"La Prière", de Cédric Kahn, un acte de foi dans la jeunesse éprouvée

Cédric Kahn est un des meilleurs réalisateurs français actuels. Des récits de faits de société comme Roberto Zucco (2001) ou Vie sauvage (2014), de très belles adaptations comme celle de L’Ennui d’Alberto Moravia (1998) l’ont fait reconnaître par la profession et par le public. Il aime les intrigues hors du commun et les personnages asociaux, marginaux ou retirés du monde. Il traite ici un sujet délicat : la désintoxication et la réinsertion de jeunes drogués.
Thomas, un garçon de vingt-deux ans, arrive dans une communauté isolée en pleine montagne qui reçoit d’anciens toxicomanes pour les réadapter. Son visage balafré, en gros plan, est la première image que nous voyons. Il dénote l’état physique et moral pitoyable d’un garçon blessé, révolté, incapable de communiquer. Sa détresse saute aux yeux.

 

"La Prière", de Cédric Kahn © Le Pacte
« La Prière », de Cédric Kahn © Le Pacte

L’intégration dans une communauté

Dans un premier entretien assez long, Marco, chargé de le recevoir et de l’aider à s’acclimater, lui explique les règles de la communauté, qui reposent sur trois points: le travail, la prière et l’amitié. Il affecte un autre garçon, Pierre, à son accompagnement. Il s’agit en effet d’ancrer dans la vie concrète, matérielle et affective ces jeunes gens qui arrivent dans une solitude absolue, une grande misère. De reconstruire leur lien social en leur apprenant à respecter des règles, à partager, à vivre en communauté et à s’aider les uns les autres. Ce qui est d’autant plus difficile qu’ils sont d’origines géographiques, sociales et de langues très différentes. Un véritable melting-pot.
La thérapie est fondée aussi, comme chez les alcooliques anonymes par exemple, sur le témoignage personnel, chacun devant exposer ses difficultés aux autres, et sur le chant choral, qui les unit dans une communion esthétique et un partage d’émotions réconfortant.

Alex Brendemühl, Anthony Bajon dans "La Prière", de Cédric Kahn © Le Pacte
Alex Brendemühl, Anthony Bajon dans « La Prière », de Cédric Kahn © Le Pacte

Un cas emblématique de perdition sociale

Le scénario de Fanny Burdino, Samuel Doux et Cédric Kahn est construit sur les étapes de la lente et difficile rééducation de ce garçon, qui représente un cas emblématique de perdition sociale. Mais le talent du réalisateur a été de faire de ce film, un brin utopique malgré sa dureté, moins un film social qu’une fable mystique qui met en scène une vie de Jésus, avec ses miracles et sa montée au calvaire, et les étapes d’une rédemption par la souffrance, par l’amour et par la foi. Le film est habité par une mystique chrétienne de la confiance et de l’amour partagé. Thomas, au nom emblématique, devient dès lors le type même de celui qui doute et qui va peu à peu être convaincu, converti, transformé.
Les magnifiques paysages du plateau de Trièves dans l’Isère, filmés par le chef opérateur Yves Cape en plans larges et avec peu de mouvements de caméra, pour mieux rendre la notion du temps long de la cure, offrent un cadre idéal à cette aventure spirituelle, scrutée sur les visages. Perdu dans sa nuit obscure comme Jean de la Croix, Thomas y vit l’angoisse de la déréliction.
L’addiction à la drogue est filmée comme une sorte de possession. Les symptômes du manque sont les mêmes que ceux du douloureux processus de l’exorcisme. Et, sur la montagne où il se perd lors d’une marche collective, il passe, solitaire et apeuré, une nuit terrible et vit un véritable miracle, qui évoque celui vécu par Ingrid Bergman dans Stromboli de Rossellini. C’est d’ailleurs également aux Fioretti de François d’Assise du même réalisateur que l’on pense, devant la naïveté enfantine et l’affection partagée de cette communauté d’allure franciscaine, son austérité joyeuse, la séparation des garçons et des filles dont l’une s’appelle Claire.

"La Prière", de Cédric Kahn © Le Pacte
« La Prière », de Cédric Kahn © Le Pacte

La musique comme instrument d’un retour à une harmonie perdue

On ne peut qu’être impressionné par la performance du jeune Anthony Bajon, prix d’interprétation au festival de Berlin. Son visage enfantin, tour à tour grave, torturé ou transfiguré par l’amour, exprime avec une profondeur incroyable toutes les émotions. La plupart des autres comédiens, non-professionnels, donnent au film un accent d’authenticité certain. À l’exception de la grande comédienne allemande Hannah Schygulla, rayonnante de sérénité devant toutes ces âmes en voie de salvation, mais capable de gifler Thomas s’il a l’audace de mentir. Car la prière qu’il pratique consciencieusement ne peut devenir une conduite magique. Elle doit être sincère et sans excès pour toucher Dieu, comme le prescrit l’Ecclésiaste.
Il connaît tous les psaumes par cœur, mais le chant ne vaut-il pas mieux que toute récitation, psalmodie ou litanie? La musique s’avère capitale dans cette histoire de retour à une harmonie perdue et lentement retrouvée. Les chants liturgiques, interprétés par les acteurs eux-mêmes, ont été longuement répétés: psaumes, prières chantées à la Vierge, et l’aria Bist du bei mir, longtemps attribué à Bach, mais composé par Gottfried Heinrich Stölzel pour son opéra Diomède ou l’innocence triomphante. Tout un programme !

"La Prière", de Cédric Kahn © Le Pacte
« La Prière », de Cédric Kahn © Le Pacte

Un document social et une épopée spirituelle

La rencontre avec la jolie Sybille (Louise Grinberg) est une véritable apparition, au moment précis où Thomas parle de la Vierge Marie. Miracle ou coup de foudre, sa présence va être décisive pour faire mûrir le jeune rebelle. À l’intérieur de cet univers si dur où les jeunes gens sont privés de journaux, de télévision, de tout apport extérieur pour les empêcher de se disperser ou de s’évader mentalement et les concentrer sur leur combat intérieur, elle incarne le rêve du dehors, de l’amour, de la liberté. Et sa parole très libre oriente sans les diriger les choix de Thomas.
La Prière de Cédric Kahn, à la fois document social et épopée spirituelle, est un beau film d’espoir, un acte de foi dans la capacité d’une jeunesse éprouvée de lutter contre ses démons pour se reconstruire et reprendre sa place dans la société. A condition d’y être aidée intelligemment et avec sensibilité. Peut-être simplement d’être invitée à prier, c’est-à-dire à croire en quelque chose de supérieur et d’invisible : la transcendance de Dieu ou du moins un but immanent, un idéal humain, une solide raison de vivre et de travailler.

Anne-Marie Baron

l'École des lettres
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Un commentaire

  1. Très belle critique, donnant envie d’aller voir un film qu’intuitivement j’avais envie de voir, lorsque j’ai lu le thème exposé dans un entrefilet d’un magazine féminin, le type de magazine que je n’achète jamais…

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