La rentrée littéraire selon la critique. I
L’actualité critique du début du mois de septembre s’est d’abord et avant tout intéressée à la rentrée littéraire en tant que phénomène.
Panorama.
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Sabine Audrerie pour La Croix adopte un ton optimiste « une rentrée pleine de promesses» ; si elle se fixe d’abord (et comme tout le monde) sur les chiffres 560 romans contre 727 en 2007, elle présente les principaux noms attendus pour la France – Véronique Ovaldé, Yasmina Reza, Metin Arditi, Jean-Paul Dubois (sans oublier Laurent Gaudé, mais pas de Philippe Forest ). On retrouve, bien entendu Amélie Nothomb qui avec Riquet à la houppe revisite les classiques des contes pour enfants, et Régis Jauffret pour Cannibales, etc.
Sa consœur de Libération, Frédérique Rouxelle, propose pour sa part une analyse globale des perspectives qui annoncent, le croirait-on, la décrue des textes publiés : « le nombre de livres dans les starting-blocks » diminue, nous dit-elle (mais pas le volume global qui propose 50 000 titres au lieu de 35 000). La rentrée littéraire dit-elle également, reste modeste par rapport à l’ensemble de l’année, même si elle relève que « certains gros éditeurs publient une vingtaine de titres en se disant qu’il y en aura au moins un qui marchera » ou « pour ratisser large diversifient leur catalogue ». Enfin elle note que le gonflement a été déplacé sur la rentrée de janvier : « jouant les vases communicants avec celle d’automne” .
Éric Loret, du Monde, de conclure cette entrée en matière en présentant deux livres consacrés à la mort de la littérature et de la critique, comme tous les ans. L’entame de l’article est ironique : « Comment va la mort de la littérature en cette rentrée ? Et celle de la critique ? Pas trop mal en théorie puisque deux ouvrages se penchent sur ces fins de race. »
Avec Nu dans ton bain face à l’abîme. Un manifeste littéraire après la fin des manifestes et de la littérature (de Lars Iyer (Allia) et Le Testament du bonheur de Robert Colonna d’Istria (Le Rocher), on peut tenter une réponse à cette question. Le premier chronique des livres inexistants (mais qui auraient pu être) et la vanité des entreprises littéraires, le second signale l’existence de livres placebo ; du même coup cela veut dire que les vrais livres existent, c’est rassurant.
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Puisque la critique peut jouer son rôle allons voir de plus près
Les critiques cherchent tout de même quelques angles en attendant le 6 septembre et la liste des goncourables.
Mondialiste : L’Humanité, avec Les Tropiques de la violence, de Natacha Appanah (Gallimard) et Le Crépuscule du tourment, de Liana Milano, chez Grasset, donnent la parole à la diversité et à la difficulté d’être dans plusieurs mondes ; celui des blancs de Mayotte et la question de l’identité d’un enfant adopté pour la première à celle de l’identité double, noire et femme pour l’écrivaine camerounaise. Avec quatre femmes qui s’adressent au même moment au même homme ; mère, sœur, épouse jamais aimée et amour abandonné, deux sont descendantes d’esclaves et toutes, à leur manière, sont des « femmes puissantes ».
La Croix se focalise pour sa part sur les odyssées animales avec L’Histoire du lion personne de Stéphane Audeguy, au Seuil, et Histoire de Knut (un ours) de l’écrivaine germano-japonaise YokoTawada. Ces histoires nous rappellent par leurs titres, celles de Rudyard Kipling ; ici il ne manque que la parole au lion tandis que les ours(es) de Tawada parlent et rêvent ; bref dit la critique on les lira pour « leurs histoires captivantes, leur attention au vivant, leur poésie, ou pour réfléchir sur la liberté, la captivité, l’impuissance et le libre arbitre » .
Peintres : signalons que le Figaro met l’accent (en attendant de réactiver son supplément littéraire) sur les livres qui parlent de peinture avec le nouveau Jean-Michel Guenassia qui s’attaque aux mythes entourant Van Gogh (Albin Michel), Michel Bernard, qui s’attache aux remords de Monet (La Table ronde). Françoise Cloarec s’intéresse à Bonnard – « il ne s’agit pas de peindre la vie, il s’agit de rendre vivante la peinture » – et surtout à son éternel modèle féminin (Anne Carrière) et enfin Véronique Ovaldé et son roman de rentrée autour de la peinture (Soyez imprudents les enfants, Flammarion).
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Pour conclure disons que la rentrée véritable s’annonce à travers les premiers papiers et le premier contingent des auteurs dont on parlera à coup sûr, Yannick Grannec ou Véronique Ovaldé comme nous l’avons vu, mais aussi deux unes de Libération consacrées (jeudi et samedi) respectivement à Laëtitia de Jablonka et à Antonio Munoz Molina.
Reste Céline Minard,héroïne de la chronique d’Éric Chevillard dans le Monde des livres pour son roman consacré au retrait du monde (un thème récurrent) : « J’invite chacun à se retirer à son tour avec ce très beau livre dans un coin paisible, loin de “l’envieux, l’ingrat et l’imbécile” qui forment la société humaine, pour en méditer la leçon revigorante. » Bien, d’accord mais c’est la rentrée, et nous allons retrouver les lecteurs de demain.
Frédéric Palierne
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• Le roman contemporain dans “l’École des lettres”.