"Ma guerre d'Espagne. Brigades internationales : la fin d'un mythe", de Sygmunt Stein
En 1956, on sait tout des crimes de Staline. Certains mythes pourtant ont la peau dure, et celui des Brigades Internationales est de ceux-là.
Sygmunt Stein, qui vit à Paris depuis l’après-guerre, écrit son histoire en yiddish. Militant communiste né en Galicie, il s’est engagé très tôt contre les fascistes, en Espagne. Et très vite il a compris ce qu’il en était.
Écrire ce livre en 1956 dans une Europe coupée en deux, avec un Parti communiste français tout-puissant, ne va pas de soi. Et, à lire Stein, on comprend pourquoi tant d’années se sont écoulées..
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L’histoire d’une trahison
C’est donc l’histoire d’une trahison, l’histoire de déchirures et de songes fracassés. Ce n’est ni la première ni la seule, et sur l’engagement communiste, sur les illusions perdues, on lira avec profit 7000 jours en Sibérie, de Karlo Stajner (Gallimard, “Témoins”, 1981). Le sort des Républicains espagnols à leur arrivée à Odessa est éloquent. Le récit de Stein l’est tout autant et, si l’on a quelques objections à faire à son récit, la postface de Jean-Jacques Marie les remet aussitôt en perspective.
Le parcours de Stein est exemplaire. Né en Pologne, il rompt avec son milieu d’origine, profondément conservateur, pratiquant. Il ne garde du judaïsme que la langue yiddish et l’espoir de fonder un État que Staline a accordé à sa minorité juive : le Birobidjan. Stein milite pour ce territoire autonome qui ne sera qu’une chimère balayée par les vents, terre stérile, sans ressources économiques.
Cela dure peu, le temps pour Staline d’identifier tous ceux qu’il exécutera avant ou après la guerre, dans des purges fortement teintées d’antisémitisme. Stein reste un militant modèle, part en Tchécoslovaquie, puis en Espagne, lorsque la guerre commence. L’accueil que les brigades reçoivent à Barcelone est aussi chaleureux qu’enthousiaste. La révolution espagnole semble en marche. Cela ne durera pas ; quand il revient des mois après dans la capitale catalane, Stein doit éviter de se montrer dans l’uniforme des brigadistes. Entretemps, les militants du POUM et ceux de la CNT ont subi les assauts des miliciens staliniens.
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L’arrière et le front
Stein ignore cette haine quand il arrive à Albacete. Il ne tarde pas à apprendre et à comprendre. Nommé commissaire politique chargé de la culture, en raison de sa connaissance des langues d’Europe centrale, il voit tout. D’abord ce qui sépare les combattants idéalistes qui partent sur le front, la fleur au fusil (qu’ils n’ont pas toujours), qui meurent pour la République, et les apparatchiks qui profitent de la situation.
Autour de Marty, le commandant local nommé par le Parti communiste, on fait la fête, voire plus. La description d’une orgie donne une idée de l’atmosphère qui règne à l’arrière, tandis que les insuffisances de la logistique et le manque de coordination livrent les brigadistes aux balles et aux bombes nazis, fascistes ou franquistes.
La plume de Stein est vive, on lit ses chapitres sans désemparer, comme un roman d’aventures hélas authentiques. L’héritage de Dumas et des autres auteurs populaires est sensible et on s’en voudrait de l’oublier.
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Crimes staliniens
Le pire n’est pas là. Les brigadistes subissent en plein la paranoïa stalinienne. Le soupçon est général, la peur règne, on parle à demi-mots ou pas du tout. Les Juifs, très nombreux dans les diverses brigades, taisent leurs origines, par crainte d’un antisémitisme vivace. Et puis il y a les crimes. On interroge et on torture des combattants fidèles, on exécute des soldats, on réprime à tout va.
Ce qui se passe en Union soviétique trouve son reflet dans ces terres du sud. À l’origine de ces crimes, des hommes comme Marty, le « boucher des Asturies » ou un certain général Gomez, une ganache peu visible, mais dont la cruauté est relayée par quelques sbires et petites frappes dont les idéaux révolutionnaires se discutent… Parmi les brigadistes, certains avaient un casier judiciaire bien rempli. On les conservait ; les droits communs sont utiles face aux rêveurs trop intègres…
“La Révolution trahie”, c’était un titre de Trotski (nom honni), mais c’est aussi ce que donne à lire Stein. La propagande soviétique vante les livraisons d’armes, la flotte aérienne qui soutient la République, omettant de dire que les fusils ont vécu le tsarisme et que les pilotes soviétiques ont interdiction de fréquenter leurs hôtes espagnols.
Oublions d’ailleurs les relations avec ce peuple qui souffre ; l’abandon qu’il subit est total. Jusqu’en 1975, sa solitude, le sera autant. Comme l’écrit Stein, rien n’assure que Staline voulait d’une République démocratique et progressiste en Espagne.
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La fin d’une espérance
Le récit de Stein est aussi l’histoire d’une solitude. Dans une très belle notice biographique, sa fille rappelle qui il était, ce qu’il a vécu ensuite et combien il a été seul.
Rentrant d’Espagne, il a connu la Seconde guerre mondiale. Il a pu se réfugier en Suisse, chance rare, survivre et écrire. Mais en le lisant, on songe aussi à tous ceux qui ont connu Drancy après l’Espagne, et à ceux qui se sont battus dans les FTP MOI d’inspiration communiste.
On imagine le courage qu’il leur a fallu pour croire encore qu’une espérance était possible. Pour Stein, c’était fini.
Norbert Czarny
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• Sygmunt Stein, “Ma guerre d’Espagne. Brigades internationales : la fin d’un mythe”, traduit du yiddish par Marina Alexeeva Antipov, postface de Jean-Jacques Marie, Éditions du Seuil, 2012.
• André Malraux et la guerre d’Espagne dans l’École des lettres.