La Semaine de la presse et des médias dans l’école : de l’événement à l’enseignement obligatoire ?
Depuis près de trente ans la Semaine de la presse et des médias dans l’école est un rendez-vous particulier pour les collégiens et les lycéens avec l’information, et son succès est toujours croissant, comme l’attestent les chiffres du ministère indiquant le nombre d’enseignants et élèves y participant.
C’est l’occasion de réaliser toujours plus de projets, toujours plus de débats, toujours plus de réflexions sur les questions les plus actuelles, comme cette année les fake news, les théories du complot ou encore l’information sur Twitter, l’ensemble articulé autour d’un thème renouvelé tous les deux ans – pour 2017 et 2018 : D’où vient l’info ?
Vers une discipline scolaire ?
Il est vrai que les services du CLEMI n’épargnent pas leur peine pour proposer d’année en année des dossiers pédagogiques toujours plus riches en exercices et stimulants en informations. Cette somme de documents recueillis depuis trois décennies laisse à penser que ce qui fait événement une semaine pourrait fort bien se structurer en discipline scolaire, et que « Information et médias » pourrait légitimement devenir une matière à part entière, disposant d’un programme gradué, d’un horaire spécifique, d’exercices variés et de modes d’évaluation originaux.
La Semaine repose en effet sur l’initiative individuelle d’enseignants, de professeurs documentalistes ou d’établissements. Les activités inventives et ingénieuses des uns et des autres donnent souvent un air de fête du journalisme (concomitant avec le retour du printemps) à cette manifestation annuelle. S’il n’y a pas de raison de s’en plaindre, il y a peut-être des raisons d’en attendre plus.
D’une part le traitement de l’information et des médias fait partie du socle commun des connaissances et de la culture par lequel on attend de l’élève qu’il « accède à un usage sûr, légal et éthique pour produire, recevoir et diffuser de l’information », d’autre part le programme d’éducation morale et civique (ÉMC), matière à part entière au collège, inclut selon les cycles l’étude des médias (la formation du jugement critique ou encore l’opinion publique et les médias), et enfin les lycées professionnels, seuls lycées à conserver l’ÉMC, ont à leur programme de Seconde « Le citoyen et les médias ».
C’est la reconnaissance d’une nécessaire éducation à l’information qui pourtant n’ose pas encore toucher tous les élèves de tous les lycées, se structurer en matière obligatoire dans le bac général ni couvrir tous les niveaux jusqu’en terminale, voire en prépa, comme le suggère la page officielle de la Semaine de la presse et des médias. Du reste, pourquoi une Semaine de la presse de l’enseignement primaire au classes post-baccalauréat, et pas d’éducation aux médias régulière au-delà du collège ? Comment en rester à une seule manifestation circonscrite dans le calendrier, limitée en impact, alors que le poids des médias n’a cessé d’augmenter au cours de ces vingt dernières année avec le déferlement de l’information numérique ?
Une nécessaire formation à l’étude des médias
L’élargissement souhaitable de l’étude de l’information ne manque cependant pas de poser des problèmes. En relation avec les contours disciplinaires, l’une des difficultés majeures consiste à s’entendre sur la désignation des enseignants chargés d’enseigner une pareille matière. Les professeurs documentalistes, bien sûr (voir sur ce site le compte rendu de l’audition de l’Apden à l’Assemblée nationale en mars 2018). Mais aussi les professeurs d’histoire-géographie ? Les professeurs de lettres ?
Par leur inscription dans les programmes d’instruction morale et civique, médias et information relèvent plus de la compétence des historiens/géographes ; par les techniques d’analyse, du texte ou de l’image, par l’histoire conjointe de la presse et de la littérature les lettres ont aussi leur légitimité : faut-il dès lors réserver au volontariat ? Par ailleurs, en amont, les enseignants sont-ils vraiment formés à cette étude des médias ? Dans le cursus d’un étudiant de lettres, y a-t-il un cours médias-communication, y a-t-il une option au capes ?
