Rêver kayak – une relecture à contre-courant du film de Bruno Podalydès, "Comme un avion"
“Over an ocean away
Like salmon
Turning back for Nayram…”
Robert Wyatt, Maryan, Shleep, 1997.
À vous qui assurément l’avez déjà vu sans doute, je propose de revenir quelques semaines en arrière lorsque – le cœur en fête et le sourire aux yeux j’espère – vous sortiez dans la nuit de juin de la salle de cinéma où vous veniez de voir Comme un avion, film gai et pagaie à la fois.
Avec une grande liberté de ton et d’écriture, et sous de faux airs de légèreté, Bruno Podalydès nous fait vivre utopie et désir une heure trois quarts durant. Retour à Bounoure, donc, retour à Barchet, retour à Nayes, et rame ! Rame, rame, rameur, ramons – comme dans la chanson, même si c’est Moustaki et Bashung (grands disparus désormais hors du temps) plutôt qu’Alain Souchon (grand vivant) que nous donne à entendre la bande très originale du film (Le Temps de vivre et Vénus, choix qui ne sont pas anodins…).
Rêves d’aventures
« Utopie », et toponymie de fantaisie. Si l’on trouve un étang de Barchet sur la commune de Passonfontaine (25690, département du Doubs donc), on chercherait en vain Bounoure dans le code postal : Vincent Bounoure (1928-1996) fut cependant un poète surréaliste qui expérimenta le « jeu des récits parallèles » et le « jeu des récits contraires ». « Récits contraires » : ah, là, on en conviendra, le hasard fait bien les choses – s’il s’agit bien d’un hasard de la part d’un cinéaste qui, dans son précédent film (Bancs Publics), transformait une enseigne au néon de magasin de bricolage de Brico Dream en Brico Dram, par la seule magie d’un « e » muet de lumière.
« Contraire », donc, comme « courant contraire » ou bien a contrario (« contra rio » ?). L’utopie à portée de main et bricolage pour tous : « Il n’y a qu’un aventurier au monde, écrit Péguy, c’est le père de famille. » On a la tentation, désormais, de remplacer le« père de famille » par le « bricoleur du dimanche » (souvent incarnés en une seule et même personne, il est vrai).
Soit donc un fou d’aviation prénommé Michel (interprété par l’aviateur, euh, non… le réalisateur), un drôle de fou rêvant à ses drôles de machines et qui entreprend de réaliser son rêve, oui, on peut croire qu’il va sauter le pas, franchir la passe qui sépare le rêve de la réalité, avec son blouson façon Mermoz et son écharpe de Petit Prince qui aurait sacrément vieilli.
Son casque et son barbour, il ne les a jamais étrennés que sur sa moto, rêvant d’altitude alors qu’il roule sur le périphérique – dans une séquence initiale rappelant celle où Nanni Moretti roule vers Ostie sur son scooter dans Journal intime (Caro Diario). Mais Michel, par la magie des mots, on va le voir, se confronte bientôt à une aventure bien plus terre à terre (s’il m’est permis de m’exprimer ainsi…) en se portant acquéreur d’un kayak Grand Raid modèle 416 (2 790 euros quand même : faut être sûr de soi, ça fait l’objet légèrement plus cher qu’une maquette de biplan au 1/16 !).
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Une utopie en kit assortie d’une odyssée en prime
Bruno Podalydès nous propose une utopie en kit assortie d’une odyssée en prime : celle du kayak à monter soi-même, et l’aventure qui s’ensuit. Scènes inénarrables, et burlesques dans la simplicité que requiert le burlesque, avec surtout la précision du geste burlesque : comment porter, accablé par ses dimensions et son poids (36 kilos, sans compter les accessoires), un immense carton plus grand que vous. La phase de préparation, soit la phase de montage-démontage-remontage en fait, est en soi une épreuve – plaisante comme la navigation du même nom – au terme de laquelle notre héros remercie le ciel de l’avoir aidé à aboutir. Aboutir s’entend bien ainsi : commencer par un bout et finir sans qu’il restât sur le carreau un quelconque bout de quelque chose.
