6 où Luke Sky Walker, Han Solo et la princesse Leia ont eu raison de l’outrageux orgueil de Dark Vador et de son âme damnée, l’Empereur, premier prophète du côté obscur de la force. Les années ont passé et la République n’a pas su contenir les assauts d’autres redoutables incarnations du Mal, le Géant Snoke (mélange de la créature de Roswell et du terrible Voldemort d’Harry Potter) et son agent destructeur Kylo Ren (le fils dévoyé de Han Solo et Leia).
Menacée non seulement par une nouvelle armada de soldats décérébrés mais aussi et surtout par la mise au point imminente d’une arme de destruction massive, la République en péril se trouve à nouveau dans la résistance tandis que nul ne sait où est allé se terrer, Luke, le fameux Jedi rédempteur, triomphateur de l’épisode précédent.
Un film de synthèse
En confiant la réalisation à J. J. Abrams, le réalisateur du dernier Star Trek et de Mission impossible III, Disney s’est doté d’un maître de la superproduction hollywoodienne à la mesure de son investissement financier. On ne s’étonnera pas dès lors du créneau artistique privilégié dans cette nouvelle affaire de gros sous propre aux blockbusters du septième art actuel : au lieu de singulariser une aventure inédite, l’idée consiste bien davantage à compiler tous les motifs – voire les poncifs – des plus grands succès du box-office des dix dernières années. Et de ce point de vue, il faut en convenir, le spectateur en a pour son argent.
Lorgnant tantôt du côté d’Harry Potter avec un Kylo Ren aux fausses allures du professeur Rogue, tantôt du côté du Seigneur des Anneaux, avec le pommeau du sabre laser de Luke Sky Walker (garant de l’équilibre galactique) retrouvé au fond d’un coffre poussiéreux, l’épisode 7 opte aussi pour un degré de féminisation accrue en accordant le rôle principal à Rey, jeune femme naturellement aventureuse : personnage (par parenthèse) dont la paternité reste moins facile à élucider à la fin de l’épisode que son cousinage avec Katniss Everdeen, l’héroïne d’Hunger Games.
Là où George Lucas avait réussi à synthétiser des mythes issus de différentes traditions culturelles et littéraires et à les mettre en résonance avec l’histoire tragique de la première moitié du XXe siècle, le prolongement de la saga répond complaisamment à un cahier des charges enjoignant à placer le spectateur à pop-corn en terrain cinématographique connu.
De la pauvreté de l’intertexte et de l’intra-texte
Star Wars était au commencement de la saga très en avance sur son époque. Avec des moyens financiers finalement assez raisonnables par rapport à un tel projet, l’équipe de réalisation avait notamment su faire sensation sur le plan des effets spéciaux. De ce point de vue, on conviendra que le budget illimité dédié au dernier opus reste loin de décupler les pouvoirs de la force… imaginative.
Il faut dire que l’entreprise de différenciation avec l’œuvre originelle de Georges Lucas n’était pas si aisée. Comment inventer une nouvelle aventure sans renier ses sources, comment introduire de nouvelles figures sans annihiler les monstres sacrés des épisodes glorieux ? Or, à ce niveau encore, l’épisode 7 laisse le spectateur sur sa faim. À titre exemplaire, le personnage de Han Solo (Harrison Ford), père désorienté par la mauvaise pente prise par son rejeton, n’a pas seulement pris quelques rides ; impossible de ne pas voir en lui un avatar (encore un) d’Indiana Jones que le même Harrison Ford a joué rien moins qu’à quatre reprises entre l’épisode 4 et l’épisode 7 de La Guerre des étoiles.
La fascination de Kylo Ren pour Dark Vador a quant à elle pour fonction d’assurer la cohésion du côté obscur au travers des âges sans convaincre le spectateur pour autant. Ôtant de façon trop précoce son casque noir similaire à celui de son idole, le néo-maléfique en constitue de fait une bien pâle reproduction propre à ne causer au final qu’un effroi très mesuré.
Quant au fameux droïde à l’intelligence artificielle exceptionnelle, R2D2, s’il reste mutique presque tout au long du film du fait de la disparition de son maître, Luke, ce n’est que pour céder la place à une créature semblable de la toute dernière génération, la nouvelle icône enfantine BB8.
De l’intra-texte à l’intertexte, le simplisme reste tout autant de rigueur. Ainsi, le mythe œdipien est bien entendu rappelé à l’ordre : la nécessité de tuer le père constituant le credo fondamental de film en film : non plus Dark Vador par Luke (le Mal par le Bien) comme dans l’épisode 6 mais Han Solo par Kylo Ren (le Bien par le Mal). On gardera un même niveau de circonspection sur le plan intertextuel en assistant au duel entre Rey et Kylo Ren testant le degré de leur force respective pour extraire le pommeau du sabre laser de Luke d’un amas de neige comme jadis Arthur l’épée Excalibur rivée dans l’enclume.
Trop d’invraisemblable tue l’irréel
L’épisode 7 de Star Wars pèche enfin par la somme de situations invraisemblables qu’il propose aux spectateurs. Ici par exemple, le fameux vaisseau d’Han Solo, “Le Faucon Millenium”, hors-service depuis des lustres, redémarre sans trop de hoquets avec pourtant aux manettes une vraie débutante en la personne de Rey. Dans un tel film, le contrat tacite implique évidemment d’accepter une bonne dose d’invraisemblances à condition bien entendu que la fiction proposée ne soit pas trop grossière. Malheureusement, dans le cas présent, c’est à nouveau le trop qui fragilise la crédibilité de l’aventure narrée à la vitesse de la lumière.
Coéquipier inopiné de Rey, Finn demeure ainsi un ancien soldat repenti écœuré par la barbarie du Premier ordre. Jusque là limité à la décharge des ordures, il se mue en moins de temps qu’il ne faut pour le dire en un combattant téméraire. La remarque vaut d’ailleurs pour Rey qui manie le sabre laser comme si elle l’avait toujours fait et dompte la force tout aussi promptement tandis qu’il avait fallu à Maître Luke dans l’épisode 6 les trésors de patience de Yoda pour l’initier à la maîtrise de ses pouvoirs.
On l’aura compris, le produit fini n’a d’autre finalité que générer un phénomène de masse. Et cette intention grégaire a très naturellement porté ses fruits en quelques jours d’exploitation en salles, au-delà des espérances de la production. Peu importe donc les considérations critiques, les soupçons de nostalgie et les observations de détails. Il reste néanmoins à entendre les premiers commentaires d’après projection pour mesurer qu’au final le spectateur lambda de la saga Star Wars apparaît plus en quête d’un rituel cinématographique que d’une rencontre du troisième type avec un Objet Filmique Non Identifié (OFVNI).
Antony Soron, ESPE Paris
Voir sur ce site :
• Le passé des héros et le futur de l’industrie : “Star Wars VII : Le Réveil de la force”, par Jean-Marie Samocki.
• “Star Wars, une saga, un mythe”, de Laurent Aknin, par Stéphane Labbe.