Littérature et spiritualité en Bretagne
En ces temps où certains médias se plaisent à voir une revendication identitaire dans les manifestations de « bonnets rouges », nous recommanderions volontiers la lecture de Littérature et spiritualité en Bretagne, actes d’un colloque qui s’est tenu à l’institut catholique de Rennes en 2010.
Jakeza Le Lay, qui a coordonné la composition de l’ouvrage, explique dans sa préface qu’il s’est agi, lors de ce colloque, de cerner l’identité bretonne sous l’angle de « l’une des ses composantes : la spiritualité ». Faut-il dès lors considérer que le christianisme breton serait teinté d’une coloration particulière, générateur d’un imaginaire original ?
Oui, si l’on en croit la préfacière qui remonte aux origines de la christianisation pour défendre sa thèse : « Le christianisme breton, écrit-elle, s’inscrit dans une continuité des cultes anciens. La Bretagne, contrairement à la France, a été évangélisée par des saints gallois, irlandais, autrement dit, celtes. Ce christianisme est monastique, caractérisé notamment par la contemplation, la mortification, la prière (contrairement au christianisme épiscopal – christianisme romain, centré sur l’évêque – dans le reste de la France). »
L’idée est séduisante et peut expliquer la tonalité mélancolique assortie aux nuances de bleus et verts tendant sur le gris des paysages bretons qui colorent les écrits de bien des auteurs évoqués dans ce recueil.
De Chrétien de Troyes à Georges Perros
La distribution des articles suit un ordre chronologique s’intéressant d’abord à la fameuse matière de Bretagne dont Martin Aurell, médiéviste à l’université de Poitiers, nous explique qu’elle est d’abord un « concept métaphysique », « la capacité à recevoir une forme substantielle ». Et c’est cette « capacité » qui expliquerait la manière dont cet ensemble mythologique que constitue la geste arthurienne a pu se teinter de christianisme. Martin Aurell considère notamment le Perceval de Chrétien de Troyes comme un « message de conversion » à l’adresse des chevaliers non encore convertis et montre l’importance de la spiritualité cistercienne et franciscaine sur l’élaboration du cycle romanesque de Chrétien de Troyes.
Ce sont toutefois les écrivains des XIXe et XXe siècles qui occupent la plus grande partie du livre. Chateaubriand, Villiers de l’Isle-Adam, Louis Tiercelin mais aussi Max Jacob, Xavier Gral, Georges Perros.
Chateaubriand
La contribution d’Édouard Guitton interroge la double postulation qui régit la vie, plus que l’œuvre, de Chateaubriand, son inclination pour la sensualité, sa fascination pour la femme – qui donne lieu d’ailleurs à certaine de ses plus belles pages – empêchèrent l’auteur du Génie du christianisme d’embrasser une carrière ecclésiastique. Au-delà de l’anecdote personnelle, l’universitaire s’interroge : « Les passions sont le lot commun de l’humanité : chacun de nous les possède en naissant. Mais les sentiments religieux ? »
Un psychanalyste jungien lui aurait répondu qu’il en va de même de la religion et montrerait sans doute que la contradiction n’est qu’apparente dans la mesure où c’est l’archétype féminin qui mène à la véritable foi. Le lecteur, lui, regrettera qu’il n’ait pas davantage été question de ces deux textes majeurs que sont le Génie du christianisme et La Vie de Rancé et de leur dimension spirituelle.
