Nayola : superbe et tragique traversée
de la guerre en Angola
Par Ingrid Merckx, rédactrice en chef
Il est des films d’animation où la beauté des images et la poésie de l’approche autorisent à évoquer l’insoutenable sans pour autant gommer la violence. À ne pas mettre devant tous les yeux, donc*, l’illustration pouvant même parfois décupler l’impact du réel. Nayola est de ceux-là, de même que Valse avec Bachir, sur les massacres de Sabra et Chatila, en 2008.
Mais là où Ari Folman posait des illustrations sur des images documentaires, absentes ou impossibles à montrer, José Miguel Ribeiro choisit la fiction pour relater les déchirements de l’Angola sur trois générations. Trois femmes : la petite-fille, Yara, jeune rappeuse révoltée qui défie la censure dans un pays où la guerre est terminée mais qui reste soumis à l’autorité militaire ; Lelena, la grand-mère, impériale et triste, à qui la guerre a pris son mari, son beau-fils et sa fille, Nayola ; et cette dernière, partie sur les traces du disparu en lui laissant leur fille alors âgée de deux ans, et disparue à son tour.
Construit sur plusieurs échelles de temps, le film suit majoritairement la quête pour ne pas dire l’errance de Nayola à travers un pays à feu et à sang, rongé par les mines, les bombardements, les assauts, les glissements de terrain, la famine, les bêtes sauvages… On la voit poser des mines comme d’autres planteraient des graines, échapper à une hyène affamée dans des ruines, cogner la tête d’un homme contre des pierres pour venir en aide à une mère qui tente de récupérer un sac de nourriture et prend une balle, son bébé survivant accroché dans le dos…
« On ne revient pas de la guerre », lâche Nayola, prévenant que l’enjeu du film n’est son dénouement pour cette famille déchirée mais les tableaux que les trajectoires des personnages font se dresser à leurs passages. La cité urbaine, pauvre et surveillée de Yara. L’intérieur caverne mais relativement protégé de la grand-mère recluse, les paysages aussi dévastés qu’enivrants que Nayola découvre, dépassant une girafe, ou apprivoisant un chacal qui ne la quittera plus.
Des couleurs mouvantes comme des flammes
Les couleurs, peintes, pleines, jetées oranges et rouges sur des ciels nocturnes ou des déserts, se mêlent, mouvantes comme des flammes. La nature crie la vie et le rêve à travers l’arbre Mayambé, le détachement des animaux ou l’oasis-styx, quand les hommes, fragiles, aux visages quasi difformes, tombent sans mot dire.
D’autres images s’intercalent : des silhouettes au trait noir, moins précis, à peine remplies d’une couleur unique, rouge sombre, presqu’inachevées, quand Nayola rêve de sa vie d’avant avec son mari et son enfant ; mais aussi des photos ou des extraits vidéos réels pour dresser des passerelles avec la guerre hors fiction, au-delà du champ, en noir et blanc.
La guerre d’Angola pour l’indépendance en 1995, et la guerre civile en 2011, forment l’arrière plan des différentes étapes du film, mais leurs déroulés et leurs fondements sont à peine évoqués. Comprennent ceux qui connaissent, les autres iront s’informer. Ces guerres sont à la fois particulières à l’Angola, et universelles en ce qu’elles disent de la disparition, du manque, de la séparation, de la colère et du désespoir.
L’esprit de résistance de la jeune Yara agit sur le désenchantement. Mais c’est du côté des couleurs que l’œil va chercher de la chaleur, et du côté de la langue que l’oreille va puiser du réconfort : le portugais d’angolais chante et danse comme du brésilien antillais, rond et chaud. Les voix des comédiennes sont d’une douceur qui contrastent avec l’opacité de leurs regards.
Et ce masque de chacal que porte Nayola, expérience chamanique ou carnaval, dit sa métamorphose comme un échappatoire, un peu magique. Nayola apparaît comme on réapparait, sous une autre forme, jaillie du néant, comme convoquée par sa fille lisant son journal à elle à haute voix, la réclamant, pour continuer à grandir, avec ses ombres qui l’accompagnent.
I. M.
* Ça n’est pas tant une question de limite d’âge que de niveau d’information et de capacité à prendre de la distance, même pour des lycéens.
Nayola, film portugais, belge, français (1h23) de José Miguel Ribeiro, scénario de Virgilio Almeida, d’après la pièce « A Caixa Preta » de José Eduardo Agualusa et Mia Couto. Avec les voix de Elisângela Kadina Rita, Marinela Furtado Veloso, Vitória Adelino Dias Soares.
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