"L'Hôtel du libre échange", de Georges Feydeau
Le XIXe siècle est aussi bien l’inventeur du théâtre de lecteurs, le théâtre (à lire) dans un fauteuil des romantiques, que du théâtre d’acteurs : le théâtre à voir absolument sur scène, théâtre des vaudevillistes dont le succès croissant accompagna sous le Second Empire et la IIIe République l’ouverture effréné de salles de spectacle.
La version de L’Hôtel du libre échange offerte par la Comédie-Française dans une mise en scène d’Isabelle Nanty retrouve ces qualités de jubilation, de plaisir et de récréation pure qui firent les beaux jours de cette pièce couronnant Feydeau en 1894.
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Un tempo musical qui ne souffre aucune longueur
Soin des décors et de la mise en scène, acteurs au meilleur de leur forme, feu d’artifice de bons mots et de répliques spirituelles, tout concourt à soutenir le comique inhérent au vaudeville, dans un tempo musical qui ne souffre aucune longueur.
.On connaissait l’ironie dramatique, ce savoir du spectateur anticipant le savoir du personnage, il faudrait parler pour le vaudeville de jubilation dramatique : ce genre en effet manie l’art de nous faire deviner les situations impossibles dans lesquels les personnages vont se jeter. On en rit d’avance, et lorsque la situation arrive, lorsque l’obstacle semble incontournable, le plaisir est redoublé par la manière dont les personnages échappent au pire.
Ainsi tous ces gens qui cherchent à s’éviter, mari et femme en quête d’amour, jeune homme en quête d’expérience, ami chassé en quête d’un toit pour la nuit, expert appelé pour des fantômes, tous se retrouvent à L’Hôtel du libre échange, s’aperçoivent et s’évitent, se méprennent et s’ignorent, se jouent à eux-mêmes la comédie. La force comique emporte la vraisemblance, l’incongruité de caractère se marie à l’intrigue : l’ami bègue – seulement quand il pleut –, le commissaire très peu physionomiste, l’épouse plutôt laide accompagnent le choix d’un hôtel borgne, les mésaventures d’un fiacre ou l’encombrante arrivée d’un ami.
C’est le propre du vaudeville de parvenir à une telle saturation d’effets comiques, ici accentués par le jeu de Christian Hecq, bien connu pour son expressivité corporelle, celui de Michel Vuillermoz efficace dans ses airs et ses intonations, tout comme celui d’Anne Kessler, irrésistible dans son malheur, et de toute la troupe, jusqu’aux jeunes comédiennes de l’Académie.
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Le vaudeville, aujourd’hui comme hier
Le théâtre appartient au spectacle vivant. Le texte peut paraître vieilli, le couple bourgeois peut sembler ne rien avoir à nous dire, les clichés sont probablement légion, mais sur scène le vaudeville fonctionne aujourd’hui comme hier. Le comique est une affaire de mécanique, de savoir-faire codifié auquel nul n’est insensible.
Extraordinaire concert de rires à la Comédie-Française dans un public pourtant mêlé, accordant jeunes et moins jeunes, groupes scolaires variées, classes sociales hétérogènes. C’est sans doute dans cette réunion des différences qu’une scène nationale répond au plus profond de sa mission.
Plus que jamais l’étude du théâtre en classe doit passer par des sorties au théâtre, une rencontre des acteurs et de tout ce monde, techniciens, plasticiens, scénographes, qui participent à l’élaboration d’un spectacle.
Pascal Caglar