Entre 2009 et 2015, Les Pozzis a fait l’objet d’une publication en dix volumes distincts, tous illustrés par Alan Mets.
Brigitte Smadja a judicieusement remanié ce cycle romanesque pour sa publication en un seul volume dans la collection « Neuf », « Roman junior » de l’école des loisirs.
L’occasion pour nous de revenir sur une aventure littéraire aussi attachante qu’originale dans l’œuvre de Brigitte Smadja, une fantasy joyeuse et grave à la fois.
[Capone explique à Abel comment s’y prendre pour changer de robe.] « – […] Ferme les yeux et choisis une couleur et un dessin, de toutes tes forces. Attention, une seule couleur et un seul dessin. Si tu penses à trop de couleurs en même temps, ça ne marche pas. Tu comprends ? Abel ferme les yeux, se concentre, voit défiler des dizaines de couleurs, mais il veut du bleu turquoise et il pense à ses fleurs préférées. Lorsqu’il ouvre les yeux, miracle, sa robe est devenue exactement comme il le souhaitait. »
« Même quand ils sont très occupés, il arrive parfois aux Pozzis de s’arrêter de travailler pour faire une petite promenade, pour jouer à saute-lacs ou au badminton avec leurs boulettes-rectangle ou pour s’arroser grâce à leurs flutes-arrosoirs. Pour un Pozzi, travailler et s’amuser, c’est un peu la même chose. L’essentiel, c’est que le soir, le marais redevienne beau et propre, que les ponts soient en bon état et qu’il y ait suffisamment de poudres pour l’alimentation, la peinture et la médecine. »
De même que les livres de la Bible s’ancrent dans la Genèse, de même que la lamentable destinée des Atrides se comprend à partir du premier ancêtre, Pélops, le cycle des Pozzis s’origine dans un récit fondateur, dont les clés sont données au chapitre 10.
Au commencement du monde, donc, il y a un pays merveilleux, où toutes les créatures vivent en paix et en bonne intelligence.
Épisode 1 « Pendant au moins mille ans, et peut-être plus, dans la grande et verte forêt du Lailleurs, les Lailleuriens se régalaient de baies rouges délicieuses, mangeaient de l’herbe, des feuilles et de la mousse, croquaient des graines à longueur de journée. Jamais ils n’auraient eu l’idée de manger un serpent-enrouleur, un allinosaure ou une fourmi géante. Les allinosaures devinrent même leurs compagnons de jeux. Lorsqu’un Lailleurien naissait, c’était l’occasion d’une cérémonie grandiose qui durait toute la nuit. Les dzwycks, ces grands oiseaux blancs aux yeux verts et au bec doré, tournoyaient au-dessus d’eux, comme des anges protecteurs. Et les années passaient, tranquilles et joyeuses. »
Les Pozzis, chapitre 10.
Mais un vent glacé venu de nulle part vient compromettre cet équilibre et chasser les hommes du paradis premier. Pendant cet âge glaciaire, les Lailleuriens, « faméliques, grelottants, pass[ent] leur vie à errer en quête d’une graine, d’une racine, d’un peu d’eau ».
« Pourtant, toutes ces misères ne les empêchaient pas de s’aimer et de faire des bébés sur lesquels ils veillaient du mieux qu’ils pouvaient. » C’est ainsi que Bronght et Nour, deux frères, tombent tous deux amoureux de Thessa : celle-ci choisit Nour, le cadet. Bronght est furieux : il souhaite la mort de son frère, la mort de Thessa, la mort de Pozzi, leur bébé nouveau-né. Un volcan surgit dans le paysage glacé et désolé : mais c’est une chaleur mauvaise et, de même que Caïn tua Abel, Bronght blesse mortellement son frère et tue l’allinosaure qui était le compagnon de Nour ; la chair de l’allinosaure est dévorée par Bronght et ses partisans, en un festin funeste, transgressif et fondateur :
« Quand il eut fini de ronger les derniers os, Bronght grimpa le plus haut possible sur le cratère de feu et devant tous ceux qui l’acclamaient et réclamaient d’autres festins, il déclara : – Ceux qui ne sont pas avec moi, sont contre moi [2]. Ceux qui sont avec moi s’appelleront les Bronght. Ils vivront ici, autour du cratère, ils porteront des masques de guerre et se peindront une corne verte ! Ceux qui ont suivi Nour s’appelleront les Nour ! Où qu’ils se cachent, nous les pourchasserons ! Les Bronght que ce repas inespéré avait mis en appétit s’inclinèrent devant lui en martelant son nom. Du lichen des arbres, ils firent une boue verte dont ils enduisirent leur corne. Des os de l’allinosaure, ils firent une couronne, la peignirent de cendres noires et la posèrent sur la corne verte de Bronght devenu de ce geste leur roi. C’est ainsi que les Lailleuriens se divisèrent en deux peuples : les Bronght et les Nour. »
« À l’écart, debout sur une petite butte, Sylve, une Pozzi d’au moins cent-vingt ans, leur tourne le dos. Son pays a bien changé, surtout depuis l’arrivée de Miel. Les ponts ont pris des formes et des couleurs nouvelles, les papillons bleus ont grandi à force de butiner des fleurs géantes, les robes des Pozzis sont de plus en plus extravagantes. Sylve n’est jamais allée dans le Lailleurs et elle a les changements en horreur. […] Comment Ignace, leur chef aveugle, a-t-il pu tolérer ces réunions quotidiennes, y participer, les encourager, applaudir avec enthousiasme à ces sornettes dangereuses ? »
Les Pozzis, chapitre 10.