Reconnaissons-le : ce n’était pas gagné. Cette préparation, cette mise en jambe sur l’air du gospel Michael est de retour – avant que d’être parti – s’effectuent en cachette… sur le toit de son immeuble : il fallait pour le montage de son kayak et de son expédition que Michel prît de la hauteur. Même s’il fait tout cela à l’insu de tous contre toute vraisemblance, mais peu importe. Élément comique avant que ne soit révélée l’imposture (celle de l’aviateur fantasmatique converti à la religion kayakiste) : l’indice qui traîne dans la salle à manger de l’appartement. Un indice voyant, et visible aux yeux de tous, et surtout de sa femme Rachelle (Sandrine Kiberlain) : une pagaie.
Le B-A BA du kayak, c’est la pagaie : une fois que vos proches l’ont avalée, cette fichue pagaie, vous pouvez faire passer le reste. Une fois qu’elle a été découverte en effet, il faut la justifier, la défendre, l’intégrer au paysage – si incongrue soit-elle, avec son faux air d’hélice. Mais ça marche (s’il m’est permis de m’exprimer ainsi…).
Donc, à ce moment-là, puisque le kayak est fin prêt – effilé et fuselé « comme un avion sans aile » – le film peut vraiment commencer. Parce que, jusqu’alors, il a fait du surplace, sciemment et avec la complicité de tous, spectateurs en tête. Bruno Podalydès nous emmène pour un voyage presque immobile, on suivra le cours de son film comme on suivrait le fil de l’eau. Pour l’heure, il nous faut revenir pourtant au point de départ, refaire le chemin à l’envers, retourner au début de ce texte.
Palindrome
« Palindrome » est le premier mot qui émerge dans cette quête de l’ailleurs. On joue sur les mots entre collègues de bureau, on se charrie, on s’applique à en mettre plein la vue à ses voisins et voisines, on aimerait épater son patron – volontiers raisonneur et plein d’assurance (le frère de Michel, interprété comme il se doit par Denis Podalydès). « Palindrome », keskecê ? Et chacun de chercher, et chacun de trouver d’un clic dans Wikipedia – qui « rêver », qui « kayak »… -, de quoi faire croire qu’on a concocté comme ça, de chic, une idée-choc. Un mot pourtant en l’occurrence conviendrait plus que tout autre : « ressasser ».
Comme ses collègues, et peut-être bien davantage que tous ses collègues, Michel, avec ses rêves d’envol, navigue à vue dans sa vie de bureau et de « créateur numérique », avec juste ce qu’il faut de vague à l’âme, lui qui semble s’ennuyer à périr à jouer avec la 3D et la réalité augmentée. « Augmentée », en êtes-vous sûr ?… Ainsi le film ouvre-t-il une parenthèse dans cette vie qui ne faisait que ressasser, justement, une forme de parenthèse avec sa jolie façon de passer et de repasser aux mêmes endroits, par les mêmes images, qui jamais pourtant ne sont et ne seront les mêmes tout à fait puisqu’au fil de l’eau jamais l’eau n’est la même. On n’avance pas, on refait le chemin dans les deux sens, on revient sur ses pas, mais sur l’eau ne subsiste aucune empreinte, parce qu’au fil de l’eau jamais l’eau n’est la même…
Voici venu le moment du départ, on fait ses adieux, Pénélope – pardon, Rachelle – est venue accompagner son grand garçon de mari aventurier, ça y est c’est parti, adieu mon amour, à la semaine prochaine, et paf ! sitôt qu’elle a le dos tourné, premier obstacle – une souche accrochée au lit de la rivière et sur laquelle viennent se fixer le kayak et son voyageur immobile qui font souche en effet et prennent aussitôt racine. Vite, le téléphone : Rachelle, le personnage biblique de l’épouse ô combien dans cette séquence – son équivalent homophone (Rachel) étant également, dans le jeu de cartes, la « dame de carreau » – Rachelle donc est appelée à la rescousse et s’en vient tirer son Ulysse du mauvais pas où il s’est mis.
À cet instant, notre héros cloué au sol (s’il m’est permis de m’exprimer ainsi) est bien comme un avion sans elle. « Cette femme est lumineuse » venait de déclarer en la quittant pour son aventure Michel extatique et face caméra. Pas tout à fait, vérifiera-t-il lorsque se fera enfin la lumière en lui – car il arrive quand même à notre héros d’être lucide. En attendant, on boit une bouteille de bon vin et on entame les réserves en sirotant les rations de compote en tube. Nouveau départ.
