Philosophie. Chronique n° 11. Bac philo, réussir l’explication de texte : méthode et illustration avec Descartes
Par Hans Limon, professeur de philosophie (AEFE - Océan Indien)
Exercice fondamental de l’épreuve de philosophie au baccalauréat, l’explication de texte réclame une analyse rigoureuse d’un extrait de texte. L’objectif est de rendre compte du problème soulevé en dégageant concepts clés, arguments principaux et enjeux sous-jacents.
Par Hans Limon, formateur pour le second degré (AEFE – Océan Indien)
L’explication de texte est un exercice fondamental de l’épreuve de philosophie au baccalauréat. Elle exige des élèves une analyse rigoureuse et structurée d’un extrait philosophique, qui parvienne – dans l’idéal – à en dégager les concepts clés, les arguments principaux et les enjeux sous-jacents. Selon les directives du bulletin officiel spécial n° 2 du 13 février 2020, l’objectif est de « rendre compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question », mention qui figurait autrefois sur les sujets proposés en fin d’année.
Les apprentis philosophes éviteront cet exercice au profit de la dissertation, en le jugeant plus facile ou plus souple car prenant appui sur un raisonnement autour duquel il suffirait finalement de « broder un peu ». L’explication de texte requiert en réalité la même rigueur que la dissertation. Elle a néanmoins trop tendance à être préférée par les élèves qui ne se sont que peu investis tout au long de leur cursus – de neuf mois – en philosophie. Autre élément d’importance : cette explication diffère du commentaire de texte en lettres, qui se concentre bien davantage sur l’analyse littéraire, stylistique et thématique de l’extrait choisi, et s’efforce de mettre en lumière les procédés d’écriture, les figures de style et les effets esthétiques employés par l’auteur(e).
Pour illustrer la démarche de cet exercice canonique, notre attention se portera sur un extrait du fameux Discours de la méthode, de René Descartes, en suivant une méthode classique en trois étapes : l’introduction, le développement et la conclusion.
« Je ne sais si je dois vous entretenir des premières méditations que j’y ai faites ; car elles sont si métaphysiques et si peu communes, qu’elles ne seront peut-être pas du goût de tout le monde. Et toutefois, afin qu’on puisse juger si les fondements que j’ai pris sont assez fermes, je me trouve en quelque façon contraint d’en parler. J’avais dès longtemps remarqué que, pour les mœurs, il est besoin quelquefois de suivre des opinions qu’on sait être fort incertaines, tout de même que si elles étaient indubitables, ainsi qu’il a été dit ci-dessus ; mais, parce qu’alors je désirais vaquer seulement à la recherche de la vérité, je pensais qu’il fallait que je fisse tout le contraire, et que je rejetasse, comme absolument faux, tout ce en quoi je pourrais imaginer le moindre doute, afin de voir s’il n’en resterait point, après cela, quelque chose en ma créance, qui fût entièrement indubitable. Ainsi, à cause que nos sens nous trompent quelquefois, je voulus supposer qu’il n’y avait aucune chose qui fût telle qu’ils nous la font imaginer. Et parce qu’il y a des hommes qui se méprennent en raisonnant, même touchant les plus simples matières de géométrie, et y font des paralogismes, jugeant que j’étais sujet à faillir, autant qu’aucun autre, je rejetai comme fausses toutes les raisons que j’avais prises auparavant pour démonstrations. Et enfin, considérant que toutes les mêmes pensées, que nous avons étant éveillés, nous peuvent aussi venir, quand nous dormons, sans qu’il y en ait aucune, pour lors, qui soit vraie, je me résolus de feindre que toutes les choses qui m’étaient jamais entrées en l’esprit n’étaient non plus vraies que les illusions de mes songes. Mais, aussitôt après, je pris garde que, pendant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait nécessairement que moi, qui le pensais, fusse quelque chose. Et remarquant que cette vérité : je pense, donc je suis, était si ferme et si assurée, que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n’étaient pas capables de l’ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir, sans scrupule, pour le premier principe de la philosophie que je cherchais. »
Descartes, Discours de la méthode, IV, 1637
I. L’introduction : poser les bases de l’analyse
L’introduction doit contextualiser le texte, présenter le problème philosophique abordé, énoncer la thèse de l’auteur et annoncer le plan de l’explication.
