« Les Mille et Une Nuits », de Guillaume Vincent, au théâtre de l’Odéon-Europe
S’attaquer à un classique de la littérature n’est pas simple, l’adapter au théâtre lorsqu’il s’agit d’un texte narratif complique encore les choses, et prendre le parti de le faire dialoguer avec notre monde contemporain, rend l’affaire presque impossible.
Pourtant Guillaume Vincent le fait : il propose une création des Mille et Une Nuits à la fois fidèle et affranchie, inspirée et aplatie, riche en réflexions pour tous et surtout pour le professeur appelé dans son métier à réfléchir à l’art de la transposition, aux vertus des anachronismes, et aux concordances des temps. En d’autres termes, sa création, magique et banale, procure de belles réussites, de vrais moments d’enthousiasme, mais voisine aussi avec l’ennui et le le conformisme.
La première partie est un enchantement où tout fonctionne, tout fait sens, où toute invention est pertinente, toute impudence opportune, où l’action se prête au jeu talentueux des acteurs, où la bigarrure des langages, des tons, des scènes et des histoires donne un dynamisme merveilleux à la pièce, puis la magie s’efface et la seconde partie, plus nettement tournée vers la recherche de résonances contemporaines est plus lourde, plus terne, plus narrative.
Ainsi si tout le monde sait comment débutent les Mille et Une Nuits avec ces femmes épousées pour être aussitôt décapitées, fallait-il finir par une vengeance de ces mêmes femmes et un défilé d’hommes émasculés ? Et si chacun sait que le monde arabe ne peut se réduire au merveilleux des contes orientaux, Bagdad, la Syrie, l’Égypte devaient-ils résonner fatalement avec la géopolitique d’aujourd’hui ? Être arabe à Paris, le sujet était-il incontournable ?
Disons-le, la pièce vaut par son spectacle, non par son message. Et le spectacle fait théâtre : la scène d’ouverture presque muette, proche du cinéma d’horreur, fait mieux qu’un long discours comprendre la barbarie sanguinaire que seuls l’art et le conte sauront suspendre. Puis les histoires s’enchaînent : le portefaix et les dames, les trois borgnes , jusqu’ à – pourquoi pas – l’histoire merveilleuse d’Oum Kalsoum, tout alterne et s’entremêle avec habileté, humour et dérision, drame et violence, anachronisme et clin d’œil, narratif et joué, langue littéraire et langue ordinaire, chorégraphie et chansons, décors et accessoires, nu et masque, sans oublier les acteurs, hommes et femmes passant de personnage en personnage, de costume en costume avec une égale énergie et un égal brio.
On enseigne volontiers que le roman est le genre polymorphe par excellence, absorbant tous les genres, capable de tout assimiler. Pourtant depuis quelques décennies c’est bien du côté de la scène que les expériences artistiques les plus mêlées ont lieu, et ces Mille et Une Nuits confirme le pouvoir du théâtre en tant que genre total, agissant sur tous les sens à la fois. Mieux encore le théâtre est un genre collaboratif où les talents plus que jamais s’additionnent : auteur, dramaturge, metteur en scène, scénographe, techniciens du son, de la lumière, costumiers, décorateurs, et bien sûr comédiens. C’est pourquoi il faut voir ces Mille et Une Nuits qui plus qu’une adaptation sont une réinvention du merveilleux oriental.
Pascal Caglar
• Au théâtre de l’Odéon-Europe jusqu’au 8 décembre puis en tournée en province : Amiens, Chambéry, Valence, Besançon, Mulhouse, Chateauroux, Tourcoing, Caen Albi, Marseille, Brest
• « Les Mille et Une Nuits », traduction d’Antoine Galland, dans la collection « Classiques » de l’école des loisirs, nouvelle édition, 2019.