Le temps de vivre, d’être libre…
Après ce faux départ, le vrai départ cette fois. Après,… eh bien après, prenons la peine de ne plus raconter cette histoire. Ici commence un autre film. Michel va s’arrêter, sans jamais s’arrêter, mais sans pour autant vraiment partir ou repartir. Tout le ramènera au rivage, toujours. Il va rencontrer l’utopie. Il accoste là, au bord du monde, dans ses marges – en marge de la réalité de tous les jours sans jamais que le monde soit absent cependant. Il aborde aux rivages d’une utopie qui ne se paie pas de mots, qui ne sait pas même qu’elle existe (rejoignant ainsi la définition même du mot « utopie » : « nulle part », « qui n’a pas de lieu »), un espace naturellement voué au temps qui passe, où l’on prend le temps de vivre, d’être libre…, comme dans la chanson rêvée de Moustaki.
Évidemment, se dire que l’utopie se situe dans le patelin d’à côté – ou presque – peut sembler antinomique avec la notion même d’utopie. On se demanderait même à certain moment comment situer cette auberge où Michel échoue : maison resplendissante côté face, vieille bâtisse magnifique mais avec un air d’abandon côté pile. En soi le scénario est cocasse : notre héros n’arrivera pas à décoller (s’il m’est permis de m’exprimer ainsi) de l’auberge enchanteresse où le hasard l’a mené dès le premier jour. Et l’on aimerait bien, nous aussi, qu’elle existe, cette auberge.
Et même qu’ils existent, Laetitia (interprétée par Agnès Jaoui) et son monde joyeux et paisible, un rien féérique, qui arrachent sans le savoir notre navigateur à sa croisière hémiplégique : c’est elle, Laetitia, la maîtresse des lieux, qui lui redonne l’usage de ses jambes, de tout son corps, de son sexe, c’est elle qui le fera danser, elle surtout elle qui le réconcilie avec la moitié de lui-même qu’il a enfouie dans son kayak le temps de quelques lieues sur cette rivière enchantée – car c’est aussi l’une des leçons de ce film : il n’est pas besoin de partir si loin, de partir par-delà les mers…, l’aventure est là, Mila, Laetitia, ou bien les frères confits dans leur absinthe et qui repeignent le monde en bleu et construisent un bac uniquement pour le plaisir de relier deux rives qui n’ont rien à s’offrir – mais c’est sur le bac que ça se passe, c’est dans le moment du passage que jouent à se connaître des êtres qui seraient à jamais restés séparés.
Il y a aussi cette scène merveilleuse de sensualité gourmande où le corps de Laetitia se donne à lire – la voilà fabuleusement belle, on pense alors à Nerval en dépit de tout, à la fée des légendes éternellement jeune – belle sous ses post-it (“mordille” sur le sein droit, “effleure” sur le sein gauche). Il faut tout lui dire en effet, à notre héros, comme dépossédé qu’il est de sa propre parole, il est la passivité même une fois qu’il a confié son projet au courant censé l’amener à la mer où – tout le monde (à commencer par sa femme) le savait avant même qu’il ait posé son kayak sur l’eau – il ne parviendra pas dans les sept jours de congé qui lui sont impartis.
Un héros qui ne sait pas feindre
Autre lieu improbable sinon utopique : le parking du supermarché où le temps d’une nuit un gardien l’accueille qui reconnaît en Michel un frère de traversée – ayant reconnu le modèle Grand Raid 416. Il s’agit cependant de respecter la loi du (super)marché, celle qui interdit de dormir dans les hautes herbes près du parking, là où l’on a dissimulé tant bien que mal – ou de guerre lasse – le kayak, devenu à cet instant instrument d’égarement plus que de déplacement : soucieux de ne pas perdre son emploi, le gardien devant ce Virgile innocent aux airs d’ahuri bucolique réclame son attention pour qu’il lui permette de se racheter une virginité de vigile.
