L’Horizon, d’Émilie Carpentier :
regarder plus loin
Quel avenir pour des jeunes qui vivent en banlieue, étranglés par une école pas toujours bienveillante, des grands projets de complexes commerciaux, des violences policières et la crise écologique ? Dans ce premier long métrage, Émilie Carpentier évite naturalisme et présupposés sociaux pour se placer sur le terrain de la lutte contre l’effondrement.
Par Philippe Leclercq, professeur de lettres et critique
Quel avenir pour des jeunes qui vivent en banlieue, étranglés par une école pas toujours bienveillante, des grands projets de complexes commerciaux, des violences policières et la crise écologique ? Dans ce premier long métrage, Émilie Carpentier évite naturalisme et présupposés sociaux pour se placer sur le terrain de la lutte contre l’effondrement.
Par Philippe Leclercq, professeur de lettres et critique
Pour nombre de ceux que l’on appelle les jeunes de banlieue, l’horizon ressemble plus souvent à la ligne d’une barre d’immeuble qu’à la perspective d’un avenir prometteur. La vue ne dépasse guère les limites d’un paysage obstrué par des empêchements nourris par le milieu ou des vents contraires poussant au repli. Comment déjouer les déterminismes ? Vers où et qui aller ? Comment tracer sa propre voie ?
Difficile pour Adja (Tracy Gotoas), 18 ans, qui peine à trouver sa place dans un espace saturé par la réussite de son grand frère footballeur, Tawfiq (Mahamadou Dembélé), et face à une école qui lui refuse l’orientation de son choix dans les métiers de la petite enfance. Doit-elle suivre l’exemple sa tapageuse meilleure copine, Sabira (Niia Hall), influenceuse sur les réseaux, ou se résigner à un sort d’aide-soignante en Ehpad ?
Adja semble prise au piège de trajectoires enchevêtrées qui, toutes, semblent conduire à une impasse. Seul un accident peut infléchir sa destinée. C’est alors qu’elle rencontre Arthur (Sylvain Le Gall), un camarade de classe dont elle va s’éprendre. Le jeune homme, fils de paysan par son père, milite dans une ZAD (zone à défendre), située à la lisière de la ville, contre le projet de « Dream City », un vaste complexe de loisirs dont l’implantation menace de précieuses terres d’élevage. Celui-ci évoque, dans la réalité, le projet EuropaCity, près de Gonesse dans le Val d’Oise. Un jour, alors qu’elle accompagne Arthur sur les lieux d’une manifestation, Adja est témoin de violences policières qui l’incitent à se rapprocher du groupe de résistance écologique…
Voir plus loin
S’il évite les tics naturalistes propres à la plupart des films de banlieue, L’Horizon, le premier long-métrage d’Émilie Carpentier, esquive également les présupposés sociologiques (violence, délinquance, etc.) pour se déplacer sur le terrain inattendu de l’écologie en péril. Des images d’un village côtier, envahi par les eaux, que la mère d’Adja envoie à sa fille lors d’un séjour au Sénégal, servent vite de contrepoint au récit « de quartier ».
Hors les murs de la cité, quelque chose s’effondre, qui pousse le scénario à porter le regard plus loin, dans le lointain d’une urgence écologique qui redéfinit les contours de la fiction. Deux motifs esthétiques en indiquent la direction : des plans aériens sur la banlieue parisienne et des empreintes de tracteur dans les champs comme possibles lignes de fuite aux limites des lieux et des idées.
La bifurcation scénaristique accompagne l’émancipation de la jeune héroïne, marquée non tant par son accession à la majorité que par sa première participation à la manifestation des zadistes. Là, les prises de parole se succèdent. La légitimité des discours fait sens. La brutalité policière fait le reste.
Cette expérience est fondatrice : elle forme son regard sur la réalité qui l’entoure, sur les fausses richesses après lesquelles courent son frère et sa camarade Sabira. Et dont elle s’éloigne.
Son entrée en dissidence n’obéit pas pour autant au projet écologique de son ami Arthur dont la greffe sur le tronc principal du récit peine à convaincre, mais plutôt à un affranchissement des règles familiales et sociales.
Adja se libère des injonctions de la société de consommation et de son devoir d’exemplarité, auquel voudrait la ramener un policier du quartier pour ne pas ternir le succès de son frère, un exemple dans la cité. En passant du béton à la terre, la jeune femme entame un voyage à rebours de celui effectué dans le passé par ses parents. Elle sort des rails de la soumission et, le poing fermé, entrouvre les yeux sur un nouvel horizon.
P. L.
L’Horizon, film français d’Émilie Carpentier (1h25), avec Tracy Gotoas, Sylvain Le Gall, Niia Hall, Clémence Boisnard, Mahamadou Dembélé, Slimane Dazi.