Notre planète. Chronique n° 1
S’éduquer, s’informer, pour mieux agir

Devant l’urgence climatique, chaque degré et chaque action comptent. L’École des lettres lance une rubrique croisant notamment les lettres, les sciences, les arts, l’économie et la pédagogie pour évoquer le sort de la Terre et du vivant. Une nouvelle référence pour démarrer : Le Grand Livre du climat, sous la direction de Greta Thunberg.

Par Ingrid Merckx, rédactrice en chef de L'École des lettres

Devant l’urgence climatique, chaque degré et chaque action comptent. L’École des lettres lance une rubrique croisant notamment les lettres, les sciences, les arts, l’économie et la pédagogie pour évoquer le sort de la Terre et du vivant. Une nouvelle référence pour démarrer : Le Grand Livre du climat, sous la direction de Greta Thunberg.

Par Ingrid Merckx, rédactrice en chef de L’École des lettres

« L’humanité a un choix : coopérer ou périr. C’est soit un pacte de solidarité climatique, soit un pacte de suicide collectif », a déclaré solennellement Antonio Guterres le 7 novembre à Charm el-Cheikh. Le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies, en poste depuis 2017, s’adressait à près de cent chefs d’État et de gouvernement réunis en Égypte à l’occasion de la COP 27. Le matin même, invitée de la matinale de France inter, Sasha Cantet, militante du collectif écologiste Dernière Rénovation, répétait : « 2° de plus sur la planète, ce sont des famines de masse, des migrations de masse et des guerres à cause du manque d’eau et de ressources. »

Couverture de l'ouvrage Le Grand Livre du Climat, sous a direction de Greta Thunberg
Couverture du Grand Livre du climat.
Crédit photo : éditions Kero

Les scénarios les plus optimismes assurent désormais que les objectifs de limiter le réchauffement global à + 1,5° ne seront pas tenus. Le monde s’accélère même vers ce qu’Antonio Guterres a nommé « l’autoroute de l’enfer climatique ». D’après le Groupe intergouvernemental sur le changement climatique (GIEC), le réchauffement planétaire atteindra 3,2° d’ici à 2100 avec les politiques climatiques actuelles. Et le réchauffement s’annonce pire que prévu en France, selon une étude réalisée par le CNRS et rendue publique le 17 octobre : « Si les tendances actuelles d’émissions de carbone se maintiennent, la température moyenne de l’Hexagone sera 3,8 °C supérieure à celle du début du XXe siècle. Un chiffre qui pose d’immenses défis d’adaptation et qui promet des changements sévères dans l’agriculture et les écosystèmes français. »

« On ne pourra pas revenir en arrière, mais tout ce qu’on fait aujourd’hui peut empêcher que ce soit pire chaque jour », a déclaré en substance Valérie Masson-Delmotte, spécialiste en sciences du climat, le 8 novembre, lors de l’émission spéciale sur France 2 « Aux arbres citoyens ».

Chaque degré compte, et donc chaque savoir et chaque initiative. Même si certaines peuvent être discutées : planter à tout va est une « fausse bonne idée », indique par exemple le journaliste Gaspard d’Allens sur le site écologiste Reporterre. Et les manifestations contre les projets de méga-bassines, comme à Sainte-Solines dans les Deux-Sèvres ou à La Clusaz en Haute-Savoie, montrent, y compris en France, l’émergence de conflits d’usages autour de l’eau. Dans un monde qui s’adapte aux nouvelles contraintes climatiques, les projets diffèrent parfois radicalement. D’autant que, à l’heure où chacun veut montrer qu’il a pris la mesure du problème, le greenwashing fait figure de nouvelle religion. Ou de dernière ruse, pour maintenir le monde d’avant, énergivore et polluant.