Une formation initiale digne de ce nom mériterait de s’amorcer dès les années de licence, ou de se généraliser dans les ÉSPÉ, car s’il est vrai que le CLEMI propose dans chaque académie aux enseignants qui le demandent des formations majoritairement pratiques, visant le plus souvent l’accompagnement de projets (créations de médias, de journaux, web radio, web télé, vidéos), d’une part les volontaires ne sont pas si nombreux et d’autre part la formation scientifique reste très peu prononcée alors que la connaissance de l’histoire et de l’économie des médias, ainsi que de la sociologie de l’information seraient nécessaires
Quels professionnels faire intervenir ?
Enfin, dans cette distribution des rôles la place des professionnels de l’information reste aussi à préciser et suppose un ajustement aux côté des enseignants dans l’esprit d’ouverture de l’école aux intervenants extérieurs que l’on nous vante tant aujourd’hui. Les journalistes professionnels sont nombreux à intervenir sur la seule manifestation de la Semaine de la presse et des médias, mais ils viennent en majorité de la presse écrite, les intervenants radio ou télé se faisant plutôt rares.
Du reste, faut-il être journaliste pour parler de la presse ? Peut-on être critique sur les limites de ce métier lorsqu’on l’exerce soi-même ? Des universitaires, chercheurs ou spécialistes, mériteraient aussi d’être invités ou entendus, notamment sur les rapports des médias et de l’argent (n’allons-nous pas vers une marchandisation de l’information ?) auprès de publics plus mûrs, comme ceux du secondaire et du supérieur.
L’éducation aux médias au programme du bac ?
Former le citoyen, développer l’esprit critique, faire réfléchir les élèves sur le fonctionnement des médias, leur apprendre à connaître la façon dont les journalistes exercent leur métier, les aider à mieux décrypter l’actualité, tout cela est certainement l’un des devoirs de l’école.
Cet objectif est si noble, si respectable, que non seulement il vaut bien de le célébrer à travers toutes les initiatives déployées par tant d’enseignants à l’occasion de la Semaine de la presse et des médias, mais il mérite aussi d’être soutenu et fortifié par un enseignement plus régulier et plus complet adressé à tous et à tous les niveaux. Qui sait si la redéfinition à venir des matières et des programmes dans le sillage du futur bac n’apportera pas un souffle nouveau et fort à l’étude de l’information ?
Pascal Caglar
• Les ressources du CLEMI.
• Voir sur ce site l’intégralité des interventions de la délégation de L’Association des professeurs documentalistes de l’Éducation nationale (APDEN) auditionnée à l’Assemblée nationale (mars 2018).
La circulaire n°2017-051 du 28 mars 2017 définit les missions du.de la professeur.e documentaliste selon trois axes : il.elle « est [d’abord] enseignant et maître d’œuvre de l’acquisition par les élèves d’une culture de l’information et des médias, maître d’œuvre de l’organisation des ressources pédagogiques et documentaires de l’établissement […], et acteur de l’ouverture de l’établissement sur son environnement éducatif, culturel et professionnel. »
• “L’École des lettres” publie depuis de nombreuses années des articles et comptes rendus d’expériences consacrées à l’éducation aux médias que l’on trouvera réunis dans les Archives.
• Voir également le dossier : Prévention de la radicalisation : que peut faire l’école ?, par Fabrice Fresse.
Pour la première fois , je fais la semaine de la presse dans ma classe (CM2) en partenariat avec le CLEMI qui propose des activités admirables en direction des élèves.
Toutes les activités sont d’une richesse incroyable et sont essentielles pour appréhender l’information, les média et le métier de journaliste. De nombreux exemplaires de revues ou journaux souvent méconnus sont offerts aux classes qui participent au projet et ils ouvrent de nombreuses perspectives dans les apprentissages. J’ai adoré recevoir aussi l’affiche sur la liberté de la presse dans le monde en 2017, elle a suscité aujourd’hui de nombreux questionnements parmi mes jeunes élèves… Une semaine indispensable dans la scolarité de nos chères têtes blondes.