Le Salon de Montreuil ou la caverne aux livres
Place aux albums, romans et bandes dessinées jeunesse ! Le 38e Salon du livre et de la presse jeunesse (SLPJ) ouvre ses portes ce mercredi 30 novembre 2022.
Par Antony Soron, maître de conférences HDR, formateur agrégé de lettres,
Inspé Paris Sorbonne-Université.
Depuis sa création en 1984, le succès du Salon du livre et de la presse jeunesse est allé grandissant, validant l’idée que l’édition jeunesse participe à l’avenir de l’édition. Ce rendez-vous annuel constitue un lieu de rencontre intercatégorielle incontournable où chacun – éditeurs, auteurs, enseignants, documentalistes, bibliothécaires, libraires et lecteurs – peut partager son goût pour la transmission.
La littérature de jeunesse a ses têtes de gondole, brillant tellement qu’elles laissent peu de place à des œuvres plus exigeantes, créatives, singulières, dont les petits éditeurs, notamment, se font les passeurs. En ce sens, le Salon se caractérise comme une passerelle vers des découvertes littéraires heureuses sinon pionnières pour le lecteur en herbe. Quel bonheur de découvrir qu’un auteur est bel et bien un être vivant de chair et d’os ! Indépendamment de l’enjeu de diffusion de la littérature et de la presse jeunesse, le Salon de Montreuil assoit l’idée que la littérature de jeunesse ne peut plus être caractérisée comme mineure.
Quels mondes désirer ?
Les sorties scolaires en direction du Salon sont devenues une quasi-institution pour certains établissements. Et même si elles s’assimilent parfois à des courses d’orientation au pas de charge plus ou moins folkloriques, elles constituent l’occasion d’une rencontre précieuse avec le monde des livres et des auteurs. On ne peut qu’espérer que cette prise de contact soit prolongée une fois les élèves revenus entre les murs de la classe. Pourquoi ne pas profiter de ce passage au pays des merveilles pour suggérer aux élèves des lectures en relation avec les axes d’étude littéraire des programmes de lycée et de collège ?
Cette année, par exemple, le Salon a choisi comme thème « Désirs de mondes », à comprendre comme « Penser des mondes désirables », comme le suggère une conférence dessinée avec l’autrice et économiste Esther Duflo, autrice et économiste, et l’illustratrice Cheyenne Olivier. Une autre rencontre avec les autrices Maïlys Pailhous, Canada (L’Épopée de Lô, tome 1 : Le Plus Grand des voleurs, éditions David), et Carina Rozenfeld (Les Anges mécaniques, livre 1 : L’Appel, Gulf Stream), propose de « Traverser des mondes imaginaires » : « Mondes parallèles, mystérieux, magiques ou apocalyptiques : les jeunes héros de ces sagas affrontent leur destin à travers des univers fantastiques. Pour un voyage intense dans les littératures de l’imaginaire ». C’est en effet l’occasion d’élargir son horizon, rappellent les autrices Rozenn Desbordes (Le Clown masqué, Éditions Courtes et Longues) et Émilie Clarke (Violette contre Diablot1, Biscoto).
Le 1er décembre, Ralph Doumit (Que fait-on quand il pleut ?, illustrations Julia Wauters, hélium, sélection Pépites Fiction juniors), Thomas Lavachery (Henri dans l’île, l’école des loisirs), Philippe Lechermeier (Maldoror, tome 1. Les Enfants de la légende, Flammarion Jeunesse, sélection Pépites Fiction juniors) et Simon van der Geest, Pays Bas (Comment j’ai disparu dans la jungle, La Joie de lire) vont se pencher sur l’exploration et la découverte : « Comment un quotidien tout d’un coup bousculé oblige à changer de point de vue et révèle des forces intérieures chez tous les personnages de ces romans. Des défis à relever pour s’adapter à ce nouveau monde qui s’ouvre à eux. »
Puis Christopher Bouix (Alfie, Au Diable Vauvert), Florence Hinckel (L’aube est bleue sur Mars, Nathan) et Sylvain Repos (Yojimbot, Dargaud) inviteront les plus grands à réfléchir : « De quoi l’humanité sera faite demain, dans 50 ans, dans un siècle ? Robots, intelligence artificielle, conquête de l’espace, vie sur Mars : trois ouvrages pour signaler les dérives et pointer notre vigilance pour que notre futur soit désirable ! » Olivier Dain-Belmont (Permavillage ! Le Village de mes rêves, illustrations Fachri Maulana, Sarbacane), Rémi Courgeon (Mon herbier des gens, La cabane bleue ; Comme un arbre, Milan et Soif) et Ola Woldańska-Plocińska, Pologne (Halte aux déchets, Casterman), entendent se relier au vivant : « Permavillages, jardins partagés, recyclage : pour penser à la planète, à la relation de l’humain au vivant, aux clés pour préserver l’environnement et agir chacun à son échelle. » Jean-Baptiste de Panafieu revient pour sa part sur la question de l’évolution (Évolution : Darwin, Dieu et les hommes chevaux, illustrations Alexandre Franc, Delachaux et Niestlé / Dargaud). Quelles traces conservons-nous de notre passé animal ? Que nous apprennent-elles sur notre histoire ou sur notre comportement ? Qu’est-ce qui nous différencie réellement des autres animaux ? Allons-nous continuer à évoluer ? Ces deux thématiques entrent parfaitement en résonance avec les sujets de la nouvelle rubrique Notre Planète de L’École des lettres.
Pourquoi aimons-nous tant les histoires peuplées de créatures imaginaires « Qu’allons-nous chercher dans ces terres aux noms aussi exotiques que Westeros Arrakis, Oz ou Mordor ? », lancent Anne Besson, chercheuse, et Manon Fargetton, autrice. La grande exposition met en lumière les univers graphiques de six albums pendant toute la durée du Salon : Pirates bric-à-brac, d’Atak (éditions Thierry Magnier) ; Monsieur Personne, de Joanna Concejo (Format) ; Sauvage, de Salah Elmour (texte de Layla Zarka, Le Port a jauni) ; L’Oiseau en moi vole où il veut, de Sara Lundberg (La Partie) ; Leina et le Seigneur des Amanites,de Júlia Sardà (texte de Myriam Dahman et Nicolas Digard, Gallimard Jeunesse) et L’Univers à l’envers, de Henning Wagenbreth (Les Grandes Personnes).
L’esprit de Montreuil
Le Salon de Montreuil a pour but de renouveler le corpus littéraire à mettre entre toutes les mains, mais vise à engager un partenariat entre les potentiels passeurs du texte de jeunesse, à savoir les enseignants, les documentalistes et les bibliothécaires. Les suggestions de lecture cursive seront d’autant plus fructueuses et variées qu’elles seront insufflées par les uns et les autres : ces enseignants qui emmènent leurs élèves à la rencontre des médiathèques après être allés à Montreuil, ces bibliothécaires qui font le trajet inverse pour proposer quelques pépites dans les classes à des élèves trop convaincus qu’il y aurait des lieux de culture qui leur seraient d’office refusés. En effet, le Salon de Montreuil déclenche des événements dans toute la France : « Près de 200 bibliothèques partenaires, sur tout le territoire, accueillent, elles aussi, le 38e Salon du livre et de la presse jeunesse avec la mise en valeur des artistes au programme, des Pépites, mais également une reproduction de l’exposition européenne du Salon : « Désirs de mondes ». »
A. S.
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