« Philomena », de Stephen Frears
On se souvient du terrible film de Peter Mullan, The Magdalene sisters (2001), inspiré de l’histoire des couvents de la Madeleine, établissements créés en Irlande au XIXe siècle, où les filles considérées comme perdues par leurs familles pour avoir été violées, filles-mères, ou simplement orphelines, étaient placées pour expier et racheter leurs péchés.
Stephen Frears nous ramène en Irlande, avec Philomena, dans un établissement de ce genre, le couvent de Roscrea où Philomena Lee, enceinte à seize ans et rejetée par sa famille, est placée en 1952.
Elle paie les soins prodigués par les religieuses avant et pendant la naissance en travaillant à la blanchisserie, et n’est autorisée à voir son fils, Anthony, qu’une heure par jour. À l’âge de trois ans, il lui est arraché pour être adopté par des Américains. Après avoir essayé pendant longtemps de le retrouver, Philomena y parvient grâce au journaliste Martin Sixmith, rencontré cinquante ans plus tard, qui a tiré un livre de cette extraordinaire aventure, The Lost Child of Philomena Lee (2009).
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Un “road-movie” universel
Le grand comédien britannique Steve Coogan en a tiré et produit un film bouleversant. Particulièrement ému par une interview de Sixmith à propos de son livre, il s’est beaucoup investi dans ce projet qui questionnait ses origines catholiques.
Cette histoire – qui se déroule entre Irlande et États-Unis – lui a paru universelle ; il a écrit, avec le scénariste Jeff Pope, un scénario qui introduit Martin Sixmith lui-même dans l’histoire et qui s’est transformé plus ou moins en un road-movie avec deux personnages très différents, qui apprennent à se connaître et à s’apprécier et, ce faisant, posent un nouveau regard sur leur propre existence.
Histoire de tolérance et de compréhension qui creuse leur relation et montre l’amitié qu’ils développent. On se souviendra longtemps de la performance de Judi Dench en femme simple, aimante et obstinée dans sa recherche de l’enfant perdu.
Un équilibre subtil entre humour et drame
Stephen Frears retrouve avec ce film la vocation sociale de son cinéma. Depuis My beautiful laundrette (1985), il ne cesse de se poser en sociologue, même quand il adapte des romans – Les Liaisons dangereuses (1988), Mary Reilly (1996), High fidelity (2000). Un tel sujet était bien fait pour le tenter. Mais il est convaincu, comme Steve Coogan, de la nécessité de le rendre plus léger. S’inspirant de de Billy Wilder et de son interprète favori, Jack Lemmon, il a réussi à trouver un équilibre subtil entre humour et drame.
Steve Coogan interprète avec beaucoup de tact et d’auto-ironie le rôle de Martin Sixmith, Acteur comique sans égal, il a cherché à rendre cette histoire plus humaine et moins dure en intégrant des éléments comiques pour susciter le rire.
La mise en scène met en évidence, par de brèves séquences, le contraste entre ce journaliste, intellectuel sophistiqué, diplômé des plus grandes universités anglaises, ancien chargé de communication pour le gouvernement britannique et l’infirmière irlandaise à la retraite, issue de la classe ouvrière, lectrice de romans à l’eau de rose mais d’une grande intelligence.
Ce duo improbable et burlesque incarne l’opposition de l’intuition et de l’intellect, du sentiment et de la culture qui tient l’émotion à distance.
Un magnifique hommage à la maternité
Judi Dench rend admirablement la complexité du caractère de Philomena. Son amour maternel immense et inconditionnel est inséparable de la culpabilité dont elle n’arrive pas à se défaire. Convaincue d’avoir commis un péché mortel et de mériter sa punition, elle est humble, réservée, renfermée et commence seulement à s’ouvrir en compagnie de cet homme brillant qui la séduit plus qu’elle ne peut le dire.
Quoique impressionnée par son niveau de vie et tous les avantages qu’il tient pour acquis, elle fait souvent preuve de plus de perspicacité que lui sur le plan social et humain. Sincère, franche, directe, dépourvue de rancune, alors qu’il exprime sa révolte et son indignation, elle refuse toute agressivité, même à l’égard des sœurs ou de l’Église catholique, grâce à une foi inébranlable et à une bonté naturelle qui se révèlent être la véritable charité chrétienne.
Des dialogues désopilants ou émouvants, une situation hors du commun et pourtant plus actuelle qu’on ne pense, deux immenses comédiens font de Philomena une œuvre puissante, magnifique hommage à la maternité, où la rédemption prend un visage inoubliable.
Anne-Marie Baron
Tout est dit dans cette analyse. À partir d’une histoire pathétique, dont le flm montre bien qu’il ne s’agit pas d’un cas unique, l’auteur nous peint avec une grande subtilité et une réelle empathie, le lien complexe, à la fois comique et émouvant, qui rapproche deux êtres foncièrement différents par le caractère et par l’éducation. Au terme des escarmouches qui opposent celle qui croyait au ciel et celui qui n’y croyait pas, c’est bien sur le plan d’une conception supérieure de la charité que la compréhension finale s’affirme entre les deux personnages de ce drame. Ce film, pudique et émouvant, est servi par deux comédiens prodigieux. Il restera longtemps dans notre mémoire.
Belle analyse. “Philomena” ou quand le savoir-faire remplace le génie. Stephen Frears, cinéaste expérimenté et talentueux (en dépit de quelques ratages), tire les meilleurs effets de cette histoire simplette et un peu larmoyante. Car il a l’art (avec son scénariste) de ménager la surprise, de retourner les situations, d’inverser les réactions des personnages dans un jeu de chiasme astucieux qui relance l’intérêt en permanence, mélange les tonalités, désamorce le pathos ou le didactisme. Le message du film ne paraît pas aussi convaincant que nous le suggère Anne-Marie Baron ; mais le traitement est particulièrement réussi, malgré des complaisances et des facilités. Et bien sûr, grâce aux deux comédiens, éblouissants l’un et l’autre. YS