La réforme du bac 2021 offrait une occasion exceptionnelle…

Réformer le bac offrait une occasion exceptionnelle. On allait enfin adapter ce diplôme à de nouvelles réalités, le penser à l’aune des filières universitaires, des besoins en matière d’emploi et des certifications analogues en Europe. On allait procéder à des concertations fructueuses avec les acteurs de terrain, et réfléchir à la philosophie de ce diplôme.
Au passage, on pouvait même rêver de revaloriser la scolarisation à l’heure où elle est tellement décriée, de redonner confiance aux enseignants, de réaliser des économies conséquentes et même de modifier notre représentation de l’évaluation.
Tout était possible notamment grâce à l’introduction du contrôle continu.

Un contrôle continuel

Malheureusement, la réforme du bac 21 ne prévoit pas la prise en compte du contrôle continu mais d’ajouter un contrôle continuel. À partir du 20 janvier, des épreuves communes de contrôle continu (E3C) seront organisées à plusieurs reprises durant les deux années de première et terminale. Plutôt que de prendre en compte les résultats obtenus tout au long de ces deux années de scolarité, les concepteurs de la réforme du bac 21 ont jugé utile d’inventer une toute nouvelle organisation, lourde et redondante.
Pourtant, dans les classes, le contrôle continu existe depuis toujours. Chacun sait que les élèves sont soumis régulièrement à des évaluations sous forme de DST ou de DM, d’interrogations orales ou écrites. Ces évaluations régulières sont plus ou moins pondérées en fonction de leur importance. Ainsi, les DST ont un coefficient plus élevé que les DM. Pour le contrôle continu du bac, il aurait donc été possible de prélever les résultats des élèves aux DST par exemple, tout au long des deux années de première et terminale.
Cela aurait eu le mérite de valoriser l’évaluation qui est un travail aussi nécessaire et délicat que l’enseignement lui-même. Choisir les sujets en vérifiant leur bonne adéquation aux chapitres du programme étudiés, veiller à la clarté des consignes, établir les critères de correction correspondants, corriger les nombreuses copies, vérifier l’équité des notations, reporter les résultats, remettre les copies, corriger en classe, répondre aux questions des élèves n’est pas une mince affaire. Cela existe bel et bien dans toutes les classes, à tous les niveaux, dans tous les lycées mais le bac 21 en fait fi.

Un bac égrené tout au long de la scolarité

Au lieu de prendre en compte l’existant et les bonnes pratiques en la matière, les concepteurs du nouveau bac ont voulu réinventer le fil à couper le beurre. Au lieu de simplifier le bac précédent, ils l’ont coupé en petits morceaux égrenés tout au long de la scolarité en ignorant complètement le travail effectué en classe. Quel déni pour les élèves et les enseignant.e.s. ! Quelle humiliation pour celles et ceux qui œuvrent chaque jour pour maintenir l’intérêt et encourager la progression d’élèves parfois bien difficiles à motiver.
Ces épreuves continuelles du nouveau bac viennent surcharger l’élève, l’enseignant, l’équipe administrative et tout le fonctionnement des établissements concernés. Car ces épreuves à répétition nécessitent des moyens inédits et coûteux. Dans tous les lycées de l’hexagone et d’outre-mer, on installe à grands frais des scanners professionnels – vu les milliers de copies à scanner – pour lesquels les utilisateurs doivent être formés. Ajoutons que les professeurs devront corriger les copies sur écran ! Et, suspense : on ignore si les serveurs seront assez puissants pour digérer toutes les données et le coût de cette méga digestion. Sans compter les multiples commissions d’harmonisation qui mobiliseront enseignants et responsables durant des heures.

Pourquoi déployer tant d’énergie à mauvais escient ?

Et, au fond, pourquoi renforcer ainsi une évaluation de contrôle supplémentaire plusieurs fois par an, durant deux ans aux dépens de l’évaluation existante ? Se défie-t-on des enseignants et de leurs notations à ce point ? Les bulletins ne compteront que pour 10 % dans la note finale du bac, pourquoi pas davantage ? Ne sont-ils pas suffisamment fiables ? Pourtant, les appréciations des professeurs sont bien prises en compte dans Parcoursup qui conduit à l’université, et par les filières sélectives, y compris les CPGE.
Mais surtout quelles garanties supplémentaires offrent les fameuses épreuves du contrôle continu inventées pour le bac 21 puisque les épreuves seront différentes dans chaque établissement, prélevées dans une banque de sujets en libre accès, et jamais expérimentées auparavant ? Quelle est donc leur fiabilité, leur crédibilité ? Le scanner ?

*

L’introduction du contrôle continu dans le nouveau bac était une très bonne idée. Il eut été judicieux de s’interroger sur le sens de cette évolution. Voulait-on vraiment accroître encore des formes de contrôle ? Cette réforme n’offrait-elle pas l’occasion de promouvoir une idée de l’évaluation plus positive, progressiste, et stimulante ?
Prendre en compte les résultats réguliers des élèves aurait permis de valoriser leur assiduité, leurs efforts quotidiens, leur participation et globalement le temps passé en classe. Cela aurait permis aussi de prendre appui sur les équipes enseignantes en les impliquant dans la certification finale, de reconnaître ainsi leur professionnalisme et, si nécessaire, de leur proposer des formations idoines en matière d’évaluation. Cela aurait pu montrer que l’évaluation valorise les processus d’apprentissage et d’enseignement. Qu’elle est une source de progression, une forme de reconnaissance, une valorisation et non une sanction.

Françoise Noël-Jothy,
proviseure du Lycée d’adultes de la Ville de Paris

 

Françoise Noël-Jothy
Françoise Noël-Jothy

5 commentaires

  1. Entièrement d’accord aussi, ces E3C sont une dépense d’énergie vaine et sans intérêt. L’un de ces paradoxes d’une « école de la confiance » qui ne fait pas confiance à ses professeurs pour évaluer leurs élèves!

  2. Madame le proviseur résume parfaitement le malentendu :
    De l’introduction d’une dose de contrôle continu, qui pouvait valoriser le travail des professeurs sur l’année, nous sommes passés à une nouvelle usine à gaz, qui alourdit encore la tâche des enseignants et désoriente les élèves qui n’en peuvent mais.
    Dieu merci, quelques voix courageuses s’élèvent, comme celle du proviseure Françoise Noël-Jothy. Puissent-elles être entendues.
    Frédéric Faure,
    professeur d’Histoire-Géographie.

  3. N’est-il pas trop tard pour revoir la copie de réforme du bac et le faire évoluer dans le sens que vous indiquez ? Votre article a le mérite de rappeler les bonnes intentions du départ. Il serait temps dans notre pays et notre système éducatif d’apprendre enfin à travailler ensemble ! Merci pour ce beau plaidoyer.

  4. Quelle histoire accablante ! Les candidats aux concours de recrutement sont de moins en moins nombreux… De telles perspectives (très proches) ne sont en effet pas faites pour donner envie. D’autres métiers (boulangers, plombiers etc.) sont bien plus gratifiants.

  5. Bien sûr, je partage votre point de vue.
    Pourquoi alourdir le processus d’évaluation alors qu’un contrôle continu équitable et didactique produirait in fine de meilleurs diplômés.

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