« Le sentiment de construire quelque chose », entretien avec Alan Mets
Alan Mets est un taiseux, un grand timide et, surtout, tout le contraire d’un esbrouffeur. S’il a accepté de répondre aux questions de l’École des lettres, c’est (aussi) parce que cet entretien lui permettait – momentanément – d’échapper à la corvée d’aspirateur dans sa voiture… Après trente-cinq albums et à peu près autant de romans jeunesse illustrés, cet hypersensible garde la modestie et la fraîcheur d’un débutant.
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De la philo aux livres pour enfants
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Quel a été votre parcours ?
Alan Mets. – Après des études en sciences de l’éducation, philosophie et arts plastiques, j’ai fait l’école normale. J’ai dû enseigner à peu près cinq ans, et puis j’ai arrêté pour me consacrer à des disciplines plus artistiques.
Vous dessiniez déjà à l’époque ?
Dans les années 1980, je m’intéressais plutôt au cinéma expérimental, à la vidéo, aux installations. Mais je faisais aussi du dessin, des toiles… et du mail art pour des galeries qui avaient besoin de publicité : je dessinais sur des enveloppes ! J’ai aussi été critique de cinéma. Les livres pour enfants sont venus plus tard.
Pourquoi ce choix du livre pour enfants ?
Les gens de ma génération n’ont pas eu véritable- ment de livres pour enfants. Je les ai découverts en terminale, à l’occasion d’un stage pour devenir moniteur de colonies de vacances. Je faisais un peu de bande dessinée avec des copains, nous avions un fanzine. Et puis j’ai découvert les albums de Tomi Ungerer et, notamment, Le Géant de Zeralda. Là, j’ai compris ce qu’était vraiment l’impertinence, plus encore que dans Charlie Hebdo ou Pilote. Cet album m’a fait un effet incroyable.
Quand j’ai commencé à en réaliser moi-même, ce qui m’intéressait, c’était de passer du coq à l’âne : tout était possible. Lorsqu’on fait un album, on est seul face à une feuille blanche, et on peut raconter et dessiner ce qu’on veut.
Avez-vous publié à « l’école des loisirs » dès votre premier album ?
Oui. Il avait pour titre Le Chat orange. Quand je l’ai présenté à Arthur Hubschmid, le directeur éditorial, le livre contenait des collages, des dessins à la plume, d’autres au pinceau, bref, plein de techniques différentes. L’histoire intéressait Arthur, mais, pour le reste, il m’a demandé de refaire !
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« J’aime bien dessiner ce que les enfants imaginent »
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Quand avez-vous commencé à intervenir dans des établissements scolaires ?
Dès le début. J’ai tout de suite été invité comme auteur. Quand on n’est pas très connu, ce métier de créateur d’album paraît bizarre. C’est peut-être un peu moins vrai maintenant, mais c’était encore le cas dans les années 1990.
J’expliquais comment on fait un livre : j’arrivais avec des planches, des maquettes, des crayonnés, des manuscrits, je montrais la fabrication d’un album.
Aujourd’hui, les rencontres n’ont plus rien à voir avec celles de mes débuts. Je ne suis plus l’« auteur de service » : les enseignants et les élèves connaissent mes livres, préparent des choses spéciales, et font de la rencontre un moment de fête avec jeux, déguisements (si, si, ça m’est déjà arrivé !) et goûters !
Je n’explique plus comment on fabrique un livre, sauf si on me le demande expressément. Je préfère venir avec un pinceau, un crayon, et dessiner devant les élèves. J’aime bien dessiner ce que les enfants imaginent, leur montrer comment, chez moi, je cherche des idées devant une feuille blanche.
Arrive-t-il que ce dessin soit l’amorce d’une histoire ?
Oui. Il m’est arrivé de construire une histoire avec les enfants au cours d’une rencontre – pour que ce soit possible, il faut, bien sûr, que la rencontre soit un peu longue. Mais certaines se déroulent en plusieurs étapes successives.
Par exemple, il y a une dizaine d’années, deux classes de Tours sont venues passer une semaine à Avignon, où j’habite. Les enfants étaient logés en ville et allaient à l’école ; je me déplaçais pour les rencontrer, ou bien ils venaient chez moi, dans mon atelier. Nous avons fait deux livres, qui ont été imprimés, et chaque enfant est reparti avec un exemplaire.
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« On ne devrait pas faire des livres comme ça ! »
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Êtes-vous sensible aux commentaires de vos lecteurs ?
Je m’efforce de dresser une barrière assez étanche entre les histoires que j’écris et la façon dont elles sont accueillies.
Pour garder ma liberté. Bien sûr, je suis heureux quand on me dit qu’on aime mes histoires, mais aussi finalement quand on me dit qu’on les déteste – ce qui m’est déjà arrivé, notamment dans certaines écoles privées où j’ai été parachuté à l’occasion d’un salon !
Ma culotte, par exemple, a suscité ce commentaire, que l’on m’a rapporté, d’une institutrice : « On ne devrait pas faire des livres comme ça ! » Elle a donc refusé de le lire, l’a glissé dans une enveloppe qu’elle a soigneusement fermée avec du Scotch et l’a rendu à l’enfant.
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« Un humain installé sur un bout de table
avec un crayon et du papier »
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À votre avis, quel est votre apport lors de vos interventions dans les classes ?
Le fait de voir quelqu’un dessiner est très important dans la motivation. Je suis d’une famille où on dessinait: j’ai donc regardé mes grands-parents dessiner, mes parents dessiner, et cela me fascinait.
Je me souviens que passait à la télé quand j’étais enfant, dans les années 1970, une émission intitulée Tac au Tac, dans laquelle des dessinateurs comme Franquin venaient dessiner en direct. Il y avait un plaisir magique à les regarder faire.
Autre élément essentiel dans une rencontre: montrer que celui qui fait un livre est quelqu’un de totale- ment normal. La télévision donne aujourd’hui une image un peu artificielle, déshumanisée, de l’auteur. Le faire venir dans une classe, c’est montrer un humain installé sur un bout de table avec un crayon et du papier, et qui cherche des idées plus ou moins intelligentes.
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« Garder le lien… »
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Vous arrive-t-il de garder le contact avec certaines classes ?
Pas vraiment. C’est d’ailleurs ce qui est difficile dans les rencontres: sauter d’une école à l’autre, d’une ville à l’autre… sans suite. On passe des moments vraiment géniaux avec certaines classes et, après, plus rien. Au début, je le vivais très mal, c’était dramatique. En fait, nous faisons un métier très solitaire.
Je trouve terrible de ne pas pouvoir garder le lien avec tous les gens que l’on rencontre. C’est aussi pour cette raison que j’apprécie d’être à l’école des loisirs depuis si longtemps : cela me permet de garder des liens depuis des années.
Beaucoup des gens avec qui je travaille sont d’ailleurs devenus des amis. Je ne sais pas comment font les auteurs qui passent d’un éditeur à un autre.
C’est une chance extraordinaire que d’avoir cette relation suivie depuis vingt-cinq ans. Cela me donne le sentiment de construire quelque chose.
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