Molière : le Dandin qui ne voulait pas être dindon
George Dandin ou le Mari confondu, cinquième des neuf comédies-ballets que Molière a composées avec Lully, est mise en scène et interprétée à l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet par Michel Fau. Onze musiciens accompagnent les comédiens sur une scène où l’on rit beaucoup.
Par Philippe Leclercq, professeur de lettres et critique
George Dandin ou le Mari confondu, cinquième des neuf comédies-ballets que Molière a composées avec Lully, est mise en scène et interprétée à l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet par Michel Fau. Onze musiciens accompagnent les comédiens sur une scène où l’on rit beaucoup.
Par Philippe Leclercq, professeur de lettres et critique
« George Dandin, George Dandin, vous avez fait une sottise la plus grande du monde. » Le dandin en question, paysan enrichi, a bien de quoi s’adresser cet amer reproche. Pour s’élever socialement, celui-ci a eu l’idée saugrenue de prendre pour femme Angélique de Sotenville, la fille d’un nobliau désargenté. Or, la jeune épousée, fort marrie d’avoir été « achetée » par ce fat, non seulement ne l’aime pas, mais lui préfère Clitandre, un damoiseau de son goût. Dandin, qui ne veut pas être dindon de l’idylle, tente de confondre les amants et de les dénoncer auprès des Sotenville, père et mère. En vain…
Éloge de la liberté féminine
George Dandin ou le Mari confondu, cinquième des neuf comédies-ballets que Molière composa avec l’autre « Baptiste » (Lully) à la musique, fut donnée en 1668 à l’occasion du « grand divertissement royal » offert par Louis XIV à Versailles, pour célébrer la paix d’Aix-la-Chapelle conclue avec l’Espagne. Il s’agit d’une satire du mariage inspirée de la culture médiévale. Les trois actes de la farce s’enchâssent dans les intermèdes d’une pastorale musicale, avec chœur (réduit à un quatuor) de bergers et bergères, idéalisant tour à tour la noblesse de cœur et la fidélité en amour. Davantage qu’une gracieuse illustration, ces parenthèses (en)chantées, chamarrées des somptueux costumes de Christian Lacroix, composent un contrepoint à la pitoyable histoire de Dandin qui, pour avoir voulu se grandir, connaît une lente descente aux enfers. Car, en plus de n’être cru par personne, l’infortuné personnage est ridiculisé par tous. Par Monsieur de Sotenville (irrésistible Philippe Girard à la folle perruque et belle élocution) et son épouse (Anne-Guersande Ledoux), qui l’écrasent de leur noble morgue ; par les amoureux roués qui se jouent de sa naïveté ; par le couple ancillaire, Lubin (Florent Hu), rude paysan tout juste sorti de la commedia dell’arte, au service de Clitandre (Armel Cazedepats), et Claudine (Nathalie Savary), tranchante suivante d’Angélique (Alka Balbir), qui mène la danse et favorise l’adultère.
Bien que dotée d’un dénouement peu moral où la tromperie l’emporte, la pièce accorde une belle tribune à Angélique, passionaria avant-gardiste du féminisme qui, du haut de son donjon-prison, revendique sa liberté d’aimer et s’insurge contre les méfaits du mariage arrangé. Éloge de l’émancipation des femmes, critique des maris jaloux, satire des préjugés sociaux, les thèmes de cette plaisante fantaisie baroque se font écho et se renforcent les uns les autres ; ils musclent le comique dont le ressort s’appuie autant sur les contrastes de genre que sur les jeux de registres langagiers.
Tragi-comédie
Le comédien et metteur en scène Michel Fau joue un Dandin d’abord outré de son infortune, puis plaintif face à la résistance du sort, pour finir complètement écrasé sur scène, à genou, au pied de sa propre maison. Le décor, dont les côtés escamotables laissent régulièrement place aux onze musiciens dirigés par le claveciniste Gaétan Jarry, est fabuleux, comme sorti d’un conte cauchemardesque. Un enchevêtrement de lianes enserre la porte d’entrée de la demeure de Dandin ; au-dessus, là même où résident les Sotenville que celui-là interpelle régulièrement d’en bas, un balcon circulaire, surmonté d’une tourelle couronnée de crochets comme des épines, d’où sort par intervalles la belle et piquante Angélique. La verticalité de la structure a valeur symbolique de baromètre social et donne lieu à de belles scènes de pantomime tant le rythme imposé par Michel Fau à sa mise en scène est par instants ralenti, figé dans des gestes de stupeur ou d’épouvante grandiloquente. L’expressionnisme du dispositif, accentué par une savante lumière latérale et un éclairage de bord de scène creusant les ombres, laisse poindre le tragique de la farce que le protagoniste appelle de ses vœux. Ses cheveux rouges ramènent aux cuisantes douleurs de l’enfance ; son maquillage blafard et sa grande tunique blanche parachèvent son profil christique. Pour autant, l’on rit beaucoup au cours de ce spectacle d’exception, restitué avec sa partition originale et instruments d’époque. Celui qui était tout près à « s’aller jeter dans l’eau la tête la première » finira, à l’invitation du bon chœur de bergers célébrant l’union d’Éros et de Bacchus, par préférer noyer son dépit dans le vin.
P. L.
Jusqu’au 29 mai à L’Athénée Théâtre Louis-Jouvet, à Paris. Puis en tournée : les 1er et 2 juin à la Scène nationale de Chambéry ; le 9 juin au Konzert Theater à Bern (Suisse), les 14 au 17 au théâtre de Caen, le 24 juin au théâtre antique d’Arles, les 23 au 25 septembre à l’Opéra royal de Versailles.
Texte : Molière • Musique : Lully • Mise en scène : Michel Fau • Direction musicale : Gaétan Jarry.
Avec : Angélique : Alka Balbir • Clitandre : Armel Cazedepats • George Dandin : Michel Fau • Monsieur de Sotenville : Philippe Girard • Lubin : Florent Hu • Madame de Sotenville : Anne-Guersande Ledoux • Claudine : Nathalie Savary.
4 chanteurs en alternance • Soprano, en alternance : Cécile Achille, Caroline Arnaud, Juliette Perret, Virginie Thomas • Ténor : David Ghilardi, en alternance avec François-Olivier Jean • Baryton : Virgile Ancely, en alternance avec David Witczak, Cyril Costanzo.
8 musiciens en alternance : Ensemble Marguerite Louise • Clavecin et Direction : Gaétan Jarry • Dessus de violon : Liv Heym, Patrick Oliva, Emmanuel Resche-Caserta, Tami Troman • Violon 2 : David Rabinovici, Sandrine Dupé • Alto : Camille Aubret, Satryo Yudomartono, Patrick Oliva, Maialen Loth • Flûte : Julien Martin, Victoire Fellonneau, Sébastien Marq • Viole : Robin Pharo, Marion Martineau, Marie-Suzanne de Loye, Ondine Lacorne-Herbrard • Basson : Stéphane Tamby, Évolène Kiener • Théorbe : Romain Falik, Étienne Galletier, Marco Horvat, Léo Brunet.
L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.