Portrait miroir de Fred K. et Magali Carré

Sourde, mère de trois enfants, Magali Carré sensibilise au harcèlement, enseigne la langue des signes, écrit des livres et chansigne un morceau de Fred K., auteur, compositeur et interprète. Ils ont été qualifiés pour Un incroyable talent. Portraits croisés par trois collégiennes lauréates du concours Chasseurs d'actu, catégorie Chasseurs confirmés.

Sourde, mère de trois enfants, Magali Carré sensibilise au harcèlement, enseigne la langue des signes, écrit des livres et chansigne un morceau de Fred K., auteur, compositeur et interprète. Ils ont été qualifiés pour Un incroyable talent. Portraits croisés par trois collégiennes lauréates du concours Chasseurs d’actu, catégorie Chasseurs confirmés.

Par Talia Giuliano, Eva Montesinos-Marin et Ramy Uygun du collège Henri Matisse à Nice

Fred K. est chanteur, Magali est sourde…

Pourquoi est-elle sourde ? Elle ne sait pas, « la surdité est un mystère ». Elle est maman de trois enfants, elle a créé son entreprise  « Carré m’en dit », un jeu de mots avec son nom de jeune fille. Elle fait de la sensibilisation sur le harcèlement, l’indifférence, elle mène des ateliers dans les entreprises pour que les personnes différentes soient acceptées, elle donne des cours de LSF et elle écrit des livres. Elle, c’est Magali.

Auteur-compositeur et interprète, durant le confinement il a écrit une chanson « qu’il avait en lui, qui devait sortir » et, surprise, en deux semaines, elle a fait 110 000 vues sur YouTube. Lui, c’est Fred K.

Quelques années plus tard, Fred compose sa chanson Not alone, en parallèle, il tombe sur un clip de Florent Pagny, où celui-ci signe et trouve l’idée géniale sauf qu’il ne veut pas faire la « marionnette », il pense que « ses gestes seraient mécaniques, sans âme, sans émotion ». Il met alors une annonce pour chercher une personne malentendante qui souhaiterait chansigner sa chanson. Magali répond de suite.

Arrivés à Nice hier soir, ils sont sélectionnés pour les qualifications d’Un Incroyable Talent qui aura lieu ce soir* ! Et sans nous connaître, ils ont accepté notre invitation, via les réseaux sociaux, à venir répondre à nos questions au collège.

Comment allons-nous communiquer ? Cette question nous tracasse un peu..

Ils se présentent, sourires aux lèvres, et heureux de profiter du soleil de Nice (il faut dire qu’ils viennent de Besançon). D’emblée, Magali nous répond, on en oublie qu’elle est sourde, et raconte en entrant dans la salle de musique l’absurdité qu’elle a vécu lorsqu’elle était collégienne, lorsque le prof de musique se bornait à vouloir faire apprendre la flûte à une classe de malentendants… ça l’a fait rire. Et ça nous rappelle qu’elle est sourde !

Elle lit sur les lèvres, de face comme de profil ! Elle a l’usage de sa parole, sacrée pipelette d’ailleurs, car avant ses trois ans, elle entendait. Elle nous rappelle d’ailleurs qu’il faut arrêter de dire «sourd et muet», une personne sourde n’a pas l’usage de ses oreilles mais a l’usage, plus ou moins, de sa parole.

Ils s’installent, elle se met à contre-jour pour pouvoir voir nos lèvres et celles de Fred, ils sont complices, et ils nous racontent…

Est-ce que vous pouvez vous décrire en trois adjectifs ?

Magali : Perfectionniste, agréable à vivre, très souriante puis pénible parfois.

Fred : Perfectionniste, déterminé, rêveur.

Qu’est-ce qui vous a amenés à travailler ensemble ?

M. : L’accès à la musique et au chant ! C’est incroyable lorsqu’on est sourde. Je n’avais jamais pratiqué le chansigne. J’avais envie de vivre cette expérience.

F. : Je voulais travailler avec une personne dont le vrai moyen d’expression est la langue des signes (LSF). J’avais raison. Quand Magali signe, c’est beau, c’est sensuel, c’est poétique. Lorsque je l’ai vue, je lui ai donné mon texte et lui ai dit :

« Je voudrais que tu le chantes avec tes mains ».

Quelques semaines plus tard, nous nous sommes revus, elle a commencé à chanter ma chanson avec ses mains.  Je ne peux pas le décrire… d’un seul coup, ce que j’avais écrit a pris vie, cela m’a ému et m’émeut encore [larmes aux yeux]. Cela fait plus d’un an qu’on travaille ensemble, à chaque fois que je la vois, c’est l’émotion.

Magali, vous êtes sourde, nous parlons de musique, d’art des sons… Comment faites-vous pour vous coordonner tous les deux ?

F. : C’est très compliqué. Déjà, il y a fallu travailler l’interprétation ! Je pensais qu’elle « lirait » mon texte directement, mais pas du tout. Elle m’a posé énormément de questions : « Quand t’écris cette phrase est-ce que t’es en colère ? Est-ce que t’es triste ? » Parce que, même si elle signe la même chose, con expression va changer en fonction du contexte.  C’est  super intéressant parce que l’on ne pense pas à tout ça .

M. : C’est un travail d’interprète pour le coup, pas juste la lecture d’une chanson. Moi, je n’entends pas, je ne sais pas l’émotion qui est voulue. Fred a dû verbaliser et expliquer.

