« Loulou, l'incroyable secret », de Grégoire Solotareff : où le loup est l’agneau
Ne pas connaître l’origine des personnages fait souvent le charme des grands albums de la littérature de jeunesse contemporaine, pensons par exemple à deux d’entre eux récemment adaptés au cinéma, Les Trois Brigands de Tomi Ungerer, et Loulou de Grégoire Solotareff.
Si le lecteur « enfant » à l’imagination décuplée s’en délecte c’est d’ailleurs sans doute, pour une bonne part, parce qu’il s’agit d’œuvres délibérément « ouvertes », pour reprendre l’expression d’Umberto Eco.
Authentiques territoires imaginaires, ces albums-là, comme encore Max et les Maximonstres de Maurice Sendak, cultivent un mystère qui a la vertu de ne jamais lasser le questionnement.
Un récit poétique
L’origine des personnages de l’album Les Trois Brigands était déjà explicitée dans l’adaptation cinématographique de 2007. On était naturellement conduit à accepter cette défloration du mystère de l’œuvre originelle tant elle semblait propice à la poétisation du récit.
C’est aussi le cas de l’adaptation des aventures de Loulou (en salles depuis le 18 décembre 2013) dans laquelle s’est impliqué personnellement son auteur, Grégoire Solotareff. On observe bien, pourtant, toute la difficulté à « déplier l’éventail de la métaphore », pour reprendre une expression de Vladimir Nabokov, en répondant dans le développement du scénario aux questions du lecteur-enfant : d’où vient ce loup si tendre qui se plaît tant au farniente en barque et en la compagnie de son meilleur ami, Tom, le lapin ?
Les vertus du dialogue
L’art de Solotareff reste d’abord visuel. Graphiquement, le film se révèle d’une rare beauté, mettant en perspective l’opposition des « mondes » et des « natures » au sein desquels devra se mouvoir l’intrépide Loulou.
À ce titre, comme le souligne l’intrusion du personnage dans la galerie des portraits de l’immonde Lou-Andrea, représentant exclusivement la figure d’un loup dominateur et prédateur – comme dans l’album d’Yvan Pommaux, John Chatterton détective –, Solotareff dévoile ses sources picturales et narratives.
Et c’est bien là toute la réussite de ce film que de parvenir à faire se croiser les références littéraires, graphiques, historiques, en ne jouant pas sur la seule veine parodique, comme dans les films d’animation du type Shrek. Combler l’« ellipse » initiale de l’album permet de développer une personnalité romanesque complexe qui plaira aux adultes et restera néanmoins toujours aussi attachante pour les enfants.
Grégoire Solotareff, artiste complet, parvient à construire un film avant tout destiné aux enfants qui interroge comme rarement le rapport à l’identité individuelle et collective d’un être qui n’est pas passé loin de devenir un loup pour les « sans-crocs » et un loup pour lui-même.
Antony Soron
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• Le dossier pédagogique du film.
• “Loulou, l’incroyable secret” sur France Culture.
• Tous les albums de Grégoire Solotareff à l’école des loisirs.
• Trois entretiens vidéo avec Grégoire Solotareff.
• Le site de Grégoire Solotareff.
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