Quelle place pour la littérature européenne à l’école ?
En avril 2008, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté à l’unanimité une recommandation visant à promouvoir l’enseignement de la littérature européenne dans les lycées et les collèges. Elle préconise l’introduction de programmes spécifiques adaptés à tous les niveaux visant à soutenir l’éducation à la citoyenneté européenne, la sensibilisation au pluralisme linguistique et à la diversité culturelle.
Le Parlement européen précise que cet enseignement ne doit pas se substituer à celui de la littérature de langue maternelle, mais se faire en parallèle, de manière à renforcer globalement les enseignements littéraires et artistiques dans les pays membres. Ce qui doit s’accompagner d’un encouragement aux traductions de textes anciens et contemporains, ainsi que d’un soutien aux anthologies ou autres manuels de littérature contemporaine.
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Consolider la conscience européenne
L’ensemble de ces dispositions fera, selon le mot du romancier espagnol José Manuel Fajardo, cité dans ces recommandations, de l’enseignement de la littérature européenne un « instrument incontournable de la consolidation d’une conscience européenne ».
Cette préconisation n’est pas une simple initiative politique. Elle s’appuie sur des travaux universitaires qui, depuis des années, réfléchissent aux littératures européennes à travers la discipline dite de « littérature comparée », ou encore sur l’action de l’association Eurobabel (Capitale européenne des littératures), créée en 2005 à Strasbourg par des écrivains, traducteurs et universitaires animés par la volonté de « développer une meilleure connaissance mutuelle des acteurs culturels européens » par des colloques, des prix, des aides à la traduction.
La référence emblématique reste toutefois le manuel, pionnier en la matière, d’Annick Benoit-Dusausoy et Guy Fontaine, Lettres européennes, une somme de huit cents pages à laquelle ont collaboré plus de deux cents auteurs (De Boeck, 2007).
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La littérature européenne dans les programmes
Force est de constater que, depuis 2008, la promotion de cette littérature européenne a bien du mal à trouver sa place dans les programmes. Pour autant, il serait faux de prétendre que l’école ne porte aucune attention aux littératures étrangères, et notamment européennes.
Ainsi, au collège, des thèmes tels que « La fiction pour interroger le réel », « Le voyage et l’aventure : pourquoi aller vers l’inconnu ? » ou « Agir dans la cité : individu et pouvoir » font explicitement référence à l’étude d’œuvres européennes, et les EPI font apparaître une thématique « Langues et cultures étrangères ou régionales ».
De même, au lycée, en classe de première L, un objet d’étude a pour intitulé : « Vers un espace culturel européen : Renaissance et humanisme ». Bien plus, de manière générale toute invitation à recourir à l’histoire littéraire pour traiter un thème ou une œuvre suppose un regard sur des sources, des influences, des parentés, des analogies qui orientent naturellement vers les littératures européennes.
Difficile de parler du Dom Juan de Molière sans évoquer Tirso de Molina. Et nul ne traite du romantisme sans mentionner ses grands inspirateurs anglais ou allemands. Le surréalisme et son précurseur, le mouvement dada, appellent bien évidemment un examen de la situation des artistes dans l’Europe entière.
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Des cours de littérature européenne ?
Faut-il aller plus loin ? Faut-il envisager de systématiser un enseignement de la littérature européenne, qui serait rationnellement réparti sur tous les niveaux du parcours scolaire, détaché du cours de français, appuyé sur un programme, des exercices ?
La création d’une discipline nouvelle est obscurcie par de nombreux problèmes :
• Faudra-t-il revoir la formation des enseignants concernés ?
• Va-t-on vers un alourdissement des emplois du temps ?
• Une banalisation de la traduction, considérée comme neutre et indifférente stylistiquement ?
• Une uniformisation européenne des programmes ?
• Plus encore, n’est-ce pas un retour inavoué à l’histoire littéraire après des décennies passées à évincer auteur et contexte, et à célébrer le texte seul dans l’autosuffisance de ses significations ?
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Le chef d’œuvre n’a pas de frontières
En l’état actuel, on peut se demander si de simples additions aux programmes existants ne suffiraient pas. Si l’on comprend les raisons idéologiques qui motivent cette reconnaissance d’une approche élargie de la littérature, n’est-ce pas, alors, la littérature mondiale qui devrait figurer dans des programmes rénovés ? Le prix Nobel de littérature souligne l’universalité des grandes œuvres : ne conviendrait-il donc pas de prêter attention aux grands auteurs de tous les continents ?
En effet, si, par littérature européenne (au singulier), on entend simplement « mouvements littéraires européens », on risque de passer à côté d’écrivains nationaux d’exception, inclassables, mais les enseigner reviendrait à dresser une liste de « grands hommes ».
Enfin, on observera que l’enseignement des arts non linguistiques, comme les arts plastiques, la musique ou le cinéma, n’a jamais attendu les recommandations du Conseil européen pour faire étudier les artistes de tous les grands mouvements picturaux ou musicaux qui ont accompagné l’histoire nationale et l’histoire de l’Europe. Le chef d’œuvre n’a pas de frontières. Ne seraient-ce pas plutôt ces enseignements qui mériteraient d’être soutenus et valorisés à l’école ?
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Nationalisme d’État et nationalisme européen
À vouloir unifier les littératures européennes pour en faire une littérature européenne, ramener la diversité à l’unité, la singularité à la communauté, on risque de produire une littérature européenne artificielle, inconnue de ceux qui viendraient à y figurer. C’est pourquoi il serait bon d’avancer dans cette voie avec la prudence qu’exprime le Manifeste pour l’enseignement des littératures européennes (décembre 2007) :
« Il ne s’agit pas de remplacer un nationalisme d’État, auquel l’enseignement littéraire a largement participé dans le passé, par un nationalisme européen. Il s’agit au contraire d’ouvrir les esprits à un champ de références plus large que celui des seules références nationales afin de créer un espace de dialogue commun aux jeunes Européens et les conditions idéales d’un renouveau. »
Pascal Caglar
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• Pour des programmes ouverts sur la littérature européenne, par Stéphane Labbe.