Bac de français : « Le Rouge et le Noir », de Stendhal

Stendhal en 1840, par Olof Johan Södermark (1790-1848)

Proposition d’activité collaborative
à réaliser à distance

Lors de l’émission, La Grande Librairie du 27 mai 2016, Yann Queffelec, Prix Goncourt 1985 pour son roman Les Noces barbares, dresse un réquisitoire singulier contre Le Rouge et Le Noir, roman au programme du baccalauréat de français 2020.
L’activité proposée aura pour finalité la mise en œuvre d’un blog « académique » regroupant les échanges des élèves d’une classe en fonction de leur appréciation du point de vue de l’écrivain à l’aune de leur propre lecture du roman de Stendhal.

Une modalité « originale » de relecture critique d’une œuvre du programme

Le protocole de travail implique dans un premier temps que les élèves relisent les soixante premières pages du Rouge et le Noir, soit jusqu’au chapitre XI, « Les remords ». La durée estimée de cette première phase est estimée à 30 miinutes.
Pour mémoire, M. de Rênal a engagé Julien, le fils du Père Sorel, « paysan dur et entêté », pour assurer, en tant que précepteur, l’éducation de ses deux enfants. Âgé de dix-neuf ans, ce fils de charpentier n’est pas heureux dans sa famille, méprisé aussi bien par ses frères que par son père. Son apparence fragile et son tempérament intellectuel en font un paria dans une maison où priment les valeurs du travail manuel. La personnalité de Julien Sorel n’en apparaît pas moins complexe. Grand lecteur, il se passionne pour les guerres napoléoniennes tout en s’engageant dans des études de théologie qui doivent le mener à la prêtrise.
Au chapitre VI, il rencontre Mme de Rênal. Julien est d’emblée ébloui par la femme du maire. Réciproquement, le jeune précepteur commence très tôt à attirer la curiosité de l’épouse au départ de façon innocente. Les premiers signes d’une jalousie naissante ne se font jour que quand elle apprend qu’une femme de chambre, Elisa, a pour intention d’épouser le précepteur. De moins en moins effarouché par Mme de Rênal et poussé par son désir naissant de conquête amoureuse, Julien parvient enfin à se saisir discrètement de la main de l’épouse. L’amour grandissant de Mme de Rênal pour Julien redouble alors en intensité au chapitre XI même si elle résiste encore à l’idée de se montrer infidèle à son époux.
C’est sur cette partie initiale du roman de Stendhal que la critique de Yann Queffelec va être la plus incisive.

François Busnel, La Grande Librairie, 27 mai 2016

Visionnage d’un extrait de « La Grande Librairie »
On précisera aux élèves que La Grande librairie est une émission consacrée aux livres, présentée par François Busnel, fin connaisseur du monde littéraire, qui consiste à inviter des auteurs actuels pour les faire parler de leur dernière publication. Ce qui implique aussi qu’ils évoquent incidemment leur processus de création, leurs sources d’inspiration ou encore leurs goûts en matière artistique, littéraire ou non. En l’occurrence, François Busnel, dans l’extrait qui nous intéresse (temps de visionnage 6 minutes) demande à Yann Queffelec s’il y a des grandes œuvres du patrimoine littéraire français qui continuent de résister à sa lecture. L’écrivain s’en prend alors sans hésiter au Rouge et le Noir de Stendhal.
On précisera aux élèves que le point de vue critique ici exprimé est intéressant à écouter et ensuite à commenter car il est émis par un écrivain de premier plan et non pas simplement par un lecteur. On pourra ajouter, sur le plan de la réception de l’œuvre, que dans la période qui a suivi sa première publication le roman de Stendhal avait déjà subi de vives critiques. Un grand nombre de ses lecteurs contemporains ont en effet blâmé le caractère de ses personnages et notamment les bas instincts de son « héros ». Les qualificatifs à son encontre sont très dépréciatifs et ce, jusqu’à la fin du siècle, où l’œuvre est véritablement reconnue comme un classique du roman français.
Le visionnage de l’émission doit se faire stylo ou clavier en main afin de prendre des notes au fil des échanges. Il va de soi, cela va sans dire sur le plan méthodologique, qu’un seul visionnage ne suffira pas.
Yann Quéfellec, La Grtande Librairie, 27 mai 2016