1. Contexte et présentation de l’auteur
René Descartes (1596-1650), philosophe et mathématicien français, est considéré comme le père de la philosophie moderne. Dans son Discours de la méthode (1637), il expose une méthode pour atteindre des vérités certaines, fondée sur le doute méthodique.
2. Problème philosophique
Le texte pose la question suivante : existe-t-il une vérité absolument certaine, qui résiste à tout doute ?
3. Thèse de l’auteur
Descartes affirme que la seule certitude indubitable est : « Je pense, donc je suis ». Cette proposition, connue sous le nom de cogito, établit la pensée comme fondement de l’existence et de la connaissance.
4. Plan de l’explication
L’analyse suivra la structure du texte en trois parties (ne pas hésiter à caractériser le découpage linéaire précis) :
- Première partie : introduction du doute hyperbolique.
- Deuxième partie : application du doute aux sens, à la raison et à la réalité.
- Troisième partie : résultat du doute et découverte du cogito comme vérité première.
II. Le développement : analyse détaillée du texte
Le développement consiste en une analyse linéaire du texte, en suivant le plan annoncé. Chaque partie doit comporter des citations précises, des tentatives de reformulation et, concepts à l’appui, des analyses approfondies ainsi que des mises en perspective.
Première partie : introduction du doute hyperbolique
Descartes explique qu’il a décidé de rejeter comme fausses toutes les opinions incertaines, afin de trouver une base solide pour la connaissance. Il écrit : « Je rejetai comme fausses toutes les raisons que j’avais prises auparavant pour démonstrations ». Cette démarche, centrée autour du doute hyperbolique, vise à éliminer toute croyance susceptible d’être mise en doute, pour ne conserver que les vérités absolument certaines.
Deuxième partie : application du doute
Le philosophe applique son doute aux perceptions sensorielles, à la raison et même à la réalité. Il note que nos sens peuvent nous tromper et que les raisonnements peuvent contenir des erreurs. Il ajoute que les pensées que nous avons en rêve peuvent être similaires à celles de l’éveil, sans qu’il y ait de critère certain pour les distinguer. Ainsi, il remet en question la fiabilité de toutes nos connaissances.
Troisième partie : découverte du cogito
Malgré, ou plutôt grâce à ce doute radical, Descartes découvre une certitude indubitable : le fait même de douter prouve l’existence de celui qui doute. Il conclut : « Je pense, donc je suis ». Cette proposition établit la pensée comme preuve de l’existence, et sert de fondement à toute connaissance certaine.
III. La conclusion : synthèse et ouverture
En conclusion, Descartes, par le biais du doute méthodique, parvient à établir une vérité indubitable : le cogito. Cette démarche marque une rupture avec le dogmatisme et inaugure la philosophie moderne, en plaçant la subjectivité et la raison au cœur de la quête de la vérité. Cette réflexion invite à interroger nos certitudes et à adopter une attitude critique face aux connaissances établies.
Contrairement au doute sceptique, qui conduit à une suspension du jugement et à une remise en question permanente de la possibilité de connaître, le doute cartésien est un outil méthodique dont l’objectif est de produire, tels des précipités purs, des certitudes indubitables ou évidences nécessaires à la refondation des sciences sur des bases saines. Cette approche est plus que jamais d’actualité : elle peut servir de remède aux fake news et aux théories du complot qui pullulent sur les réseaux sociaux et sont parfois relayés par les personnalités les plus influentes. En adoptant une attitude de doute méthodique, les individus sont encouragés à examiner de manière critique les informations reçues, à vérifier les sources et à ne pas accepter aveuglément les affirmations non fondées. Ainsi, le doute cartésien favorise le développement de l’esprit critique et la recherche de la vérité, précisément parce qu’il contribue à une meilleure résistance aux désinformations et aux manipulations de tous bords.
H. L.
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