L’être humain est la seule espèce à détruire son habitat. Mais il est doué d’imagination : il lui faut réparer ce qu’il a détruit, préserver et protéger l’existant et inventer un futur viable et désirable pour les générations futures. L’École des lettres lance une rubrique dédiée pour faire écho aux récits qui concernent notre planète et le vivant, en croisant les disciplines et les approches : lettres, sciences, arts, économie, pédagogie…

Le Grand Livre du climat

Un essai vient de paraître aux éditions Kero sous le titre Le Grand Livre du climat, « Sous la direction de Greta Thunberg ». La militante suédoise, qui a lancé les grèves scolaires pour le climat, « Friday for future », en 2018, est aujourd’hui âgée de 19 ans. Elle a pris un peu de recul après avoir enduré plusieurs burn-out militants et reçu des messages hostiles et autres menaces de mort. Preuve que la lutte contre le réchauffement dérange quelques intérêts. Greta Thunberg étudie le développement durable à l’université. Surtout, elle voulait partager sa place d’icône du climat dont elle n’a endossé la responsabilité que pour faire avancer la cause et lutter contre sa propre éco-anxiété.

« On ne peut pas être un peu plus durable – on l’est ou on ne l’est pas, signale-t-elle en introduction. C’est comme un lac gelé : soit la glace supporte votre poids, soit elle cède […] Aucune planète ne viendra à la rescousse. […] Une seule solution s’impose : il faut atteindre une masse critique de personnes exigeant le changement. Pour y parvenir, nous devons rapidement sensibiliser le plus grand nombre. »

Les articles de cet énorme et important travail collectif sont signés par plus d’une centaine de spécialistes, scientifiques, économistes, universitaires, journalistes, militants… On y croise notamment les noms de Naomi Klein, Thomas Piketti, Lucas Chancel, mais aussi ceux d’écrivains comme Amitav Ghosh et Margaret Atwood. Greta Thunberg a rédigé les introductions des cinq et imposantes parties : « Comment fonctionne le climat », « La planète change sous nos yeux », « Quels impacts sur l’humanité ? », « Qu’avons-nous fait jusqu’ici ? », « Ce qu’il faut faire maintenant », mais aussi les ouvertures des sous-parties. En lançant ce projet « pour sensibiliser le plus grand nombre », elle a souhaité réunir « les données scientifiques actuelles les plus abouties » :

« Ce livre aborde tous les sujets depuis la fonte des glaces jusqu’à l’économie, de la fast-fashion à la disparition des espèces, des pandémies à l’engloutissement des îles, de la déforestation à la perte des terres fertiles, des pénuries d’eau à la souveraineté indigène, de la production alimentaire future au budget carbone – il met à nu les actions des responsables et les échecs de ceux qui auraient dû depuis longtemps partager ces informations avec les citoyens du monde. »

Les contributeurs de ce livre, qui écrivent « depuis les avant-postes », ne sont pas forcément tous sur la même ligne : « Chacun et chacune parle de son point de vue, et leurs conclusions ne sont peut-être pas identiques. », prévient Greta Thunberg qui soutient un besoin « d’intelligence collective ». D’espoir aussi ? Mais « l’espoir pour qui ? », interroge-t-elle en rappelant que « les 1% les plus riches sont responsables de deux fois plus d’émissions que la moitié la plus pauvre de l’humanité », laquelle souffre déjà cruellement des conséquences du réchauffement.

Écouter la science

Pour Greta Thunberg, pas question de culpabiliser tout le monde, comme on le lui reproche souvent : « La crise climatique et écologique qui s’accélère rapidement est une crise globale : elle affecte l’ensemble des êtres vivants. Mais affirmer que la totalité de l’humanité est responsable de tout cela est très, très, très loin de la vérité, souligne-t-elle dans le sous-chapitre « La science n’a plus de doute ». La plupart des gens aujourd’hui vivent tout à fait dans les limites que nous impose la planète. Seule une minorité d’entre nous est à l’origine de la crise et continue de l’aggraver. » Reliant la lutte contre le réchauffement à la lutte contre les inégalités et à la justice climatique, elle assène : « Ce sont les souffrances de beaucoup qui ont financé les bénéfices de quelques-uns. »

Les débats entre scientifiques ne portent pas sur les constats mais sur la communication : « Jusqu’où les scientifiques oseront-ils déranger ? […] au risque d’être traités d’alarmistes, doivent-ils dire les choses telles qu’elles sont, même si cela peut générer, parmi la population, un sentiment de plus en plus grand de défaite et d’apathie ? » Ils se divisent aussi sur les paramètres à prendre en compte dans les discussions internationales comme « l’équité et les émissions historiques » : l’objectif de zéro émission nette de gaz à effet de serre d’ici à 2050 peut sembler insuffisant vu de France, radical vu des États-Unis.

