L'écrivain et les médias
Il existe plusieurs manières d’être et d’incarner l’écrivain aujourd’hui entre médias, institution et… discrétion.
Ce que l’on appréciera en se penchant sur la façon dont la presse quotidienne a tout récemment présenté les dernières œuvres d’Annie Ernaux, Amin Maalouf, Olivier Bourdeaut et Joël Egloff.
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“Fille de rien, grand écrivain”
Cette dernière semaine, la presse a salué le retour d’Annie Ernaux dont elle attendait le roman comme un événement. « Fille de rien, grand écrivain » titrait Le Monde des livres. Annie Ernaux dont les titres sont à la fois simples et riches, La Place, Une femme, L’Événement et maintenant donc Mémoire de fille (Gallimard), suggère à la fois quelle se souvient de ce lointain personnage de 1958, année où elle méritait encore le titre de “fille” (un mot important pour désigner celle qui n’est pas mariée dans la France de ces années-là) et le passage brutal à sa vie et à sa carrière d’adulte.
Le travail de l’écriture est au centre du message d’Annie Ernaux qui raconte son initiation rapide au sexe sans amour et livre les mémoires d’une partie de sa vie disparue, Sébastien Lapaque pour le Figaro n’hésite pas à effectuer le rapprochement avec Georges Bernanos, pour le face à face avec soi. On se souvient que Lydie Salvayre, avec Pas pleurer, se revendiquait de cet auteur ; il y a comme un effet générationnel dans la lecture et l’influence de cet auteur tout juste reparu en “Pléiade”.
« C’est l’écriture qui fait exister vraiment les choses, qui les sauve aussi, confie Annie Ernaux à Claire Devarrieux dans le cahier livres de Libération. « Ce n’est pas la mémoire, mais l’écriture qui compte, ajoute-t-telle, C’est ce qu’on fait avec les images de la mémoire. Elles sont là mais c’est la main qui tient la plume qui va les faire exister. »
L’écriture, comme toujours chez elle, se vit comme une forme de résistance et d’acceptation en même temps ; face à la société figée mais surtout face à la honte. L’auteur est-elle pour autant figée dans la souffrance, mais non : « L’entretien a lieu chez elle, Annie Ernaux est parfaitement détendue, et rit souvent. »
Un fauteuil se raconte
Amin Maalouf a composé son dernier livre en prenant pour thème le fauteuil qu’il occupe à l’Académie française (le n° 29). Un fauteuil sur la Seine rencontre un intérêt de curiosité (au moins) chez la plupart de vos critiques. Idée simplissime mais inspirée qui permet de tracer une histoire de l’institution à travers ce qui en est en définitive le seul élément permanent, le fauteuil. Le sien a été occupé, outre quelques écrivains connus comme Renan ou Montherlant ,essentiellement par des inconnus.
C’est un joli titre, on pense à un balcon avec vue sur Seine, vue sur le fleuve de l’Histoire en somme. L’auteur tire donc parti de cette généalogie comme frise chronologique (mais en même temps soumise à l’irrégularité des vies humaine qui la composent). Sa démarche entretient un air de parenté avec « Les trente journées qui ont fait la France » collection qui tentait de raconter l’Histoire entre démarche scientifique (Duby) et littéraire (Giono).
Ici, à travers le parcours qu’il s’est imposé, l’académicien retrace une histoire des milieux culturels qui mène des hommes d’églises (XVIIe, XVIIIe siècle) aux scientifiques (XIXe siècle) qui ont occupé ce fauteuil. Il termine bien sûr par Claude Lévi Strauss auquel il rend un hommage moins guindé que ne l’exige l’étiquette du discours de réception.
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Un “petit poucet de l’édition” face à un écrivain discret mais persistant
Tous les ans il existe au moins un « petit poucet » de l’édition qui, à l’instar de celui de la Coupe de France de football apparaît et dérange l’ordre établi.
Cette fois, c’est En attendant Bojangles d’Olivier Bourdeaut et son éditeur Finitudes qui font le bonheur de l’engouement critique.
À l’inverse, les auteurs discrets ne semblent pas devoir revenir régulièrement ; l’un d’entre eux cependant apparaît au détour de tous les suppléments, raison de plus d’y aller voir de plus près.
C’est l’un des chroniqueurs attitrés de L’Humanité (cahier Le Rendez-vous des livres), Jean-Claude Lebrun, qui le dit : Joël Egloff a fait le choix « d’un humour impassible comme moteur de son écriture ».
La plupart des critiques l’ont relevé ces dernières semaines, cet auteur pousse très loin l’art du livre sur presque rien ; il développe ainsi une enquête absurde (qui a volé le petit Jésus dans la crèche du village ?) dans un environnement à la fois médiocre et retors.
Livre après livre Joël Egloff reste présent par l’humour : après Ce que je fais là assis par terre, L’Homme que l’on prenait pour un autre, voici donc J’enquête (Buchet-Chastel).
Comme on le voit, le titre n’est pas négligeable dans le travail d’édition.
Frédéric Palierne
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• Lire et écouter la précédente chronique de Frédéric Palierne : “Lire sans pontifier“.