Phrase d’armes, de Paul Greveillac :
du fleuret au fusil
Par Norbert Czarny, critique littéraire
Paul Greveillac conte avec allégresse l’épopée de René Bondoux, avocat, fleurettiste, soldat puis officier de l’armée française. Un destin hors norme dans un XXe siècle agité.
Par Norbert Czarny, critique littéraire
Toutes les exofictions ou biographies romancées ne se valent pas. Ce genre à la mode met en scène un être ayant réellement existé, parmi des êtres qui appartiennent comme lui à l’histoire, souvent la grande. René Bondoux est un avocat qui s’est occupé d’accusés les moins faciles à défendre, et qui s’est distingué, avec ses compagnons, au fleuret, emportant l’or aux Jeux olympiques de Los Angeles en 1932, et l’argent à Berlin en 1936. C’est aussi un soldat courageux qui a combattu dans la 1re armée au côté du général de Lattre de Tassigny, auprès de qui il a participé à la signature de l’armistice à Berlin.
Mais une figure héroïque ne fait pas un roman, ou alors en partie. Il faut que son histoire soit écrite, comme dans le nouveau roman de Paul Greveillac ou elle convainc, et plus encore conquiert. Phrase d’armes se lit d’un trait, avec plaisir, voire entrain. Le romancier, qui a reçu le prix Roger-Nimier pour Les Âmes rouges en 2016, a l’élégance et la vitesse de l’auteur du Hussard bleu. Il use de phrases courtes, claires comme du Stendhal, et les chapitres brefs cernent au mieux les faits. Quand il emploie des phrases nominales, c’est un choix appuyé qui ne cède pas à la facilité en vogue. Il n’y a rien de trop dans sa prose, et un sens de la formule qui frappe juste, comme, en escrime, un assaut réussi.
Ces qualités stylistiques sont parfois attribuées à tort à des écrivains classés à droite, le modèle étant Paul Morand. Elles sont pourtant partagées par ce romancier de quarante-deux ans, dont les cinq romans déjà parus témoignent d’un intérêt certain pour l’histoire, les destins qu’elle fait naître ou fracasse. Phrase d’armes est de façon claire et nette le portrait en mouvement d’un résistant, d’un homme qui n’a pas transigé.
Le roman commence aux Jeux olympiques de Los Angeles. René Bondoux a fait la traversée sur un de ces paquebots qui font rêver. Sauf ceux qui sont allergiques aux chevaux et se retrouvent, comme ce cycliste, dans une cabine au-dessus de l’écurie. Le héros appartient à l’équipe qui remporte l’épreuve collective d’escrime, avec un certain Lemonnier pour le suppléer quand il a la tête ailleurs. René Bondoux s’occupe notamment du dossier de défense de l’assassin de Paul Doumer, Gorgulov, dont la tête tombera sous la guillotine.
Los Angeles en paquebot
À Los Angeles, le jeune escrimeur fait surtout connaissance d’une toute jeune fille : « C’est doucereux, et c’est puissant. C’est comme un printemps inopiné qui l’empêche de déglutir. » Elle se prénomme Virginia, a des airs de riche héritière à la Scarlett O’hara (mais le film est encore loin d’exister). Il découvre un pays dans lequel les Noirs peuvent gagner des médailles mais pas voter pour leur président, un pays qui ne voit dans ces « colorés » vêtus de blanc que des subalternes tout juste bons à servir dans les trains ou les salons. Bien plus tard, sur le front de l’Alsace, ces mêmes Noirs engagés comme soldats n’auront pas droit aux honneurs de la victoire, qu’ils luttent dans l’armée américaine ou française.
Sinistre période
À son retour des États-Unis, René Bondoux défend les intérêts d’Albert Prince, conseiller mort dans de curieuses conditions. Il enquêtait sur Stavisky. Un détail ? L’heure est celle de cette sinistre période qui culminera avec « l’étrange défaite » de 1940. Paul Greveillac la raconte à travers l’atmosphère régnant dans la campagne bretonne où René Bondoux, devenu officier de réserve, prépare la prochaine guerre. La naissance d’un poulain est un mauvais signe : « Il y a dans la mise bas une amorphie étrange. Une passivité. Dans sa gaine visqueuse, le poulain ne respire pas. Il est mort-né. René n’est pas quelqu’un de sensible aux présages. Pourtant. »
La guerre, la vraie, celle que Daladier, Chamberlain par leurs compromissions n’ont pas pu empêcher, se termine pour René Bondoux dans un stalag et dans la honte. Il ne supporte pas la défaite et moins encore la collaboration. Le parcours qui le mène à Casablanca puis à Alger est long.
Le lecteur appréciera l’art de l’ellipse chez le romancier. Une telle épopée, qui passe par les prisons franquistes après la vie clandestine à Toulouse, pourrait remplir des centaines de pages. René Bondoux aurait pu écrire ses mémoires. Paul Greveillac, usant d’un « nous » qui intervient dans le récit par intermittence, donne le tempo, porte sur son héros le regard d’un quarantenaire.
Le regard des survivants
L’arrivée à Vaihingen, camp allemand dont beaucoup de détenus ont été déplacés vers Dachau, est un moment fort, et l’intrusion de l’auteur n’est pas anodine. Il cite un long extrait de La Trêve avant d’imaginer son héros confronté aux regards des survivants : « Si l’on doit continuer à vivre, on aura du remords à se montrer obscène. On ne saura plus bien distinguer ce qui est acceptable de ce qui ne l’est pas. Il y aura une ombre logée au cœur des plaisirs les plus innocents. On ne pourra pas faire autrement que de l’apprivoiser. Il y aura aussi l’espoir sporadique de la dépasser. »
Paul Greveillac aime les anecdotes, sait trouver les détails qui, plus que tout, disent l’ensemble. Le récit de la capitulation à Berlin en est un excellent exemple. La France n’est pas conviée à la table de la signature. Il manque un drapeau, des sièges, et surtout l’envie, côté soviétique et anglo-américain, de convier la France libre à ce moment solennel. René Bondoux assiste de Lattre. Ce dernier a expliqué aux alliés que, s’il ne signait pas, il finirait guillotiné. Ses troupes et lui ont assez prouvé leur engagement au combat pour qu’on lui accorde cette faveur. Il faut trouver un drapeau bleu-blanc-rouge.
René Bondoux aura vu pas mal d’étendards dans sa vie, soit comme fleurettiste, soit comme officier. On honorait ses performances, il célébrait des victoires. Certaines étaient amères. Lui ne l’était jamais. L’histoire de cet homme passé du fleuret à la robe d’avocat et à l’uniforme de capitaine est remplie d’une sorte d’allégresse. C’est un état trop rare pour ne pas le savourer.
N. C.
Paul Greveillac, Phrase d’armes, Gallimard 192 pages, 19 euros.
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