Promouvoir les sciences du vivant en pleine crise épidémiologique
Il y a encore quelques semaines, qui aujourd’hui paraissent un siècle, les critiques à l’encontre du « bac Blanquer » faisaient feu de tout bois. Or, dans la situation inédite à laquelle chacun est confronté, certains questionnements retrouvent paradoxalement une singulière actualité.
On se souvient ainsi de l’inquiétude des professeurs de sciences de la vie et de la Terre (SVT) craignant, dans le cadre de la restructuration des enseignements au lycée, de voir se profiler le déclassement définitif de leur discipline. Or, ironie du sort, à l’heure du confinement sanitaire, l’heure n’est-elle pas, plus que jamais, à la réévaluation des sciences du vivant ?
La nécessité d’un décryptage lexical
Les sciences de la vie et de la Terre ont partie liée avec la langue dans la mesure où elles s’appliquent à nommer et classer des phénomènes naturels afin d’en expliciter les tenants et aboutissants. De fait, déjà au XVIIIe siècle, l’entreprise de précurseurs comme Linné ou Buffon avaient un double enjeu à la fois scientifique et lexical. L’importance que cette discipline scolaire accorde au tout premier chef à l’étymologie tend à conforter son cousinage naturel avec l’enseignement du français. D’où, peut-être la relative suspicion dont elle fait l’objet.
Sur le ton de l’humour, l’écrivaine Sophie Chérer met en perspective cette proximité présumée « fautive » dans Renommer en faisant référence au film Nos enfants nous accuseront (2008) :
« Dommage, cher Monsieur le Maire, de ne pas avoir sauté sur cette occasion en or de faire goûter à des enfants attentifs, en plus des fruits, des légumes et la viande de votre cantine exemplaire, les délices de l’étymologie. Vous auriez pu leur dire que bio vient de loin…
Bio : du grec bios, la vie.
…et que sur cette racine sont construits microbe (du grec mikros, petit), petite vie ; biographie (du grec graphein, écrire), vie écrite ; biologie (du grec logia, étude), étude de la vie ; antibiotiques (du préfixe grec anti-, contre et de l’adjectif biotikos, qui concerne la vie), substances utilisées pour empêcher la vie -sous-entendu : des maladies […]. » (Sophie Chérer, Renommer, « Médium » , p. 31).
Les temps de crise que nous sommes en train d’expérimenter ne font que confirmer cette nécessité de donner un sens précis aux mots que l’on emploie dans un contexte spécifique. Ne confontent-ils pas en effet chaque citoyen et a fortiori les plus jeunes à une abondance de termes scientifiques étrangers au profane ? Crise épidémiologique, pandémie, confinement sanitaire, contamination, pandémie ou encore défenses immunitaires, autant de termes, qui, jusqu’à il y a quelques semaines, n’appartenaient pas au registre des conversations communes. En clair, dans un contexte de crise, un nouveau langage s’impose, impliquant naturellement tout un lexique inusité hors de portée de la compréhension immédiate notamment des enfants et susceptible aussi de cristalliser leurs peurs.
D’où la nécessité de revenir à l’étymologie des termes qui inondent les réseaux sociaux et qui nécessairement entraineront moult approximations. Ce qui peut justifier, en période de confinement et d’autonomie de travail des élèves de leur faire effectuer selon une perspective interdisciplinaire des recherches lexicales sur le mot épidémie et ses dérivés à partir de dictionnaires en ligne.
Il faut bien convenir que notre approche des sciences du vivant, ou si l’on préfère de la biologie, reste globalement superficielle voire carrément lacunaire dans certains domaines pourtant liés à la santé publique et privée. Aussi, d’aucuns ont-ils découvert par le biais de l’épidémie du COVID 19 que la « simple » vague annuelle de grippe non seulement était létale mais aussi effectivement responsable de nombreux décès chaque année. Toute situation inédite touchant l’ensemble d’une collectivité implique le dévoilement d’un impensé, d’une réalité factuelle occultée pour atténuer les effets d’une vérité dérangeante.
En ce sens, les cours de sciences de la vie et de la Terre semblent aujourd’hui remonter à la surface de nos souvenirs scolaires, comme autant de moments banals où l’on n’a pas, naïfs que nous étions, complètement mesuré l’importance de ce que les professeurs cherchaient à nous transmettre.
Égarements superstitieux et négligences coupables
Il a souvent été dit que les élèves français n’avaient pas une approche rigoureuse de l’économie : ce qui les rendraient moins aptes à s’opposer à une mondialisation incontrôlée. Le reproche semble pouvoir être élargi aujourd’hui à une certaine méconnaissance en matière de sciences du vivant. En effet, outre l’installation durable d’une idéologie « antivaccin » qui se propage éhontément sur les réseaux sociaux, il faut aussi observer des négligences coupables en matière d’hygiène et sécurité – autre champ important des programmes de sciences et vie de la terre.
En effet, la raison d’être première du confinement imposé par l’État tient à une incapacité non pas circonstancielle mais chronique à respecter les règles sanitaires les plus basiques qui soient : notamment se laver les mains régulièrement au fil de la journée. D’ailleurs, n’était-ce pas une règle d’or appliquée à la lettre par Louis Pasteur, comme le rappelle l’académicien Éric Orsenna, auteur d’une biographie intitulée, La vie, la mort, la vie (2015) :
« Comme il savait qu’il y avait des microbes partout, jamais il ne serrait de mains. »
La pandémie qui sévit sur la planète aura sans doute au moins le mérite de remettre au premier plan des questions élémentaires balayées en temps normal comme des contraintes ennuyeuses et secondaires. Comme le président de la République l’a lui-même rappelé au cours de ses deux allocutions, la période de « guerre » contre la propagation du coronavirus ne laissera pas la société complètement indemne. De la même manière qu’il a fallu réactiver l’éducation à la citoyenneté après les attentats de Charlie Hebdo, il demeurera impensable de laisser les sciences du vivant devenir une discipline secondaire, au moment même où l’on a le plus besoin d’en comprendre les arcanes et de former des personnels chargés d’en prendre soin.
Hasard ou coïncidence par rapport au contexte actuel, le prix Goncourt 2011, Alexis Jenni, auteur de L’Art français de la guerre, était initialement professeur de sciences de la vie et de la Terre !
Antony Soron, INSPÉ Sorbonne Université
Ressources webographiques
• Programmes des sciences de la vie et de la Terre sur Eduscol.
• Programmes des sciences de la vie et de la Terre au lycée.
• Pour mieux comprendre le coronavirus :
– Site de l’INSERM (Institut national de la Santé et de la Recherche médicale) :
– Site de l’Institut Pasteur.
• Pour une perspective synthétique sur les grandes épidémies au cours de l’histoire :
https://gallica.bnf.fr/blog/01012013/les-grandes-epidemies-en-france?mode=desktop
• Pour une recherche lexicale sur le mot épidémie :
https://www.cnrtl.fr/definition/%C3%A9pid%C3%A9mie
https://www.dictionnaire-medical.fr/definitions/099-epidemie/
https://www.littre.org/definition/%C3%A9pid%C3%A9mie
• Le site de l’Association des professeurs de biologie et géologie (APBG).
• Sur les ressources de l’étymologie : Renommer, de Sophie Chérer, « Médium », 2019. Voir également la séquence pédagogique élaborée à partir de cet ouvrage.