Rêves, de Pascal Catheland et Arthur Perole
Par Philippe Leclercq, critique
Mini-série documentaire sur l’imaginaire de dix-sept adolescents interrogés dans le CDI de leur collège, Rêves présente des perceptions assez sombres de l’avenir et une certaine maturité dans l’analyse du poids des réseaux sociaux.
Par Philippe Leclercq, critique
Au cours de l’année scolaire 2020-2021, en pleine pandémie de Covid-19, le cinéaste Pascal Catheland et le chorégraphe Arthur Perole sont allés à la rencontre des élèves d’une classe de troisième du collège Général Ferrié à Draguignan (Var). Durant des mois, ils les ont questionnés et ont recueilli leur parole sur des sujets qui les préoccupent. Comment imaginent-ils l’avenir ? Comment perçoivent-ils leur passage de l’enfance à l’âge adulte ? Leurs parents, le présent, l’amour, les réseaux sociaux… Qu’est-ce qui les fait rêver ? Ou, à l’inverse, les inquiète ? Rêves dresse les contours d’un imaginaire collectif dans une mini-série documentaire de quatre épisodes de 25 minutes chacun, réunis dans un film qui fait aujourd’hui l’objet d’une sortie en salles.
« Mad World »
Le dispositif est simple, minimaliste même. Une petite salle du CDI du collège, transformée en studio d’échange et d’écoute. Plan fixe sur fond blanc, dix-sept préadolescents de 14 ans témoignent d’abord, tour à tour et face caméra, de leur vécu en temps de crise sanitaire.
Sans surprise, la plupart déplorent la rupture du lien, l’invisibilisation des visages, la mise à distance sociale, l’impossibilité de circuler et de se retrouver à volonté. L’un d’eux (Julien), à demi caché sous son masque chirurgical, ne dissimule pas sa joie d’avoir pu s’extraire de l’école, de ses règles et de ses devoirs, de l’autorité des professeurs et de l’ennui des cours. Un autre confie sa paisible expérience, vide de la présence d’autrui, mais pleine de calme, de réflexion, de lecture et de rêverie.
Être empêché de sortir, et de se retrouver dans des lieux de socialisation, a été un crève-cœur pour nombre d’entre eux. Lesquels dénoncent la pauvreté des rapports réduits durant la période à la sur-utilisation contrainte des réseaux sociaux (un paradoxe rassurant, vu l’omniprésence de ces médias dans le quotidien des ados). Certains, comme Louann, y ont vu, en revanche, l’occasion – le temps – de la découverte de soi et du regard tourné vers une actualité internationale qui, ordinairement, leur échappe (le mouvement « Black Lives Matter », les réseaux féministes…).
Chaque épisode du documentaire comporte un intitulé correspondant au thème majeur abordé durant les échanges. Le premier, « Mad World », est emprunté au titre d’une chanson du groupe britannique de pop-rock Tears For Fears que les élèves chantent en cours d’éducation musicale. Il résume hélas parfaitement le fond des propos tenus par tous ces jeunes qui répètent sur tous les tons que le monde va mal et qu’il est promis à une fin certaine, au mieux un désastre écologique, déshumanisé et envahi par la technologie. Effet de la pandémie ? L’avenir est sombre à leurs yeux ; aucun d’eux n’apparaît en mesure de s’y projeter, même si, paradoxalement (réflexe ou instinct de survie ?), beaucoup envisagent de fonder une famille et d’élever des enfants.
Amour et réseaux sociaux
Le dispositif imaginé par Pascal Catheland et Arthur Perole s’étale sur le temps long de l’année scolaire, propice au climat de confiance et aux confidences intimes au sujet du corps, de l’amour, de l’éveil des sentiments. Le deuxième épisode de Rêves s’intitule comme de juste « Story [sic] privée » où chacun propose sa définition des rapports amoureux.
Entre clichés et incertitudes, la perception des liens sentimentaux n’est évidemment pas simple à circonscrire. Tous hésitent, tâtonnent, cherchent leurs mots. Et, dans ces mots, sont invariablement mentionnés les outils technologiques (téléphone, tablette, réseaux…), comme si l’un n’allait pas sans l’autre, comme si la construction de l’intime devait passer par l’usage des supports technologiques. « On est connectés, et c’est comme ça qu’on se rencontre », résume Dorian. Une assertion nuancée par certains. Sara parle, pour sa part, de son impossibilité de faire confiance à des garçons fréquentés pendant des mois sur Instagram et jamais rencontrés physiquement. Une autre (Louann) déplore la présence étourdissante du téléphone portable et de l’hystérie collective des « posts », des « like » et de la myriade de messages envoyés et reçus quotidiennement, obstacle, selon elle, à la distance, à l’oubli, à la liberté. Un autre encore (Noa), plus sage, ou moins doté (il possède un portable sans carte Sim), raille la frivolité de Facebook qui ne sert « qu’à montrer son petit-déjeuner ou sa nouvelle coupe de cheveux. » Dommage que la lucidité des uns n’entrave pas l’utilisation des autres.
« Transe »
Le troisième chapitre du documentaire, « Comme un adulte », entraîne les jeunes adolescents en territoire inconnu, un monde dans lequel ils se sentent entrer progressivement avec un mélange d’excitation et de crainte, trahissant à la fois leur désir et leur appréhension de grandir.
Selon Louann, son premier sentiment amoureux a été sa porte d’entrée dans le monde adulte. La question précoce de l’orientation scolaire a sonné le glas de l’enfance pour Samantha. La prise de conscience du regard des autres, comme miroir de soi, a été le cap de la maturité, aux yeux de Dorian.
Chacun, à sa manière, voit son corps changer sans étonnement. Sans doute, la caméra offre-t-elle un moyen de se sentir fort, de ravaler quelques doutes, de minorer les complexes, et d’en rire quand il s’agit, les uns après les autres, de se décrire physiquement. Les douleurs de la chrysalide resteront pudiquement cachées. Aussi, pour les aider métaphoriquement à procéder à leur mue, en même temps qu’à les libérer de leurs corps empêchés depuis le début de la pandémie, une musique techno les invite progressivement dans le dernier volet du film à se laisser à aller à la danse, à la « transe » du corps en mouvement. Un mot qui aura donné lieu, préalablement, à quelques belles définitions et contresens à méditer.
P. L.
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