Comment ? Mais en mimant sous l’œil de la caméra de contrôle une scène muette où il joue au gardien inflexible en demandant à Michel de son côté de jouer la colère. À Michel, qui n’en peut mais. Parce que notre héros ne sait pas feindre : lorsqu’il ment, lorsqu’il trompe, c’est par omission, point de calcul, il suit sa pente, tout est dans le naturel. Ainsi dans cette scène d’amour où il est sommé par Laetitia elle-même de l’insulter, de jouer la carte du fantasme et de l’excitation maximale. Oh, certes, il s’exécute et insulte son amante puisque c’est à sa demande expresse, et que c’est pour lui faire plaisir, mais il le fait sans conviction, c’est le moins qu’on puisse dire : « Salope ! », se hasarde-t-il à proférer dans un premier temps, d’un ton contrit, puis comble de l’audace – à court d’inspiration, en fait – il lui lance un « Cochonne ! » confondant de gentillesse et de drôlerie…
Il est comme ça, Michel, un grand raide un peu gauche, un peu gros même sous sa jupe et son chapeau de brousse – un travailleur du chapeau qui s’endort comme une souche dans son kayak (encore une souche : simple mimétisme ?).
Au pays du Grand Meaulnes
Mais revenons sur l’eau. Le monde de la rivière n’est pas dénué de violence : voilà notre héros aux prises avec un pêcheur irascible et vengeur qui ressemble à s’y méprendre à Pierre Arditi (et non à André Dussollier, avec qui Michel d’abord le confond), rôle que Bruno Podalydès a eu l’intelligence de confier à Pierre Arditi (et non à André Dussollier).
Le mal et la mélancolie ne sont jamais très loin non plus, dans les pleurs et les peurs de Mila, dans sa façon à elle de s’immerger dans la parole des autres, lorsqu’elle écoute sa radio couleur minium perchée dans un arbre : on reconnaît par éclats Les Matins de France Culture de Marc Voinchet (déjà présent si je ne me trompe dans Dieu seul me voit, un précédent opus de Bruno Podalydès) et des mots extraits de l’une des plus belles émissions de la grille Les pieds sur terre, de Sonia Kronlund.
Lorsque le sommeil est le plus fort, on s’envole au-dessus des arbres dans une séquence qui n’est pas sans rappeler l’une des dérives oniriques de The Big Lebowski des frères Coen (The Dude, interprété par Jeff Bridges, autre personnage d’apparence désordonnée et foutraque mais qui pour finir arrive… à ses fins par des chemins ô combien sinueux). Au fait, il boit pas mal, notre héros, comme The Dude : l’alcool du film, ce n’est pas le cocktail trop riche à base de vodka et de crème qu’ingurgite le personnage des frères Coen, c’est l’absinthe. L’absinthe, jamais absente bien longtemps de l’écran (sans elle, n’est-ce pas…). Cérémonie de l’ivresse, élixir poétique, passeport pour l’oubli (« Je bois pour oublier… – Oublier quoi ? – J’sais pas, j’ai oublié… »).
Les frères étranges qui hantent la terrasse de Laetitia et qui peignent de la couleur du ciel sur fond d’électro toute la verdure environnante en font une alarmante consommation : ils construisent un bac, comme je vous l’ai déjà dit, qui (ne) mène nulle part. Étranges ils sont, mais ils font partie du décor, qu’ils conditionnent à coups de pinceau et de musique à un niveau sonore extrême ; on ne sait où ils logent, mais perchés ils sont, sur les branches hautes de cet arbre généalogique qui a pris racine dans une maison de famille où chacun n’apporte que soi. Un monde étrange, et une fête étrange fêtée un dimanche sans doute (notre héros doit partir ce jour-là, pour rejoindre son monde en fausse 3D) au son de la version disco flamenco de Don’t let me be misunderstood.
Là, l’auberge se fait espagnole, chacun toujours n’y retrouve que celui qu’il a apporté avec soi, mais il le mélange à la joie d’un moment de pur partage. Foin des faux-semblants, foin des mensonges du quotidien, on sait évidemment qu’on est et sera à jamais incompris, on est toujours dans le malentendu : il ne suffit pas de vouloir en sortir. Le malentendu est partout. Il est l’heure de partir, l’heure de revenir à soi et aux siens. Laetitia lui confie un colis à poster : il a un geste d’humeur, il ne sait pas que c’est le cadeau que lui font Mila et Laetitia pour son départ.
