"L'importance d'être Constant", d'Oscar Wilde, traduit par Charles Dantzig
L’Importance d’être Constant est sans doute la plus subtile des comédies d’Oscar Wilde et la nouvelle traduction de Charles Dantzig lui rend indéniablement justice, restituant l’élégance des dialogues et la force jubilatoire des bons mots.
Jack Worthing et Algernon Moncrieff, deux jeunes dandies londoniens, sont tous les deux des adeptes du « bunburyisme ». Le néologisme est d’Algernon qui s’est inventé un ami souffreteux, un certain Bunbury, dont les maladies lui offrent opportunément l’occasion d’échapper aux obligations mondaines qu’il juge assommantes.
Si Jack est amoureux de Gwendolen, la cousine d’Algernon, Algernon ne va pas tarder à tomber amoureux de Cecily, la pupille d’Algernon. Dans ce chassé-croisé amoureux, Wilde s’éloigne des schémas dramatiques éprouvés qu’il a jusqu’alors expérimentés pour renouer avec la tradition de la comédie shakespearienne.
Wilde est mort tué par les hypocrites
La pièce, jouée en 1895 est un festival de mots d’esprits de réparties saillantes, de situations cocasses et de coups de théâtre maîtrisés. Il faut dire que 1895 est, pour Oscar Wilde, l’année de tous les triomphes mais aussi celle de sa chute, et Charles Dantzig, dans une préface utilement militante, nous explique comment l’auteur, au faîte de sa gloire, fut aussi la victime d’une cabale de médiocres haineux et bien-pensants : « Wilde est mort épuisé, stérile, malheureux. Il avait été tué par les hypocrites. »
Les hypocrites, ce furent en premier lieu les acteurs du drame, le marquis de Queensbury et son fils, le « Bosie » d’Oscar dont Dantzig souligne la perfidie. Ce sont plus généralement tous les tenants d’une société victorienne qui ne pardonne pas à l’auteur du Portrait de Dorian Gray, ses railleries spirituelles, ses impertinences salvatrices, en un mot l’insolence de son talent.
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La “première Gay Pride”
La thèse de Charles Dantzig serait que l’on voulut, entre autre, faire payer à Wilde, les audaces de sa pièce : « Si la première Gay Pride, et c’est bien ce qu’on a voulu casser dans Wilde pour l’embouer dans la honte. […] n’avait été précisément, L’Importance d’être constant, cette moquerie des rapports hétérosexuels. Affectueuse, mais moquerie. » Et de montrer ensuite comment la pièce peut se lire comme une pièce codée à l’usage des gays.
Une allusion, par exemple, faite par l’un des personnages à une certaine lady Bloxham, renvoie à John Francis Bloxam, auteur qui, avant de devenir prêtre anglican, avait fait scandale en publiant une nouvelle sur le thème de l’homosexualité. Le préfacier se plaît à l’imaginer, au lendemain de la première guerre mondiale, durant laquelle il se comporta de manière héroïque, en personnage de roman méditant sur le sort du pauvre Oscar Wilde :
« Cet homme est devenu l’écrivain dont on n’ose pas dire le nom. Cela cessera-t-il un jour ? Et si cela cesse, verra-t-on ultérieurement renaître des temps haineux qui réprouveront de nouveau sa mémoire ? »
Mais aujourd’hui, et dans nos classes ?
Une loi récente nous autorise à penser que nous avons dépassé ces temps où la mémoire se devait d’occulter le nom d’Oscar Wilde. Mais, comme le signifiait Bertolt Brecht, « Le ventre est encore fécond… », et, si je peux me permettre, je rappellerai une anecdote personnelle.
Je me souviens, c’était il y a une quinzaine d’année, d’une collègue qui fut inquiétée par des parents d’élèves pour avoir voulu faire étudier en classe de sixième Le Fantôme des Canterville. Non que les-dits parents eussent quoique ce fût à reprocher à l’opus, il suffisait à leurs yeux que l’auteur en fût Oscar Wilde. Ma collègue a fait étudier le livre mais on accorda à l’élève dont les parents s’insurgeaient le droit de ne pas assister au cours de français pendant les trois semaines que duraient cette étude.
Je ne sais plus qui est l’enfant concerné, je me demande simplement ce qu’il est devenu. Et je lui souhaite, maintenant qu’il a dépassé depuis quelque temps déjà l’âge de sa majorité, de lire avec profit Le Portrait de Dorian Gray et L’Importance d’être Constant.
Stéphane Labbe
• Le “Portrait de Dorian Gray” est disponible, dans une traduction nouvelle de Boris Moissard, dans la collection « Classiques abrégés ».
• L’étude du Portrait de Dorian Gray, dans les Archives de “l’École des lettres”.
• Charles Dantzig sur le site de “l’École des lettres” : À propos des chefs-d’œuvre, Pourquoi lire ?.