Que faire de ces souvenirs rapportés par bribes et morceaux, qui se déforment au fil du temps et de leur transmission orale ?
La solution est trouvée : les Pozzis en font un spectacle, la « Grande Représentation », qui, en dix épisodes, dévide devant le peuple Pozzi réuni – y compris les anciens chefs, présents sous forme de nuages roses – la geste de leur histoire devenue une saga mythique.
« Ainsi s’achève la Grande Représentation » proclame Sylve […] Dans le marais, c’est le délire. Les Pozzis refusent de quitter les gradins, ils font un raffut monstre, réclament un bis, reprennent en chœur le Chant du Retour. Là-haut, les anciens chefs se disputent. […] – À force de raconter leurs aventures, Miel et Miloche finiront par savoir qu’ils sont jumeaux, qu’Antoche est le petit-fils de Krüll, alors tous connaitront le Grand Secret, prévient Solal. – Jamais ils n’auraient dû aller dans le Lailleurs, approuve Tsila. – Ce qui est fait est fait et ne peut être défait, dit Pozzi. Ils étaient obligés d’y aller. Même si Léonce avait fait l’appel le soir de la Spirale, même si Adèle ne s’était jamais perdue dans le Lailleurs, même si Léonce n’avait pas organisé une expédition pour la retrouver, tôt ou tard, Miloche aurait franchi la frontière. Parce qu’on ne peut pas séparer les âmes-frères. Et ça, même la cascade ne pouvait le prévoir. Ignace a fait au mieux. Et n’était-ce pas une merveilleuse histoire ? »
Pourquoi et comment j’ai écrit les Pozzis, par Brigitte Smadja
« Il y a des livres que j’appelle les livres « miraculeux », et ils sont rares. Les Pozzis font incontestablement partie de ceux-là. Je l’ai dit plusieurs fois, parmi la soixantaine de livres que j’ai écrits, ils constituent ma plus belle aventure littéraire. Sans doute parce qu’ils échappent à toute forme de réalisme et qu’ils m’ont permis d’écrire sans souci de vraisemblance, ce dont je ne me croyais pas capable. Mieux encore, j’ai toujours eu l’impression en écrivant ces dix tomes puis en les réécrivant sous la forme d’une aventure en un volume que ce sont les personnages qui m’ont guidée, que l’histoire s’écrivait sans moi, que je n’avais qu’à suivre ces petites bêtes dans leurs aventures et à les écouter. Bien entendu, écrire “n’importe quoi”, par exemple imaginer la vie de drôles de bêtes de vingt centimètres est loin d’être aussi innocent. Et pourtant, il me fallait garder cette innocence (ce non-savoir a priori) pour laisser émerger malgré moi ce que d’aucuns appelleraient l’inconscient, ainsi que d’autres mythes qui continuent à tisser et à nourrir notre imaginaire. Ce que raconte les Pozzis, c’est notre besoin de sens, au-delà de la peur et des questions demeurées sans réponse. Et pour cela, rien ne vaut la fiction, les mythes, le théâtre, le roman, la musique et les chansons. »
Ce site utilise des cookies afin que nous puissions vous fournir la meilleure expérience utilisateur possible. Les informations sur les cookies sont stockées dans votre navigateur et remplissent des fonctions telles que vous reconnaître lorsque vous revenez sur notre site Web et aider notre équipe à comprendre les sections du site que vous trouvez les plus intéressantes et utiles.
Cookies strictement nécessaires
Cette option doit être activée à tout moment afin que nous puissions enregistrer vos préférences pour les réglages de cookie.
Si vous désactivez ce cookie, nous ne pourrons pas enregistrer vos préférences. Cela signifie que chaque fois que vous visitez ce site, vous devrez activer ou désactiver à nouveau les cookies.