Le malentendu est partout : un peu plus loin plus bas dans la descente de la rivière, notre héros s’attable dans un autre parc. Il commande une bière, sans que l’effleure l’idée que ce manoir au fond de l’image n’est pas une autre auberge sur la berge. Non, il est simplement chez une femme à qui il ne doit rien (« Vous êtes chez moi ») – et comprend alors sa méprise. Une femme qui attend peut-être des invités, mais qui l’a servi sans rien dire et lui aura offert ainsi un autre fugitif moment de bonheur d’être au monde – avec sa beauté et son sourire sans partage.
On est évidemment alors, sans le savoir, au pays du Grand Meaulnes, car c’est ce romanesque-là qu’aura ressuscité avec humour Bruno Podalydès dans la seconde partie de son film. On est chez Homère aussi : « Une semaine de chez lui Michel fut absent », certes, ne sonne pas comme « Vingt ans de chez lui Ulysse fut absent », mais qu’il s’agisse d’une semaine ou de deux décennies, votre épouse légitime n’est pas à l’abri des prétendants. Le fait est de toute façon que le cœur et surtout le corps de notre héros ont suivi leur pente naturelle et le fil de l’eau, sans pour autant rester dans le seul lit de la rivière. Mais la fin du film laisse à penser que le retour ne sera pas si simple – pour l’un(e) comme pour l’autre. Des questions se posent en effet : comment revenir ? Que dire à l’autre de ce qu’on a vécu durant le voyage et qui ne peut être partagé ? Et celle-là surtout : Rémi fait-il vraiment du yoga ?
Retour au réel
Les dernières minutes sont énigmatiques : dans une séquence – rêvée ou non – de retour au réel, notre héros continue à pagayer alors que l’attendent sur la rive sa femme avec un drôle de regard mélancolique (sa femme qui sait qu’il n’est pas allé bien loin, géolocalisation oblige, et qui sait qu’il sait, pour Rémi…) et son frère qui le presse de finir son projet en 3D (alors qu’il est, visiblement, désormais, dans une autre dimension). Il se sent porté encore, presque aérien sur une eau jamais trop vive – mais de futurs non-dits pèsent déjà sur ce retour fantasmé.
Le Grand Meaulnes finit mal, il m’en souvient, parce qu’il arrivera bien un jour où Augustin devra mettre un terme à sa fuite. D’hôtel magique en auberge improbable nous avons traversé avec Michel dans le silence et la légèreté un autre pays, un pays imaginé le temps d’un film. Mais d’hôtel il n’est point car dans la maison où Michel a passé sa semaine de voyageur immobile il n’y a qu’une chambre – « la mienne », l’avertit d’emblée Laetitia à son arrivée – devenue la sienne le temps de quelques étreintes tendres et teintées de nostalgie déjà… Mais d’auberge il n’est point non plus car il ne suffit pas de commander à boire pour qu’apparaisse une femme qui pourrait être une autre Laetitia le temps de quelques mots ou de quelques étreintes tendres et…. Sa moitié – pour un moment, quelques jours ou toute une vie. La moitié de soi, son autre rive. Un homme dans un (petit) bateau : il n’a pas de chien. L’aventure et l’amour ne sont jamais bien loin, que l’on soit dans un kayak sur l’Yonne ou le Loing, à bord d’un vapeur sur la Seine ou en canot chez Maupassant, en barque sur le Rhin, en bateau de plaisir avec le Grand Meaulnes ou bien encore avec deux amis (et un chien) sur la Tamise.
Michael est de retour, al-le-luuu-ia, fredonnait Michel avant même son départ, alors qu’il préparait son expédition. De retour : ce n’est pas si sûr. Alleluia ! On en est moins sûr encore. Kayak. Rêver. Elle. Arrêtons-nous, si vous le voulez bien, une dernière fois sur cette dernière image, rebroussons chemin un instant encore : Rachelle est sur la rive, et Rémi, l’énigmatique, l’inquiétant frère de Michel aussi. Michel qui continue à pagayer, qui continue à rêver de ces pays de la fiction d’où l’on ne revient jamais. Jamais tout à fait, et à jamais changé *.
Robert Briatte
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* Cette chronique est dédiée à Alfie, qui accompagne Robert W dans sa traversée depuis le jour de leur rencontre sur les rives de l’Upper Clyde, le 22 janvier 1972.
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