Les Parnassiens bretons
Jakeza Le Lay, dans sa contribution personnelle, signale l’importance d’un mouvement bien ignoré des histoires littéraires et qui pourtant, dans l’ombre du Parnasse officiel exerça en Bretagne et, même au niveau national, une influence profonde, le mouvement des Parnassiens bretons, sous la tutelle de Louis Tiercelin. Au moment où Ernest Renan interroge le concept de nationalité, les Parnassiens bretons conçoivent l’identité bretonne à l’aune de ses manifestations spirituelles : « Loin de l’analyse intellectuelle, le peuple a confiance en ses ancêtres, ses saints : un chemin jalonné de chapelles et de calvaires rassure et confirme au quotidien sa croyance devenue infaillible tant elle est vécue… »
Jakeza Le Lay montre que Tiercelin chercha l’appui et le soutien de Leconte de Lisle. Les écrits qu’elle cite montrent indéniablement que les Parnassiens bretons, comme leurs confrères, eurent le souci de la forme. Les manifestations de spiritualité qu’elle relève dans leurs écrits sont conformes aux tableaux exotiques qu’on s’attend à trouver dans les Poèmes Barbares ou dans les Trophées. Mais furent-ils influencés comme Leconte de Lisle par les traductions de la Baghavad Gita ou par les spiritualités orientales ? C’est ce que la nécessaire brièveté de cette intervention pourtant passionnante ne permet pas de savoir.
Gilles Baudry, moine-poète cistercien
De l’enthousiasme kérigmatique de Max Jacob qui se choisit pour parrain Picasso à la « Bretagne intérieure » de Georges Perros, la péninsule bretonne entretient, tout au long du XXe siècle, et malgré l’affaiblissement de la pratique religieuse, une spiritualité d’obédience catholique. Et parmi les contributions les plus pertinentes de ce livre on retiendra celle du moine-poète Gilles Baudry, cistercien à l’abbaye de Landévennec.
Nourri de lectures poétiques et philosophiques, Gilles Baudry affirme la convergence qui existe entre poésie et prière : « Artisan des mots et serviteur de la Parole, je ne me sens pas tiraillé entre deux postulations. M’habite dans la prière, comme dans le poème, ce sentiment de n’exister que dans l’invocation et la reconnaissance. » Mais l’homme de prière ne rejette jamais l’intellect. Sa réflexion s’épanouit d’ailleurs sous l’égide d’une pensée de Georges Steiner : « Ce qui donne, affirme Steiner dans Langage et silence, la preuve décisive d’une présence transcendante dans la trame du monde, ce sont les frontières du langage délimités comme elles sont par trois codes : lumière, musique et silence. »
Et notre moine-poète de décliner comment sa propre démarche s’inscrit dans l’expérience limite de ces trois codes. Il justifie ainsi une ligne de conduite qui vise à approcher humblement l’essentiel. La parole du poète et l’existence du moine délivrent un témoignage vivant et dessinent dans ce siècle adonné au divertissement pascalien la possibilité d’un cheminement spirituel authentique.
Le poète Gilles Baudry fait partie de ces romantiques dont Armel Guerne fait l’éloge dans L’Âme insurgée, les Hölderlin, Novalis, Keats, Nerval pour qui la poésie ne fut pas simple jeu sur les mots ou exercice de virtuosité verbale mais moyen d’une quête existentielle qui les portait à vivre leur vie dans l’incandescence de l’ouverture au monde ainsi qu’à Dieu.
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Littérature et spiritualité en Bretagne fera sûrement moins recette que les bonnets rouges d’Armor Luxe. L’ouvrage enquête néanmoins sur une composante autrement plus probante de l’âme bretonne que cet entêtement réfractaire et bonhomme dont on voudrait nous faire croire qu’il est une vertu. Si l’âme bretonne existe, elle est certainement plus complexe que ne le laissent à penser les commentaires un brin condescendants de certains journalistes parisiens sur les manifestations de ces derniers jours.
Stéphane Labbe
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• « Littérature et spiritualité en Bretagne », ouvrage collectif sous la direction de Jakeza Le Lay, L’Harmattan, 2013.
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• Chrétien de Troyes dans la collection « Classiques abrégés » :
Yvain ou le chevalier au lion,
Perceval ou le Conte du Graal.
• Les Mémoires d’outre-tombe, de Chateaubriand, dans la collection « Classiques abrégés ».
• Chrétien de Troyes et Chateaubriand dans les Archives de l’École des lettres.
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