Synthèse des arguments du réquisitoire de Yann Queffelec
Le deuxième visionnage, avec pauses, permet d’extraire et/ou de reformuler les éléments du discours de l’écrivain qui stigmatisent tel ou tel aspect du roman de Stendhal et tout particulièrement la personnalité de Julien Sorel et les situations amoureuses dans lesquelles il s’engage durant sa période de conquête de Mme de Rênal (temps estimé de cette phase 20 minutes) .
L’entrée en matière du propos de l’écrivain se fait par une affirmation tranchée :

« J’ai lu l’hiver dernier Le Rouge et le Noir et j’ai trouvé cela épouvantable. »

Yann Queffelec recontextualise son affirmation a priori péremptoire en concédant que le livre de Stendhal avait été « un de ses romans préférés quand il était jeune ». Il commence par s’attaquer au « monologue intérieur » stendhalien qu’il juge « envahissant » contrairement à l’opinion commune : soulignant qu’il s’agit, pour l’auteur, d’une manière de mettre le personnage « sous surveillance ». Cependant, la « charge » de l’écrivain se fait plus incisive quant aux amours de Julien Sorel et de Mme de Rênal.
Ce sera d’ailleurs cet aspect du réquisitoire que les élèves auront sans doute le plus de facilité à discuter. Yann Queffelec estime en effet que leur histoire n’est pas vraisemblable du fait notamment de la transformation trop rapide de Julien « jeune souffreteux » au début du récit qui n’hésite pas à aller « frapper à la porte » de son amante à « deux heures du matin ». L’écrivain dénonce le fait que Julien, « puceau », « fait un boulot de séducteur digne de Valmont ». Il pose donc le problème de la « crédibilité » du personnage qui ne cadrerait pas dans ses premières amours avec l’image que le narrateur a initialement donné de lui au lecteur. Alors qu’une autre écrivaine invitée sur le plateau, Marie-Hélène Lafon, défend quant à elle la « rage » de Julien Sorel – le récit faisant précisément mention de son « feu » intérieur –, Yann Queffelec poursuit dans son blâme en indiquant que les monologues intérieurs de Julien Sorel sont trop secs et pas assez habités justement par « la rage de la langue ».
Contredisant un autre romancier présent sur le plateau, Pierre Lemaître, le « procureur » pointe ce qu’il continue de considérer comme le manque fondamental du style de Stendhal, à savoir son recours à l’ellipse ou si l’on préfère à la coupe. Pour lui, le lecteur se trouve souvent frustré en lisant Le Rouge et le Noir dans la mesure où il voudrait en savoir plus, notamment, précise Yann Queffelec à deux moments clefs du récit :
– quand Julien entre dans la chambre de Mme de Rênal ;
– quand, à l’autre bout du roman, le personnage se trouve devant l’échafaud.
Pour concrétiser ce deuxième moment-clef, François Busnel lit alors une courte phrase exemplaire du style stendhalien critiqué par l’écrivain :

« C’est aujourd’hui vendredi, pensa-t-il. »

Et Yann Queffelec de conclure par une formule provocatrice :

« C’est un livre qu’on lit en classe mais qu’on n’emmène pas en vacances. »

Formule promise à une forte discussion entre les élèves dans le cadre d’un blog de classe !
Exemple de remobilisation de sa propre lecture
pour contre-argumenter