« Pourquoi les gens n’ont-ils rien fait pour arrêter la crise climatique, alors qu’ils étaient au courant depuis des décennies ? », cingle Naomi Oreskes, professeure d’histoire des sciences de la terre à Harvard, en précisant qu’une « grande partie de la réponse s’attardera sur le déni et l’obstruction dont s’est rendue coupable l’industrie des énergies fossiles ». Et d’expliquer, dans ce passionnant article, les stratégies déployées par ladite industrie.

En expédition en Antarctique en 2010, Ricarda Winkelmann, professeure d’analyse des risques climatiques à l’université de Postdam (Allemagne), est restée en arrêt devant une barrière de glace : une partie s’est formée il y a des centaines de milliers d’années, les hommes n’y ont posé le pied qu’au début du XXe siècle. Comment a-t-il pu devenir une force géologique ?, médite-t-elle dans son article « Calottes glaciaires, barrières de glace et glaciers ». Si cette barrière fondait, le niveau des mers grimperait de 60 mètres sur l’ensemble du globe.

Autre inquiétude : les quantités sous-estimées de méthane retenu dans le pergélisol à 400 mètres sous l’Arctique eurasien, ou dans l’immense mer de Sibérie orientale, ou dans le plateau tibétain, avertit Örjan Gustafsson, professeur de biochimie à l’université de Stockholm (Suède), qui appelle à ne pas réveiller le « géant endormi ».

Pages 301, après des pages entières consacrées aux « mauvaises directions », Greta Thunberg marque une pause : c’est la page où il est question de viser non plus des « objectifs atteignables », mais un « changement systémique ». « Un fossé béant sépare les perceptions du changement climatique dans les pays des Nords (presque tous les bénéficiaires de siècles de colonisation) et dans ceux des Suds », estime l’écrivain Amitav Ghosh, Indien d’expression anglaise, dans un très bel article sur Ternate, petite île de l’archipel des Moluques en Indonésie, et son arbre phare, le giroflier.

« Dans le Nord, le réchauffement climatique est essentiellement présenté en termes techniques, économiques et scientifiques ; dans le Sud, ce même phénomène est conceptualisé en termes de disparités de pouvoirs et de richesse… » Pourtant les institutions multilatérales reposent sur l’hypothèse de l’égalité des Nations. En outre, siffle-t-il : « Le nationalisme, la puissance militaire et les disparités géopolitiques font partie des dynamiques qui ont systématiquement entravé les projets d’accords internationaux sur la sortie rapide des énergies fossiles. »

Commencer par la fin… du livre

La partie « Ce qu’il faut faire maintenant » est riche en conseils aux échelles collective et individuelle qui font que ce livre pourrait tout à fait être lu en commençant par la fin. Fait rarissime « Nous éduquer », arrive en tête des priorités collectives. « Pourquoi vouloir transformer une société si nous ne comprenons pas que nous y sommes obligés ? » La liste comprend également « faire de l’écocide un crime » et « passer directement à l’énergie renouvelable », pour les pays du Sud. L’éducation et l’information figurent aussi dans les premières actions, « Car on ne défend bien que ce que l’on connaît », avant « Devenir militant du climat », et « Éviter les guerres culturelles », soit ces débats sans fin dont le but est de « créer de la conversation » ; viennent enfin des conseils comme « doutez » et « restez sur terre ».

« Ce qui nous fait défaut, à l’heure actuelle, c’est la volonté », alerte l’autrice britannique Margaret Atwood. Quand Naomi Klein, autrice américaine, suggère : « À mesure que nous devenons propres, nous devons devenir justes. Mais, à mesure que nous devenons propres, nous devons commencer à réparer les crimes fondateurs de notre nation. ».

Greta Thunberg conclut sur le mode : « L’espoir, c’est agir » et cite encore Antonio Guterres : « Le moment est venu de transformer la rage en actes. » Chaque seconde, chaque projet, compte.

I. M.


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