F. : Ensuite, lorsque nous « chantons et chansignons », il faut absolument qu’elle voit mes lèvres. Elle n’a pas le tempo, n’entend pas les musiciens ni ce que je fais. Elle regarde mes lèvres pour percevoir ce que je dis, et à quelle vitesse je le dis et elle adapte ses signes sur le son de ma bouche. Lorsqu’on a tourné le clip, j’étais sous la caméra pour qu’elle me regarde, tout en faisant croire qu’elle regardait l’objectif.

Ce soir, pour le casting d’ Un Incroyable Talent nous serons les deux sur scènes, nous nous tiendrons la main et je lui ferai une petite pression pour lui dire « On y va ».

Que ressent-on quand on va faire le casting de Un incroyable talent ? Et quel message voulez-vous faire passer ?

M. : Alors, Un Incroyable talent c’est vrai que tout le monde en rêve. Nous aussi. C’est une belle expérience, mais pour moi, c’est surtout pour montrer l’importance du chansigne.

Montrer que : oui je suis sourde mais je peux chanter !

Alors bien sûr, je ne vais pas chanter avec ma voix parce que là, c’est « Sortez direct ! »,  je vais laisser mon ami chanter, il le fait très bien.

Montrer que la langue des signes est une langue à part entière comme le français, comme l’allemand, comme tout!

C’est le message absolument que je veux faire passer :

Acceptez vos différences et faites de vos différences une force. Parce que moi, ma surdité, c’est ma force. Le chansigne c’est un don, et je veux en faire profiter les autres.

Que représentent les maquillages dans le clip de Not alone 

F. : Le visage exprime tellement de choses, ça fait trop d’informations : les mains, les yeux, la bouche. Les regards se dissipent. Le maquillage efface les expressions et permet qu’on se concentre plus sur le regard et les émotions. Il met en valeur le chansigne. Je ne sais pas si vous avez fait attention, mais je suis maquillé plus triste et Magali plus joyeuse.

Qu’est-ce que ça vous a apporté de travailler ensemble ?

F. : Avant de rencontrer Magali, c’est l’esthétique et la poésie qui m’intéressaient. Quand on s’est rencontrés, en fait je ne savais pas ce que c’était la surdité, le handicap et tout ce que ça pouvait engendrer ; les difficultés qu’elle a rencontrées. Ça m’a fait prendre conscience de ça. Voir quelqu’un qui fait la langue des signes, c’est vrai que c’est joli, mais on ne se rend pas compte de tout ce qu’il y  a derrière : la douleur, la souffrance, tout ce qu’elle a traversé, le handicap, tout ce que ça peut engendrer. Si on peut sensibiliser les gens à travers la musique, si on est là ce matin, c’est aussi pour vous sensibiliser, sinon je vous aurais seulement envoyé mon clip. Mais j’ai pris à bras le corps vraiment tout ce qu’elle m’a dit. Elle est là pour moi mais je dois aussi être là pour elle.

M. : Alors moi, qu’est ce que ça m’a apporté ? Beaucoup de stress ! [ rires]

Fred m’a permis de découvrir vraiment le monde de la musique. Il m’a permis aussi de me laisser la chance de m’exprimer au travers de la langue des signes, de comprendre l’importance d’adapter le chansigne à une chanson.

J’avais déjà vu des chansignes à la télé, mais c’est différent de le faire soi-même : tu te rends compte de la difficulté d’interprétation car le chansigne, ce n’est pas forcément traduire mot pour mot, c’est beaucoup de choses. J’ai découvert cet univers fantastique. Je ne veux pas m’approprier le chansigne en tant que sourde, mais c’est sûr que j’aimerais qu’on nous laisse ce moyen d’expression, ou au moins qu’on le fasse bien.

Qu’est ce que vous feriez si vous étiez président(e) ?

M. : Le projet phare de ma campagne serait l’accessibilité pour les personnes handicapées. Pour les personnes à mobilité réduite, c’est vrai qu’il y a des choses mises en place, mais il reste encore beaucoup à faire pour les personnes aveugles ou sourdes. Il y a des choses auxquelles on ne pense pas. Les sonnettes : je me suis déjà retrouvée coincée dans un ascenseur en panne. Vous, c’est facile, vous appuyez et un technicien vous parle et vient vous dépanner, mais quand vous n’entendez pas ? Même situation lorsque j’interviens dans des collèges pour sensibiliser les élèves, je me retrouve en retard car on ne veut pas m’ouvrir. Ca devient vite ridicule.

F. : Moi, je travaillerais plus sur l’égalité, c’est un grand mot mais bon ! Le racisme (je suis réunionnais métisse). Maintenant je suis vieux, mais c’est jamais facile d’être bronzé. Ce n’est pas un handicap comme Magali, mais on sent toujours le regard des gens… C’est pas parce que je suis plus bronzé que je suis une racaille. La racaille, il y en a de toutes les couleurs, comme il y a des gens bons de toutes les couleurs. L’égalité et le racisme en général.

T. G., E. M.-M. et R. U.

Pour en savoir plus :

Magali Carré : « Le chansigne est apparu il y a peu. Il y a pas mal d’années la langue des signes était interdite, la langue des signes était considérée comme une langue qui rendait inculte. Vers la fin 18ème fin 19ème siècle,  elle a été acceptée. A partir de 1950, elle apparaît dans les écoles mais les sourds et malentendants devaient tout oraliser !  C’est seulement maintenant, depuis  2020 que la langue des signes se répand. Et aujourd’hui, c’est la grande mode ! Moi je ne considère pas ça comme une mode, mais comme une nécessité. Le chansigne ce n’est pas que de la traduction mais de l’émotion, alors oui je pense que le chansigne doit plus se répandre. »

Ouvrages publiés par Magali Carré

*Cet article a été initialement publié sur la page du concours Chasseurs d’actu, le 27 mars 2022.


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