Le réquisitoire de Yann Queffelec contre le roman de Stendhal tourne autour du manque de crédibilité présumée de l’histoire d’amour et des situations y renvoyant. Il s’inscrit de surcroît contre ce que l’on pourrait caractériser comme le manque d’étoffe du texte. Les élèves doivent par conséquent chercher dans les soixante premières pages du roman ce qui est susceptible de contredire ce réquisitoire. Ils pourront par exemple remarquer que Julien Sorel n’est pas présenté seulement comme un jeune homme timide et maladif par le narrateur. D’évidence, il apparaît habité par une vraie rage intérieure.
De façon inversée, Mme de Rênal, en dépit de sa prestance, est présentée comme un être très sensible. Quoique improbable dans une certaine mesure, et de fait romanesque, leur rencontre est nécessairement promise à des étincelles car, l’un comme l’autre, n’ont donné d’eux-mêmes, jusque là, qu’une image partielle. Ainsi, alors même que Julien n’a pas encore rejoint la demeure de M. et Mme de Rênal en tant que précepteur, cette dernière est caractérisée comme suit :
« Elle avait un certain air de simplicité, et de la jeunesse dans la démarche ; aux yeux d’un Parisien, cette grâce naïve, pleine d’innocence et de vivacité, serait même allée jusqu’à rappeler les idées de douce volupté » (III, Un curé).
La naïveté de son âme semble d’ailleurs le point nodal de sa personnalité. Quant à Julien, découvert au lecteur par la mention de « sa taille mince », puis comme « faible en apparence » (IV, Un père et un fils), il n’a rien a priori d’un conquérant. Pour autant, sa « jolie figure » commence à lui « donner quelques voix amies parmi les jeunes filles ». Il montre aussi une grande détermination dans ses idées et ses choix, comme en témoigne sa réponse cinglante à son père : « Je ne veux pas être domestique » (V, Une négociation). En outre, l’importance qu’il accorde à ses « trois ouvrages » de cœur – pour rappel, Les Confessions de Rousseau, le Mémorial de Sainte-Hélène et le Recueil des bulletins de la Grande Armée – est telle qu’il « se serait fait tuer » pour eux. En conséquence, avec Julien, comme le dit l’expression, « il faut se méfier de l’eau qui dort ». De fait, sa faiblesse apparente renforcée par sa « pâleur » contredit ce qu’expriment les monologues intérieurs successifs : à savoir une puissante détermination et une grande « exaltation ». Julien rêve de conquêtes à la Bonaparte, en incluant à ses aspirations de réussite, des triomphes amoureux. Aussi, sa « nouvelle piété » ne parvient-elle pas complètement, malgré deux ans d’études de théologie, à comprimer « une irruption soudaine du feu qui dévorait son âme ».
En conséquence, le manque de crédibilité de l’intrigue amoureuse selon Yann Queffelec justifie pour le moins d’être discuté en revenant précisément aux premières pages du roman qui présentent au lecteur l’intériorité furieuse du personnage.

Bac de français : « Le Rouge et le Noir », de StendhalAccréditer partiellement la position de Yann Queffelec ?

Il sera bien entendu toléré – à condition que le point de vue exprimé bénéficie d’une solide argumentation s’appuyant sur des indices textuels – que certains élèves souscrivent au moins partiellement au réquisitoire de l’écrivain. Aussi, pourront-ils trouver « l’idée hardie de lui baiser la main » (VI, L’ennui) peut-être un peu trop rapide étant donné l’extraordinaire timidité de Julien au moment d’entrer chez Mme de Rênal. Cette première scène de délicate sensualité justifie en tout état de cause de demeurer une pièce à conviction dans le plaidoyer à opposer au procès en invraisemblance intenté par Yann Queffelec au roman de Stendhal. En effet, le lecteur est à même de comprendre que Julien agit avec stratégie dans sa première conquête amoureuse : « Il eût sur le champ l’idée ». De façon corrélative, ils pourront observer que Mme de Rênal trouve en Julien un être qu’elle n’espérait plus, quelque chose qui a à voir avec le « naturel ». Alors que lui est dévoré par l’ambition, toute à son « angélique douceur », elle est comme hypnotisée par sa « pauvreté ».

Mettre en place un blog académique
sur les œuvres au programme ?

Le protocole de travail dans le cadre d’un enseignement à distance gagnera en efficacité par l’ouverture d’un blog via un site académique : exemple pour l’académie de Versailles (http://blog.ac-versailles.fr/). Par ce biais, le professeur pourra d’une part mettre à disposition des élèves les ressources proposées – dont la vidéo de La Grande Librairie – et d’autre part, d’inclure un padlet permettant de partager les argumentaires de l’ensemble de la classe. Ce principe pourra, le cas échéant, être élargi à toutes les œuvres du programme.

Antony Soron, INSPÉ, Sorbonne Université

 
Ressources
Émission La Grande Librairie du 27 mai 2016.
  « Le Rouge et le Noir » sur le site de la BnF.
Sur France Culture :
Quand René Clair lisait des extraits du « Rouge et le Noir ».
Écoutez, révisez : Stendhal parle aux âmes sensibles.
Trois adaptations cinématographiques et téléfilmiques de la première rencontre entre Mme de Rênal et Julien Sorel.

Antony Soron
Antony Soron

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